Prix Richard-Arès 1998 – Allocution du lauréat

Merci Messieurs Robert Laplante, Simon Langlois, Gérard Bouchard et Normand de Bellefeuille de vos propos élogieux. Merci aux deux autres membres du jury, messieurs Roland Arpin et Henri Brun d’avoir sélectionné, de connivence avec messieurs Langlois et Bouchard, Québec, le 18 septembre 2001 pour le prix Richard-Arès.

En écoutant la présentation de monsieur Gérard Bouchard, j’ai eu l’impression d’avoir été inspiré en écrivant ce livre. Chose certaine, lorsque j’ai lu la lettre de madame Laurence Lambert, ça m’a fait chaud au coeur d’apprendre que le choix des membres du jury s’est fondé sur : 1) la problématique du texte; 2) la cohérence des idées; 3) la valeur de l’argumentation; et 4) la qualité de la langue. Cela m’a fait chaud au coeur parce que ce sont précisément les points que je valorise dans mon enseignement. Qu’ils se retrouvent dans ce livre, voilà qui me conforte.

Vous n’auriez toutefois pas eu l’occasion de choisir ce livre n’eut été de l’accueil de monsieur Rosaire Morin, que je salue du coeur, à un texte que je lui ai soumis en 1996, texte intitulé  » Pour une conception civique du Québec « . Sa publication dans L’Action nationale m’a encouragé à revoir un manuscrit qu’il m’avait été impossible de terminer avant le référendum de 1995.

Aussi, votre choix n’aurait pu s’exprimer sur ce livre sans l’accueil au manuscrit revu et corrigé de la part de messieurs Normand de Bellefeuille de Québec-Amérique et Alain-G. Gagnon, directeur du Programme d’études sur le Québec de l’Université McGill. Je les en remercie. D’autres personnes sont complices de cette publication. Monsieur Michel Beauchamp m’a encouragé à écrire ce livre. J’ai bénéficié des conseils et des remarques de madame Manon Boulianne et de messieurs Yves Martin et Alain-G. Gagnon. Je remercie aussi monsieur Claude Frappier, le réviseur, monsieur André Roy et madame Alberte Couture qui m’ont facilité la mise en forme du manuscrit et madame Madeleine Eykel pour la page couverture.

Ce livre est le produit de ma réflexion sur le Québec. Elle n’aurait pas pris cette forme si je n’avais pas été responsable du cours « Anthropologie du Québec » pendant plus de quinze ans à l’Université, ce qui m’a permis de bénéficier d’échanges multiples avec les étudiants et les étudiantes qui l’ont suivi ou se sont intéressés à la réalité québécoise. Dans ses propos, monsieur Gérard Bouchard a fait écho au contenu de ce livre. D’une certaine façon, il constitue une réponse aux interrogations de Richard Arès concernant la confédération canadienne de 1867. Son livre, Dossier sur le pacte fédératif de 1867, publié en 1967, se termine sur la question suivante : « quels rapports existent et doivent exister entre les deux principales nationalités du pays? des rapports de majorité à minorité – c’est à quoi aboutit la théorie de la loi pure et simple – ou des rapports d’associés égaux dans une même oeuvre politique à accomplir comme l’exige la théorie du Pacte? » (p. 250).

Cette interrogation a toujours été – et l’est encore pour certains – au coeur de la question du Québec. Les Québécois d’origine française, hier les Canadiens français, ont eu une propension à concevoir le Canada tel un pacte entre deux nations, ce qui ne fut que rarement le cas des Canadiens anglais. En 1982, le rapatriement de la Constitution canadienne fut la réponse à l’interrogation de Richard Arès. Depuis, la thèse du pacte a perdu tout sens quoi qu’en disent les Claude Ryan et leurs semblables. Au Canada, il n’y a dorénavant qu’une nation et des minorités de toutes sortes, dont les autochtones et les Québécois d’origine française. Je rappelle que, pour Richard Arès, de la réponse à la question qu’il posait dépendait « l’avenir du Canada, du Canada français et du Québec » (p. 250). Québec, le 18 septembre 2001 traite de l’avenir du Québec. Pas de celui du Canada. Ni celui du Canada français. Seulement du Québec. En cela, il est une suite aux interrogations de Richard Arès.

Dans ce livre, comme l’a souligné monsieur Gérard Bouchard, j’aborde plusieurs thèmes. Si j’essaie de les hiérarchiser, je suis tenté d’insister sur deux d’entre eux. Le premier est la nécessité de sortir la question du Québec de la problématique canadienne. Pourquoi?

D’abord, parce qu’avec cette problématique, le recours à l’Indirect rule aidant, le Québec ne peut aspirer qu’au statut de simple province où s’activent une minorité nationale du Canada et divers autres groupes, dont les autochtones. Ensuite, parce que, dans l’univers actuel de la mondialisation et de la création d’ensembles supranationaux, les minorités nationales sont en touche, notamment celles qui se retrouvent au sein de fédérations car ces dernières recentrent leurs pouvoirs. Alors, ces minorités nationales, surtout celles qui aspirent à créer un État souverain – c’est le cas au Québec -, sont placées devant le dilemme suivant : ou bien elles prennent le chemin qui les conduira à la souveraineté; ou bien elles acceptent de demeurer parmi les exclus de l’histoire.

En un mot, sortir de la problématique canadienne, c’est choisir d’entrer dans l’histoire.

Le deuxième thème est l’importance de retoucher certains aspects du projet souverainiste afin de mieux définir ce que sera le Québec devenu pays membre à part entière des Nations unies. À cette fin, il m’apparaît impérieux de mettre l’accent sur la citoyenneté plutôt que la culture québécoise. Il s’agit même d’un passage obligé. Il ouvrira la porte à la participation des Québécois et des Québécoises toutes origines confondues. Ce sera un atout à la suite d’un référendum gagnant et cet atout le sera encore plus si le projet souverainiste vise à densifier la vie démocratique avec une constitution qui définit une culture politique commune dont le français est la langue de la citoyenneté.

Parallèlement, il faut préciser les relations que le Québec entend avoir avec le monde et concevoir tous les réarrangements internes découlant des nouveaux pouvoirs qui seront nôtres : la défense et l’armée, les douanes, les communications, la citoyenneté, les relations avec les autochtones, l’immigration, la dette, les finances, la monnaie, etc.

C’est peut-être à cause de ces thèmes que Gabriel Gagnon, de la revue Possibles, considère mon livre et celui de John Saul (Réflexions d’un frère siamois), deux ouvrages susceptibles d’orienter de façon significative notre réflexion.

Il y a toutefois une nette différence entre ces deux livres. Celui de John Saul propose de refaire encore une fois le Canada; le mien, de faire enfin le Québec. Surtout pas de le refaire dans un Canada à refaire. Le Canada est fait. C’est le Québec qui tarde à se faire, obnubilés que sont bon nombre de Québécois par des rêves qui n’aboutissent pas mais grugent inutilement temps et énergies, génération après génération.

J’ai apprécié les propos de Gabriel Gagnon. Par contre, s’agissant d’orienter notre réflexion, force est de constater que le livre de Saul a eu plus d’écho médiatique, du moins à date. Québec-Amérique a fait une promotion qui visait un écho analogue. Sans succès. Les médias au Québec sont en trop bonnes mains. Et les responsables des sujets à débat savent qu’il ne faut pas les mordre. Ils savent ce qu’il faut taire et ce qu’il faut connaître.

Aussi, recevoir le prix Richard-Arès contribuera probablement à une plus grande diffusion des idées que contient Québec, le 18 septembre 2001. Les responsables des médias s’y intéresseront peut-être. Personnellement, j’en doute.

Je termine en vous disant que ce prix m’honore et que votre présence me touche.