Cet article a reçu une mention d'honneur pour le prix André-Laurendeau
Le 12 juillet 1963, dans un parc de Québec, une bombe fait voler en éclats la tête de la statue de la reine Victoria. Le corps et les morceaux de la tête sont conservés précieusement. À l’approche du 400e anniversaire de la fondation de la ville, en 2008, un ancien conseiller municipal suggère aux responsables de la fête de faire restaurer la statue et de la remettre en place. Il justifie sa démarche en ces termes : « Le régime britannique fait partie de notre histoire et je pense que nous sommes suffisamment matures pour le reconnaître et le commémorer » (Le Devoir, 13 décembre 2004).
Actions isolées d’obscurs citoyens ? En 2008, après une année de recherches et de consultations sur les « accommodements raisonnables » en matière religieuse, la très médiatisée commission Bouchard-Taylor remet son rapport au gouvernement du Québec. Parmi les nombreuses recommandations, celle de retirer le crucifix de la salle de l’Assemblée nationale entraîne une réaction immédiate des dirigeants politiques réunis : le crucifix restera là, décident à l’unanimité la centaine d’élus présents ! (Le Devoir, 23 mai 2008)
Ces conflits à propos de sculptures – le crucifix aussi est une sculpture – ont-ils une réelle importance aux yeux de nos contemporains préoccupés de problèmes politiques, économiques et culturels jugés autrement plus graves ? Pour notre part, nous estimons qu’il s’agit d’escarmouches dans une guerre psychologique complexe et d’une très grande ampleur menée depuis longtemps au Québec.
Nous n’entreprendrons pas ici de décrire cette guerre psychologique, seulement de montrer comment elle se joue dans le domaine très circonscrit de l’art public de l’agglomération de Québec. Premièrement, nous formulerons quelques définitions et propositions sur lesquelles nous appuierons notre analyse. Deuxièmement, nous indiquerons les critères et les sources ayant servi à constituer notre corpus de sculptures publiques en hommage à des personnalités ou à des groupes qui ont marqué l’histoire du Québec et du Canada. Troisièmement, nous identifierons certaines caractéristiques des récits que produisent les sculptures publiques sélectionnées. Quatrièmement, nous tenterons d’expliquer deux paradoxes que nous avons relevés à propos de ces récits.
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