Rachad Antonius et Normand Baillargeon. Identité, « race », liberté d’expression

Rachad Antonius et Normand Baillargeon
Identité, « race », liberté d’expression. Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche
Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2021, 396 pages

Le recueil Identité, « race », liberté d’expression : Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche a beaucoup fait parler de lui à sa sortie en novembre 2021. Dirigé par Rachad Antonius et Normand Baillargeon, ce collectif rassemble des personnalités universitaires, médiatiques et militantes qui s’identifient majoritairement à la gauche, mais qui critiquent vertement le courant woke.

Rachad Antonius et Normand Baillargeon
Identité, « race », liberté d’expression. Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche
Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2021, 396 pages

Le recueil Identité, « race », liberté d’expression : Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche a beaucoup fait parler de lui à sa sortie en novembre 2021. Dirigé par Rachad Antonius et Normand Baillargeon, ce collectif rassemble des personnalités universitaires, médiatiques et militantes qui s’identifient majoritairement à la gauche, mais qui critiquent vertement le courant woke.

En abordant de front des sujets chauds comme la liberté académique, le « mot en N », le politiquement correct et la question identitaire, les vingt auteurs rappellent que le wokisme n’a pas le monopole de la gauche, et qu’il existe un courant progressiste qui tient toujours aux grandes valeurs de raison, de laïcité, de liberté d’expression et d’universalité qui se trouvent au cœur de la modernité.

Les Lumières absentes de la pensée woke

Parmi les reproches formulés au wokisme, le plus important est sans doute de s’éloigner des valeurs des Lumières qui avaient guidé la gauche historiquement. En rejetant la raison au profit de l’émotion, la nouvelle gauche instaure un règne du ressenti et de la subjectivité, au détriment d’une objectivité ringardisée et déclarée « oppressive ». Comme le dit Pierre Mouterde, la gauche troque sa position analytique de la société pour une position moralisante, qui la confine à un rôle d’éternelle offensée, sans pour autant proposer des solutions adaptées aux véritables problèmes de l’époque.

Christian Boyer soulève quant à lui les racines postmodernes du wokisme, qui l’amènent à regarder la science et la raison d’un œil suspect. Si tout savoir est réduit à des relations de pouvoir, alors il n’existe plus de vérité objective sur laquelle s’appuyer pour se comprendre. Il y a dans cette perspective radicale, circulaire et irréfutable une rupture fondamentale avec la modernité, pour entrer dans une régression que conspuent les « progressistes traditionnels » à l’origine de cet ouvrage.

La fin de l’universalité

Les auteurs d’Identité, « race », liberté d’expression déplorent également le repli particulariste de la gauche woke, laquelle délaisse les grands idéaux d’universalité de la gauche classique pour entrer dans une politique des identités, où les appartenances sont pensées en silos plutôt qu’en commun. Qussaï Samak rappelle avec justesse qu’historiquement, « la gauche s’est donné[e] la tâche et le devoir de défendre et de promouvoir les intérêts civiques, matériels et moraux de la majorité sociale de tout pays » (p. 92). Depuis quelques années, un retournement total a eu lieu sur cette question fondamentale, alors que les progressistes ne semblent plus intéressés par le bien commun, les projets collectifs et un Nous rassembleur.

Marie-France Bazzo y voit une rupture majeure, peut-être le passage d’une génération à une autre, comme les affects exploités par le wokisme sont ceux d’une nouvelle cohorte « [formée] au triomphe de l’individu » (p. 251). Au contraire de cette nouvelle gauche, tous les auteurs du collectif, sans exception, accordent une grande importance à l’universalité, au rassemblement, au métissage par-delà les tranchées identitaires, et affichent une sincère nostalgie pour les années pas si lointaines où défendre la laïcité et le collectif étaient toujours des valeurs dites de gauche.

Faire le jeu de la droite

Le reproche qui revient le plus souvent à l’endroit de cette gauche, que bien des contributeurs de l’ouvrage refusent de reconnaître comme telle, est de « faire le jeu de la droite ». En s’attaquant à des valeurs chéries par la vaste majorité des citoyens, le wokisme salirait le nom de la gauche tout entière et pousserait les électeurs dans les bras de la droite.

Michel Roche analyse le mépris de classe qu’il perçoit dans le discours woke faisant des classes populaires blanches des « privilégiés » du fait même de leur couleur de peau. C’est avec une telle attitude que les progressistes s’aliènent de plus en plus leurs alliés traditionnels, dit-il. Tous s’entendent pour dire que la critique du wokisme et du politiquement correct ne doit pas être laissée aux conservateurs, sous peine de créer une polarisation qui marginaliserait la gauche politiquement.

Ramener la gauche à la raison

Entre Duplessis et les wokes, y a-t-il de la place pour une troisième voie ? C’est le pari que font les auteurs d’Identité, « race », liberté d’expression : Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche. Le recueil de Rachad Antonius et Normand Baillargeon tente de rappeler l’existence de la « gauche traditionnelle », universaliste, rassembleuse et laïciste qui se voit de plus en plus marginalisée dans l’espace public dernièrement, au profit d’une nouvelle gauche jugée régressive et en rupture avec les idéaux de la modernité.

Il va sans dire que le retour en force de ce courant progressiste calmerait la polarisation qui va en grandissant au Québec, mais qui sait si une telle chose est possible ? Avec des relais médiatiques et politiques importants, le wokisme ne semble pas près de s’effacer de lui-même, et il réclame lui aussi le monopole de la gauche et du progrès. S’il a raison, les auteurs du présent recueil sont de nouveaux conservateurs qui s’ignorent et qui mènent un combat d’arrière-garde en voulant désespérément s’associer à la gauche. Qui a raison ? Seul le temps nous le dira…

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