Remettre l’indépendance du Québec sur la carte politique mondiale

Pour la première ministre ontarienne, Kathleen Wynne, le Québec n’est plus sur l’écran radar. C’est grave, mais plus grave encore, la plupart des politiciens d’autres pays ont déjà oublié que le Québec a déjà été sur l’écran radar. Le « Vive le Québec libre » de Charles de Gaulle et les secousses référendaires de 1980 et de 1995 sont bien loin. Le Québec et les Québécois seraient rentrés dans le rang canadien. Que le Parti libéral du Québec s’en réjouisse n’étonnera personne. Mais que les souverainistes n’y voient pas de problème, voilà quelque chose qui déconcerte.

Les absents ont toujours tort. Mais a-t-on vraiment pris la mesure du tort que nous nous faisons en choisissant le chemin facile, voire opportuniste, du refus de nous positionner dans les grands débats politiques internationaux comme les paradis fiscaux, les fonds vautours, la guerre, le colonialisme (nouveau et ancien), la Palestine, les politiques guerrières, l’OTAN ou le militarisme ?

Nous héritons pourtant d’une tradition dont nous pouvons être fiers. Rappelons à titre d’exemple la solidarité des Patriotes avec l’Irlande et leur défense d’idées républicaines, autant françaises qu’américaines, l’opposition massive à la participation à des guerres impériales (guerre des Boers, Première Guerre mondiale), la solidarité dans les années 1960 avec les mouvements de libération des colonies ou le mouvement des Noirs aux États-Unis ou encore plus récemment les manifestations massives contre la guerre contre l’Irak. (Toutes proportions gardées, Montréal a connu, en hiver 2003, les plus grandes manifestations au monde).

Bref, la tradition populaire est remarquable, mais les dirigeants politiques ne sont pas toujours au diapason. En fait, le Québec politique (tel que représenté à l’Assemblée nationale) semble toujours réticent à se mêler de politique internationale, préférant s’en remettre à Ottawa. Les raisons de cette préférence sont nombreuses et variées : la mainmise de la Couronne britannique sur la politique étrangère du Canada jusqu’à 1931 n’y est pas étrangère, mais c’est probablement à l’intimidation de l’État canadien et à son appareil diplomatique que l’on doit attribuer cette réticence.

Si le Québec hésite à se positionner sur la politique internationale, il est carrément frileux quand il est question de critiquer le Canada à l’étranger, que ce soit en politique étrangère ou en politique « interne ». Et ce n’est pas la matière qui manque – mentionnons seulement, en politique étrangère, Kyoto, Israël, paradis fiscaux ; et en politique interne, violation de la loi référendaire québécoise en 1995, conditions de vie lamentables des autochtones, exploitation pétrolière…

Que fait l’Écosse ?

Au moment d’écrire ces lignes, les yeux sont tournés vers l’Écosse ; les lecteurs sauront déjà les résultats du référendum écossais. Le chef du camp du OUI s’appelle Alex Salmond, premier ministre de l’Écosse et chef du Scottish National Party. Ce dernier n’a jamais hésité à sauter dans l’arène internationale. Printemps 1999, l’OTAN, dont l’Écosse était nécessairement membre, car elle fait partie du Royaume-Uni, bombardait Belgrade et ce qui restait de la Yougoslavie. Mais se tenaient aussi les premières élections écossaises depuis… 1707. Faisant campagne pour l’indépendance de l’Écosse, Alex Salmond a fustigé le premier ministre britannique Tony Blair et l’OTAN, car cette guerre, selon lui, violait le droit international et, ainsi, était donc illégale. Une Écosse indépendante, disait-il, n’y aurait pas participé.

Salmond a immédiatement subi les tirs groupés de Londres (médias et politiciens) et du Parti travailliste écossais, mais il n’a pas bronché. À court terme, on a tenté de le marginaliser, mais le dirigeant écossais a rebondi.

En somme, par ce geste, fondé sur des principes régissant les nations libres, Alex Salmond a fait comprendre au monde entier, mais aussi, et peut-être surtout, aux Écossais eux-mêmes que l’indépendance de l’Écosse ne serait pas un simple réaménagement du Royaume-Uni, et de ce qui fut l’Empire britannique. Elle serait une transformation fondamentale avec des répercussions bien au-delà des frontières écossaises, britanniques, voire européennes[1].

Sur un autre sujet, qui revient annuellement, ou presque, et donne du fil à retordre aux dirigeants souverainistes québécois, la Palestine, les indépendantistes écossais nous semblent exemplaires. Alors qu’Israël fait de Gaza une quasi-prison à ciel ouvert en imposant un blocus économique étanche tout en le bombardant sans cesse, le Scottish National Party et son chef Salmond demandent une levée du blocus depuis au moins 2012 et n’hésitent pas à exprimer leur solidarité envers Gaza pendant la guerre meurtrière de l’été 2014. Des villes écossaises ont même hissé le drapeau palestinien. Notons aussi que les Irlandais, autre nation sœur du Québec, n’étaient pas en reste : les femmes et hommes députés de Sinn Fein au parlement européen se sont tous levés en tenant des drapeaux palestiniens où il a été écrit notamment, « Arrêtez l’occupation de la Palestine », « Non à l’agression militaire israélienne ».

L’inspiration chez nous

Cette clarté et, disons-le, ce courage des dirigeants écossais et irlandais tranchent avec la timidité que l’on constate chez les dirigeants souverainistes québécois. Hormis Mario Beaulieu du Bloc québécois, nos dirigeants semblent avoir tout fait pour ne rien dire pendant l’été meurtrier de 2014. Pourtant, s’il y a un sujet où le Québec peut montrer urbi et orbi qu’il n’est pas une pâle copie du Canada où règne une coalition PC-PLC-NPD pro-Israël c’est bien la Palestine. Nous n’avons pas à chercher loin pour trouver de l’inspiration (et du courage).

René Lévesque peut nous en apprendre, lui qui, dès les années 1970, appuyait l’idée d’un État palestinien libre à côté d’un État israélien, alors que la plupart des politiciens occidentaux, surtout en Amérique du Nord, partageaient l’idée de l’ancienne première ministre israélienne Golda Meir selon laquelle « Le peuple palestinien n’existe pas » (Washington Post, 16 juin 1969). Le Parti québécois reconnaissait la nature colonialiste d’Israël et puisque le mouvement souverainiste trouvait ses origines dans la lutte contre le colonialisme, notamment en Algérie, il était dans l’ordre des choses d’appuyer un peuple qui voulait se libérer.

Pratico-pratique, ce positionnement a amené le Parti québécois à inviter le représentant officiel de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à assister à son congrès de 1981. Ce n’était pas banal, car il devenait ainsi le premier parti gouvernemental en Amérique du Nord à oser le faire. Quand les médias (dont La Presse), toujours aussi prévisibles, l’ont attaqué, le premier ministre René Lévesque n’a pas reculé d’un pouce. Autre geste, tout aussi conséquent, le Parti québécois a critiqué l’invasion israélienne du Liban de 1982, les massacres de Sabra et de Chatila, dirigés par Ariel Sharon, et la venue ce dernier à Montréal en juin 1983.

« Plus on est servile, plus on est asservi »

D’aucuns répondront que le Québec doit éviter de mettre à dos les grands de ce monde, surtout les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Répondant à cette objection lors d’une rencontre à Montréal avec des dirigeants du Parti québécois peu après la première guerre contre l’Irak (celle de Bush père en 1991), l’ancien ministre de la Justice des États-Unis, Ramsey Clark a souligné que « plus on est servile, plus on est asservi ».

Un autre exemple s’est présenté pendant l’été 2014. Début juillet, on apprend que les fonds « vautours » étasuniens tentaient d’étrangler financièrement l’Argentine. L’Organisation des États américains (OÉA) a adopté une déclaration de soutien à l’Argentine, parrainée par le Brésil et l’Uruguay, afin qu’elle trouve un accord équitable avec ses créanciers. Seuls deux États s’y sont opposés. Devinez lesquels ? Les États-Unis et le Canada. Encore une fois, l’absence d’une voix québécoise indépendante prive des États et des nations frères d’un appui important.

Notre ADN politique

Le Québec a une vision unique et apporte une contribution originale dont le monde pourra profiter. Le droit des nations à l’autodétermination et à la souveraineté est dans notre ADN politique. C’est, entre autres, ce qui nous distingue des partis politiques et de la classe politique canadienne, dont la pierre d’assise est la négation de l’existence de la nation québécoise – et des nations autochtones. Cette distinction nous amène à avoir des positions sur la politique internationale qui tranchent nettement avec celles du Canada. Or, rarement osons-nous le déclarer haut et fort.

Les torts pour le Québec sont considérables. Nous disparaissons de « l’écran radar », comme disait l’autre. On nous perçoit comme une pâle copie du Canada. Nos interlocuteurs, qu’ils soient européens – y compris les Français –, africains, latino-américains ou asiatiques peuvent ainsi passer par-dessus notre tête pour faire affaire avec ceux qui sont sérieux, c’est-à-dire les autorités politiques et économiques du Canada, en sa métropole, Toronto. Pourquoi faire affaire avec le substitut, le numéro 2, quand le capitaine est disponible ? Après tout, se disent-ils, il n’y a pas de différence.

Notre silence en politique étrangère, notre timidité et notre manque de clarté et de courage nous causent des torts maintenant, car ça conforte la tendance unitaire du Canada. Mais sur le long terme, ça peut nous causer aussi un tort considérable en terme de reconnaissance par d’autres pays.

L’ancien premier ministre Jacques Parizeau raconte l’histoire d’une rencontre qu’il a eue avant le référendum de 1995 avec un diplomate suédois. Après des échanges sur l’avenir du Québec, le diplomate lui a rappelé avec un sourire que la Suède a été le premier pays non impliqué dans la guerre de l’Indépendance des États-Unis à reconnaître la nouvelle république. Bref, la diplomatie a la mémoire longue.

Dans notre marche vers l’indépendance, nous aurons besoin d’appuis et de reconnaissance. Contrairement à la période d’après-guerre, le monde aujourd’hui est multipolaire. Par conséquent, il est dans le plus grand intérêt du Québec de se positionner clairement dans les débats de politique internationale, quitte à se faire taper sur les doigts de temps en temps. Nous devons nous inspirer des principes de liberté, du droit des peuples, des nations et des personnes et de solidarité, mais aussi d’une tradition québécoise remarquable.

 


 

[1] L’auteur a assisté aux élections écossaises de mai 1999 à titre d’observateur délégué par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Pendant son séjour, il a interviewé le chef du SNP, Alex Salmond.