Bonsoir à vous toutes et tous, fidèles et indispensables soutiens de L’Action nationale : la Ligue, la Revue, les Cahiers de lecture.
Mesdames et messieurs de la Ligue d’Action nationale, vous êtes incontestablement de parfaits émules de Rosaire Morin, pour avoir une conception du militantisme si large que vous m’avez jugée digne du prix que vous me remettez ce soir et de l’honneur qui en résulte.
Car, évalué à l’aune de la réalisation de l’objectif primordial, visé par mon action militante et mes écrits, il est loin d’être certain que je mérite ce prix. En dépit des multiples débats et durs combats auxquels j’ai ardemment participé avec quatre générations de militants indépendantistes, la nation québécoise n’est-elle pas tout aussi éloignée de son accession à l’indépendance politique qu’il y a cinquante ans ?
J’accepte néanmoins le prix avec reconnaissance, fierté et bonheur.
Précisément, parce que je n’ai rien réalisé, pas la plus infime réforme du système dominant, n’ayant jamais accepté le moindre compromis qui m’aurait permis, comme cela m’a quelques fois été proposé, d’accéder à certains postes de responsabilité dans les instances de nos institutions politiques et culturelles provinciales.
Précisément, parce que j’ai toujours pensé et pense toujours que ce n’est pas en œuvrant à l’intérieur de ses cadres et dans le respect de ses règles qu’on renversera l’ordre établi. Au mieux peut-on y corriger les pires effets délétères des conditions d’existence de notre nation. Pour un temps, comme le montre à l’évidence le désastreux recul du français comme langue officielle et d’usage, malgré l’adoption de la Charte de la langue française, il y a à peine 36 ans. Et l’on peut sans crainte de se tromper prédire le même sort à la Charte des valeurs québécoises dans le cadre constitutionnel actuel.
Précisément, parce que je crois que l’accession à l’indépendance repose sur un militantisme dont la vertu principale est de ne jamais lâcher la proie pour l’ombre ; sur un militantisme dont l’objectif principal est la politisation et la mobilisation du peuple, puisque, comme le disait joliment Hélène Pedneault, seule la force de son désir d’autodétermination peut conduire à la victoire décisive ; sur un militantisme dont l’exigence principale est l’engagement dans une lutte sans détour, ouverte et constante, contre toutes les formes directes et sournoises de domination et d’exploitation qui maintiennent notre nation dans une dépendance de plus en plus destructrice non seulement de ses institutions, mais des caractères même de son identité.
Précisément parce que je crois qu’une lutte victorieuse pour l’indépendance requiert de ses militants une liberté sans restriction de parole et d’action. Car il faut être déjà libre pour communiquer le désir de liberté.
Un soir, alors qu’à son invitation, je le rencontrais dans les hauteurs d’un édifice de la rue Sherbrooke, Rosaire Morin m’a fait part de son estime pour mes justes analyses, mes convictions profondes et mon engagement sans peur. « Vous luttez comme vous respirez », m’a-t-il dit. Avant que je n’aie eu le temps de rougir, il avait déjà commencé à critiquer avec autant de bienveillance que de sévérité l’impétuosité de mon discours et de mon action révolutionnaires.
Lui qui était révolutionnaire dans toutes les fibres de son être. Lui qui n’avait de cesse d’élaborer des stratégies inédites de lutte, telle, pour ne donner qu’un exemple, l’organisation des États généraux du Canada français, à la fin des années 1960. Lui qui n’avait de passion plus grande, d’engagement plus constant que ceux qu’il investissait avec un dévouement et un désintéressement personnel sans égal, dans la lutte pour l’indépendance de sa nation.
Je veux croire que nous unissaient au-delà de négligeables divergences, un même amour de la liberté et la même espérance de voir notre peuple en prendre le risque.
Car, comme le disait Gaston Miron, moins dans une affirmation de confiance que dans un cri désespéré d’espoir : « Cela ne peut pas toujours ne pas arriver ».
Continuons le combat.
Vive le militantisme. Vienne l’indépendance.