Que faire du Bloc?

Comprendre le vote du 2 mai relève du casse-tête, car les règles habituelles qui expliquent le succès ou l’échec des partis n’ont pas été respectées ce qui explique pourquoi le raz-de-marée réalisé par le NPD au Québec apparaît comme rocambolesque. Contre toute attente, les Québécois ont donné massivement leur appui à un parti centralisateur dont le chef ne venait pas du Québec, qui n’avait pas d’équipe de candidats de prestige, dont le programme était plutôt vague, qui n’avait pas d’organisation sur le terrain et qui dans de nombreuses circonscriptions n’a même pas fait campagne.

Même si le résultat de cette élection est surprenant, il confirme toutefois des phénomènes connus des politologues comme le déclin des identités partisanes, la versatilité des électeurs qui changent d’allégeance partisane d’une élection à l’autre ou qui changent leur vote en cours de campagne. Cette élection montre encore une fois que des facteurs à court terme peuvent déterminer le momentum d’une campagne et modifier radicalement les tendances de l’opinion publique en quelques semaines. Cette fois-ci, le débat en français semble marquer le tournant de l’ascension fulgurante du NPD.

On sait aussi que les facteurs émotifs jouent un rôle de plus en plus important dans la mesure où la plupart des électeurs se désintéressent des programmes des partis et des idéologies comme critère de choix. Les médias conditionnent d’ailleurs les critères de jugement que les électeurs utilisent pour évaluer les leaders. Les images et les sentiments deviennent facteur de choix. L’affectif ou le rapport émotif l’emporte sur les arguments rationnels, l’analyse des intérêts ou encore sur les orientations idéologiques. Les partis jouent d’ailleurs sur cette dimension affective dans leurs messages publicitaires et tendent à préférer les contenus émotifs aux contenus programmatiques. On peut illustrer ce phénomène en rappelant que dans deux de ses messages publicitaires, le NPD mettait en scène trois chiens qui aboyaient et une souris qui tournait en rond dans sa cage.

Si l’électeur suivait la logique des idéologies partisanes ou obéissait à un clivage droite-gauche, la répartition des votes n’auraient pas du dégénérer en vague orage. Il est tout de même curieux de constater que les circonscriptions qui avaient voté pour un parti de droite comme l’ADQ en 2007 dans les couronnes nord et sud de Montréal sont toutes passées au NPD. Cela montre bien l’inconstance ou l’inconsistance des électeurs qui sont des électrons libres oscillant selon les vagues de l’opinion publique et des sondages. Si, comme on vient de le constater, les idéologies ne peuvent expliquer le vote et si les variables socio-économiques sont peu discriminantes pour expliquer les choix politiques comme le démontrent plusieurs études, il faut donc faire appel à des variables plus subjectives pour expliquer des changements brusques de l’opinion publique.

Dès lors, on doit admettre que l’engouement pour un chef charismatique et sympathique peut suffire à changer l’intention de vote d’un électeur. Le succès du NPD repose largement sur la performance du chef du NPD qui, en raison de son statut de tiers parti, était plutôt en retrait des confrontations politiques des dernières années qui opposaient les conservateurs, les libéraux et les bloquistes. La logique de la confrontation a obligé ces partis à développer un discours très négatif alors que la relative marginalité du NPD lui a permis de se démarquer de ses adversaires en développant une approche plus positive pouvant ainsi exploiter une certaine fraicheur ou nouveauté apparente qui a séduit l’électorat. Jack Layton n’a pas occupé le devant de la scène publique québécoise ces dernières années ce qui s’est avéré positif pour son parti. Il a pu se targuer de représenter le changement.

Cette élection confirme aussi une autre tendance observée dans les élections québécoises. Lorsqu’il y a un réalignement politique au Québec, il se produit toujours de façon brutale et massive. Rappelons que depuis 1968, le PLC a fait élire en moyenne plus de 60 députés et a atteint le sommet de 74 députés sur 75 en février 1980, aux élections de 1984, les conservateurs récoltèrent 58 sièges, à celles de 1993 le Bloc totalisa 54 sièges et le 2 mai dernier les Québécois donnèrent 58 sièges au NPD. Ce comportement est typique d’un groupe minoritaire qui ne disperse pas son vote et met tous ses œufs dans le même panier pour espérer maximiser son influence sur les décisions. Ce réflexe est une constante de la représentation politique québécoise sur la scène fédérale où les Québécois ne votent pas comme le reste du Canada.

Le succès de l’un dépend souvent de l’échec des autres

Depuis les années soixante, les Québécois ont appuyé massivement tour à tour le Parti libéral, le Parti conservateur et le Bloc québécois. L’élection du Bloc ces vingt dernières années constituait une exception en rupture avec la tradition qui voulait que le Québec vote pour le parti au pouvoir à Ottawa ce qui avait été le cas de 1968 à 1984 avec le PLC et de 1984 à 1993 avec le Parti conservateur. On aurait pu penser que le supposé sentiment de fatigue politique à l’endroit du Bloc les aurait ramenés dans le droit chemin de la recherche du pouvoir et les aurait incités à voter pour le Parti conservateur. Mais cet argument des régions au pouvoir n’a pas eu de succès et le PC a perdu des plumes au profit du NPD dans des châteaux forts supposément acquis aux idées de droite comme dans la ville de Québec.

Puisque les conservateurs n’ont pas su se faire apprécier des Québécois, on aurait pu penser que le Parti libéral avec un nouveau chef plus ouvert à la spécificité québécoise aurait pu représenter une alternative pour ceux qui voulaient un changement de cap. Mais les Québécois leur ont dit non comme jamais dans le passé et le NPD a fait des gains même dans les circonscriptions de tradition libérale.

Le Bloc québécois est le grand perdant de cette élection. On a évoqué la lassitude des Québécois pour l’enjeu constitutionnel et le manque d’ardeur de sa campagne pour expliquer la désaffection des Québécois à son endroit. Cette baisse dramatique au profit du NPD s’explique en partie par le déclin de l’appui à la souveraineté qui n’est plus un enjeu du débat public depuis quelques années parce que le Parti québécois le reporte à un horizon indéterminé. Comme le destin national n’est pas à l’ordre du jour, les électeurs ont pu se dire que le Bloc n’était plus pertinent et qu’il était temps de donner la chance à un autre parti. En délaissant le Bloc pour le NPD, ces électeurs ont accepté le « risque du fédéralisme » comme cela s’est produit dans le passé après l’échec du référendum et le rapatriement unilatéral de la constitution en 1984 où les conservateurs portaient les espoirs de réforme du fédéralisme. Mais cette fois-ci le changement d’allégeance est moins logique puisqu’il n’y avait pas de chance que le NPD prenne le pouvoir ce qui est une condition essentielle pour changer la donne politique. Les Québécois qui espèrent toujours une réforme du fédéralisme ont trouvé dans le discours d’ouverture de Layton une échappatoire commode.

Pour passer de 12 % à 42 % du vote en deux ans, le NPD a forcément attiré des électeurs nationalistes qui ne croient plus à la souveraineté et qui sont prêts à tenter une autre aventure dans le cadre d’un parti canadien. Le NPD a aussi profité de l’appui de souverainistes désinvoltes ou incohérents qui ont oublié les leçons du référendum de 1980 ou de l’échec du lac Meech et qui ne comprennent pas le rôle que le Bloc joue dans l’opposition au fédéralisme ou qui ont été déçus par certaines de ses positions politiques. Certains ont même prétendu qu’en donnant le monopole de la représentation à des partis fédéralistes, cela favoriserait la prise de conscience souverainiste parce que le Canada montrera son vrai visage ce qui aiguisera les contradictions et engendrera de nouvelles crises politiques.

Ils ont oublié les effets de légitimation d’un vote. Les députés du NPD qui parleront en leur nom le feront au nom du Canada et pour le Canada. Leur mission sera de montrer les avantages des politiques nationales qu’ils mettront de l’avant. Ils ont oublié aussi que l’ordre du jour politique reflètera les priorités canadiennes et que les députés du Québec se transformeront en propagandistes du Canada. Ils ont enfin négligé le risque que l’appui au NPD se reproduise dans cinq ans puisqu’alors le NPD jouira de ressources considérables et pourra cette fois-là prétendre remplacer les conservateurs au pouvoir. En votant NPD, les Québécois acceptent d’une certaine façon leur intégration à un jeu politique où ils sont soumis aux impératifs de la logique canadienne.

Quel avenir pour le Bloc ?

L’action souverainiste sur la scène fédérale doit continuer. C’est une nécessité stratégique parce qu’on ne peut gagner la bataille politique en laissant les fédéralistes monopoliser la représentation politique du Québec. Il est illogique de penser que la conscience nationale québécoise peut se bâtir sur l’ambivalence des loyautés. A cet égard, l’élection des députés du NPD représente un recul des forces souverainistes ce qui réjouit les partisans de l’unité canadienne. Le cycle des illusions pourra recommencer et les fédéralistes pourront faire croire aux Québécois que le fédéralisme sert les intérêts du Québec. Dans la bataille pour la conquête de l’opinion, les souverainistes perdent un outil de persuasion. Ils ne pourront plus faire barrage aux chantres de l’identité canadienne qui occuperont toutes les tribunes.

Il faut le rappeler, la fonction essentielle du Bloc québécois est une fonction tribunitienne : utiliser la fonction de député pour renforcer le sentiment d’appartenance au Québec, dénoncer le fédéralisme et promouvoir la souveraineté. Faire la souveraineté par la voie des urnes exige l’accès à l’espace public pour former la conscience des Québécois et combattre les thèses des adversaires fédéralistes. Or ces derniers contrôlent pratiquement tous les instruments de communication et imposent leur hégémonie dans les médias. Les seuls qui peuvent tenir un discours favorable à la souveraineté sont les élus du Parti québécois qui ne le font presque pas et jusqu’à tout récemment les députés du Bloc. Malheureusement, ces derniers depuis vingt ans n’ont pas eu les coudées franches pour le faire.

Le succès électoral du Bloc en 1993 en raison du contexte de l’échec du lac Meech a faussé la perspective. Les 54 élus du Bloc ont permis d’affaiblir les forces fédéralistes et de réduire l’efficacité de la propagande canadienne créant les conditions d’une presque victoire. On a cru par la suite qu’il fallait maintenir une telle force de blocage pour créer des conditions gagnantes. Le Bloc, à l’occasion de six élections consécutives, a réussi à maintenir une forte représentation à Ottawa même si la proportion de ses appuis dans l’opinion publique déclinait d’élection en élection, passant de 49% en 1993 à 38% en 2008. Comme la tenue d’un autre référendum s’estompait avec les élections successives du Parti libéral et les tergiversations du Parti québécois, le Bloc s’installant dans la durée réorienta sa finalité pour devenir un parti qui défendait non pas la souveraineté, mais les intérêts du Québec à Ottawa. Au lieu d’être un parti résolument antisystème et de pratiquer la confrontation ouverte avec le reste du Canada, il servait principalement de courroie de transmission des demandes du Québec. Le projet souverainiste n’étant pas à l’ordre du jour et le Parti québécois étant le maître d’œuvre de la stratégie d’accession à l’indépendance, on peut comprendre que le Bloc ait redéfini sa mission pour devenir le porte-parole du Québec dans son ensemble et non pas le fer de lance du combat souverainiste. De toute évidence, il ne peut plus jouer ce rôle après les élections du 2 mai et il doit se redéfinir.

Le but premier de l’action des souverainistes sur la scène fédérale n’est pas de représenter le Québec comme province, mais de représenter ceux qui désirent l’indépendance du Québec. Il vaut mieux reconstruire le Bloc sur des bases moins larges, mais plus cohérentes pour combattre ouvertement les forces fédéralistes. Quatre députés ont survécu à l’hécatombe, c’est peu, mais c’est mieux que de repartir de zéro. Si comme nous le pensons, la débâcle du Bloc s’explique principalement par la faible politisation des Québécois, la tâche la plus urgente dans la reconstruction du Bloc est de lui donner la mission de former des militants indépendantistes qui pourront relayer le message dans l’opinion publique. Ce travail de formation militante a toujours été négligé par les partis souverainistes et il est temps de tirer les leçons de cette inconséquence.