- Numéros publiés en 2014
- Octobre 2014
- Robert Laplante
Éditorial - Une exigence logique, un impératif catégorique
Entre les manifestations de solidarité et les attitudes compensatoires d’une bataille livrée par procuration, la frontière était mince. Plusieurs l’auront franchie allègrement, ce qui aura donné beaucoup de babillage médiatique tout en provoquant néanmoins, des redites et rappels pathologiques dont les significations politiques n’ont pas toutes été tirées, tant s’en faut. Nous serons vite passés des Highlands aux bas-fonds de la politique canadian. Ainsi aurons-nous eu droit au retour du spectral Stéphane Dion, tout heureux de bomber le torse devant les caméras pour vanter sa camelote de Clarity Bill et pour poser au grand théoricien de la démocratie. Il était pathétique à voir, tout autant que ceux-là qui ont accepté de lui donner la réplique, s’enlisant encore et toujours dans une pensée étrangère et hostile à notre peuple et à son existence.
Il était patent, en effet, que ce que cet intermédiaire utile avait à dire n’avait rien de la recherche d’un dialogue fécond et tout de la menace voilée et des sous-entendus pernicieux. Il fallait l’entendre ergoter sur les périls que ferait subir à la démocratie un vote à 50 % plus une des voix pour un « choix aussi grave » que celui de l’indépendance alors que les difficiles négociations qui s’ensuivraient seraient susceptibles d’amener nombre de citoyens à regretter leurs votes et à vouloir revenir en arrière. Il a toujours la manière, l’homme qui a soutenu que la meilleure façon de faire reculer les appuis à l’indépendance reste celle de la force : faites-les souffrir a-t-il déjà soutenu, grisé par les applaudissements de l’establishment torontois trop heureux de voir que l’Indirect rule faisait toujours d’excellentes recrues.
Drapé dans la vertu, il nous aura refait le coup du videur sophistiqué. Sous de savantes élucubrations aux allures de carottes philosophico-politiques se profilait le bâton canadian. Le Canada ne fera pas dans la dentelle. Il nous tient dans un carcan et sa poigne restera ferme. Il faut vraiment faire semblant de découvrir des faits troublants pour accorder du sérieux aux Jean Lapierre et Chantal Hébert de ce monde qui nous font le coup du grand dévoilement avec du mémérage post-référendaire. La seule question que l’ouvrage devrait poser est celle de la nature d’un régime aussi fourbe et l’intérêt que notre peuple aurait encore à s’y laisser encarcaner.
Il ne s’est pas écoulé quarante-huit heures avant que les partis politiques anglais ne commencent à branler dans le manche et à laisser entendre que les promesses ne seraient peut-être pas tenues. Et un jour de plus pour que Salmond commence à interpréter le résultat comme une arnaque et s’interroge à voix haute sur le bien-fondé d’une stratégie politique – le référendum – qui laisse les indépendantistes dans une position d’extrême vulnérabilité devant les gigantesques moyens de propagande d’un État au surplus en mesure d’instrumentaliser la quasi-totalité du complexe médiatique. Et voilà le SNP engagé dans des débats qui ont épuisé le Parti québécois et dévoyé le combat pour l’indépendance…
En attendant que le cirque médiatique reparte à l’occasion du référendum que les Catalans tiendront contre Madrid et sans avoir droit de le nommer comme tel, les indépendantistes québécois auraient intérêt à retenir la leçon primordiale de leur campagne : une action militante visant la mobilisation de la société toute entière. Les indépendantistes catalans ont mis des années à investir tous les lieux où ils pouvaient gagner de l’influence pour faire progresser leur lecture de la situation, pour relever le niveau de compétence civique de leurs concitoyens et les outiller pour construire une conscience nationale forte. Ils n’ont pas seulement évoqué le goût de la liberté, ils se sont immiscés dans tous les interstices du pouvoir, grappillant centimètre par centimètre les zones d’influence où faire prévaloir la capacité de lecture et de promotion de l’intérêt national.
Voilà une leçon à retenir d’ores et déjà du proche rendez-vous catalan. Les indépendantistes doivent se faire présents partout : commissions scolaires, groupes de pression, conseils d’administration des universités, des cégeps, des hôpitaux, partout où se définit l’intérêt public. Ils doivent y œuvrer à découvert, faisant sans relâche le procès du régime et faisant valoir en quoi et comment l’existence institutionnelle dans le cadre provincial empêche de bien poser et de bien servir notre intérêt national. La gestion provinciale est toxique, elle contraint à fonctionner dans un univers de compromis bancal qui force à intérioriser les contraintes du régime, à vivre aux conditions que nous fixe le Canada.
Il ne sert à rien de se perdre en spéculations sur la pertinence ou pas de tenir un référendum ou sur la mécanique d’une éventuelle reprise de l’initiative politique par la formulation de divers scénarios de propositions de négociations avec le Canada. Il a réglé notre sort et n’entend guère revenir sur un dossier clos. Il utilisera certes des leurres et ne manquera pas de mobiliser des concierges pour vanter le bonne-ententisme et laisser miroiter l’ouverture au dialogue (patient, cela va de soi !), mais ce sera que pour faire diversion et manipuler les élites velléitaires d’un Québec frileux. Le travail que nous avons d’abord à faire est de reconquérir tous les espaces de la société civile pour débusquer toutes les représentations tordues que distille la pensée annexée, pur produit de la gestion provinciale. Il faut partout faire valoir une vision claire de ce que nous dicte notre intérêt national pour faire comprendre en quoi le consentement aux contraintes du régime nous éloigne de la construction de notre maison. Pour cela, il faut s’attaquer à la formulation d’une véritable doctrine à placer au fondement des actions à entreprendre et des débats à mener.
Bien fait, ce travail permettra de définir le contexte dans lequel un mandat électoral pourra être sollicité. Le projet d’indépendance est d’abord aspiration à la liberté. Pour en donner le goût il faut non seulement faire voir les chaînes et les entraves, il faut en débusquer les points d’ancrage. Quand ils apparaîtront pour ce qu’ils sont, les problèmes de la province ne seront plus vus dans l’espace de solution canadian. Un mandat de réaliser l’indépendance apparaîtra alors comme une exigence logique, un impératif catégorique.