Écrire une page d’histoire à la MRC de D’Autray

Ce n’est pas sans inquiétude qu’en cette soirée du 4 février 2015, je me suis installée dans l’une des 70 chaises alignées au fond de la salle des délibérations de notre MRC de D’Autray située en la belle ville de Berthier. Ce n’était pas la première fois que je m’y rendais pour questionner nos élus au sujet du passage de l’oléoduc de TransCanada sur notre territoire. Pour ma part, c’était la troisième participation, mais d’autres m’y avaient précédé à plusieurs reprises. Ils arrivaient parfois seuls, parfois en couple et parfois même en groupe. En voyant ces citoyens remplir les sièges, puis manquant de place se tenir par dizaines debout à l’arrière, je me suis demandé qui étaient ces gens qui décidaient de se déplacer par un froid de canard, un soir de semaine, pour venir s’adresser à leurs élus.

Qui sont ces femmes, ces hommes qui se dressent face à une puissante machine de l’industrie pétrolière ? D’où viennent-ils, quel âge ont-ils, de quel milieu sont-ils issus ? Qu’est-ce qui les habite ? Autant de questions qui me viennent à l’esprit lorsque je les vois se lever avec aplomb, s’exprimer avec élégance, dans une langue bien maîtrisée, bien articulée.

Ils développent leurs idées, expriment leur point de vue fermement avec aplomb, mais poliment sans écart de mots ni de ton, parfois même avec humour et bonhomie. Ils savent ce qu’ils veulent ; ils sont déterminés ; ils sont articulés. Ils tentent de faire comprendre à leurs élus qu’ils se doivent de se joindre à eux dans la lutte pour la qualité de l’air, la sauvegarde de l’eau potable, l’intégrité du territoire et particulièrement contre le réchauffement climatique.

Ils sont de tous âges, adolescents, jeunes adultes, d’âge moyen, d’âge mûr et l’on retrouve même des aînés dépassant les quatre-vingts ans. Ils représentent toute une brochette de compétences : producteurs agricoles, mécaniciens, enseignants, informaticiens, biologistes, gestionnaires, horticulteurs, infirmiers, préposés, commerçants, secrétaires, camionneurs, éducateurs et quoi encore.

En cette soirée du mercredi 4 février 2015, ils sont venus entendre la réponse de leurs élus à leur question : « Quelle est votre position face à l’implantation de l’oléoduc Énergie Est sur notre territoire ? » Je revois les 15 maires des municipalités de notre MRC placés en demi-cercle avec le préfet au centre accompagné du directeur adjoint à sa droite et de la secrétaire à sa gauche. Je les observais les uns après les autres ces femmes et ces hommes qui, ce soir-là, on s’en doute bien, avaient une conscience particulièrement aiguë de leurs responsabilités envers leurs commettants. Je ne savais trop quoi penser, je ne savais trop à quoi m’attendre étant donné qu’au cours des séances précédentes quelques-uns d’entre eux avaient manifesté un certain défaitisme devant le puissant lobby pétrolier. Enfin arriva le moment de la proposition lu solennellement par le préfet qui se résume par un NON catégorique au passage de l’oléoduc sur le territoire de la MRC de D’Autray. Je me suis dit : « Jamais je n’aurais pensé être aussi fière de ma MRC. »

Il s’agissait là du résultat du travail acharné de citoyens conscients de l’importance de l’enjeu et du travail à accomplir. C’est au sein du regroupement des Comités Vigilance Hydrocarbures (CVH) qu’ils se sont solidarisés. Ces comités couvrent la majeure partie du territoire de la MRC. Les membres viennent de partout ; que ce soit du nord comme à Saint-Gabriel, Saint-Didace ou Mandevile, que ce soit du centre comme à Saint-Cléophas, Saint-Norbert ou Sainte-Élisabeth. Les plus nombreux viennent de la couronne sud à proximité du Saint-Laurent là où doit passer le fameux oléoduc. Toutes ces communautés sont représentées par leur CVH. On les retrouve à Saint-Barthélemy, Saint-Cuthbert, Sainte-Geneviève-de-Berthier, Berthierville, Saint-Ignace-de-Loyola, La-Visitation-de-l’Île-Dupas, Lanoraie et Lavaltrie. Les Comités de Lanaudière sont complétés par ceux de Saint-Sulpice, Repentigny, L’Assomption et L’Épiphanie.

Tout a commencé en 2012, alors que nous apprenions que la plaine du Saint-Laurent était sous permis gazier et que ce développement menaçait l’approvisionnement en eau, l’intégrité du territoire et la qualité de vie des communautés rurales. À Saint-Gabriel-de-Brandon, le 5 février, les Amis de l’environnement de Brandon invitent M. Marc Brullemans, docteur en biophysique à donner une conférence intitulée : « Le gaz de schiste au Québec ; un tournant de notre histoire ? » Nous avons alors appris que des forages par fracturation causaient des problèmes sur la Rive-Sud du Saint-Laurent et que cette réalité se pointait sur la Rive-Nord.

L’intérêt démontré par le nombre de participants et les questions posées lors de cette rencontre incitèrent les organisateurs à former un premier « Comité de vigilance gaz de schiste » dans Lanaudière. Une vingtaine de citoyens de Brandon et des environs se regroupèrent afin d’informer, de sensibiliser et de mobiliser la population contre l’exploitation des hydrocarbures fossiles par fracturation et à plus long terme pour l’abandon progressif des énergies fossiles au profit des énergies vertes sur l’ensemble du territoire québécois.

En mai 2012, dans la MRC de L’Assomption, des comités sont formés à Saint-Sulpice, Repentigny et L’Assomption. Par la suite, plusieurs conférences et séances d’information sont organisées ainsi que des rencontres avec des élus. En 2013, s’ajoutent les comités de Saint-Norbert et de Saint-Cuthbert.

En 2014, en plus d’avoir la plaine du Saint-Laurent sous permis gazier pour l’exploration et l’exploitation du gaz ou du pétrole de schiste, voilà que nous arrive la compagnie TransCanada avec son projet Énergie Est qui veut traverser le Québec avec un oléoduc d’un diamètre de 42 pouces transportant 1,1 million de barils de pétrole brut par jour provenant de sables bitumineux de l’Alberta. Il n’en fallait pas plus pour modifier le nom des regroupements pour celui de Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec (RVHQ).

Loin de s’essouffler, le mouvement multiplie ses activités. Le 17 février, participation de 800 personnes de la région de Lanaudière au lancement d’une pétition de 28 565 signataires ; le 19 mars, soirée d’information à Saint-Sulpice avec Marc Brullemans comme conférencier ; le 28 mai, autre soirée d’information, cette fois-ci avec Jacques Tétrault, biologiste, président de tous les regroupements de vigilance du Québec. Au début juin, accueil des participants à la Marche des Peuples pour la Terre Mère ; le 2 juin à Berthierville ; le 3 juin à Lanoraie et le 4 juin à Lavaltrie.

Des membres de nos regroupements participent sans complexes aux portes ouvertes de TransCanada à Saint-Ignace-de-Loyola, à Lanoraie et à Lavaltrie. Plus récemment, d’autres conférences et rencontres sont organisées à Maskinongé, Lanoraie, La-Visitation-de-l’Île-Dupas, Lavaltrie, L’Épiphanie, L’Assomption, Saint-Cuthbert, Repentigny et Saint-Sulpice. Chaque fois, la population se présente, s’informe, pose des questions.

La lecture de ce compte-rendu des actions entreprises par notre regroupement peut sembler quelque peu longue et répétitive. Nous voulons ainsi signifier que notre mouvement n’a pas ménagé efforts et énergie pour permettre à l‘ensemble de notre population de s’informer et de se forger sa propre opinion sur les enjeux d’un tel projet. C’est ce que nous appelons la démocratie, la démocratie directe. Nous ne craignons pas les opinions contraires à la nôtre et respectons les personnes qui y ont droit.

La cueillette d’informations, la réflexion et les échanges ont fait germer chez nos membres de solides arguments qu’ils ont su exprimer avec des mots et des phrases précis grâce à ce véhicule exceptionnel qu’est notre langue française. Quoi que l’on en dise, ce mode de transport des matières dangereuses projeté par TransCanada n’est pas sans soulever de questions. Pensez-y, 1,1 million de barils de pétrole lourd et de produits nocifs doivent transiter tous les jours dans cet oléoduc d’un diamètre jamais expérimenté à ce jour. Son étanchéité absolue ne peut pas être garantie. En cas de fuite et de déversement qui paiera la note ? Qui est responsable de la sécurité civile ? Qui assurera la qualité de l’eau potable ? Qui sera responsable des opérations ? Verrons-nous arriver le fédéral ou est-ce que nos petites municipalités devront se débrouiller avec le peu de moyens dont elles disposent ?

N’oublions pas la corrosion, l’usure du temps. On sait qu’avec le temps, et c’est bien humain, la surveillance se relâche, la sensibilité au risque diminue, le changement de garde infirme la compétence, l’on devient même parfois indifférent ou imprudent. L’on a qu’à se référer aux récentes catastrophes survenues chez nous au Québec pour en avoir une illustration probante. De plus, en ces temps de perturbations sociales durant lesquelles la menace peut surgir en tout temps et n’importe où, la vulnérabilité de ces installations enfouies à seulement trois ou quatre pieds sous terre sur une distance de 700 kilomètres au Québec, n’est pas sans susciter un sérieux questionnement. L’adage nous dit : « loin des yeux, loin du cœur, » on pourrait également dire : « loin des yeux, loin de la responsabilisation. »

Tout au long du fleuve Saint-Laurent, une bande de terre importante ne pourra plus être utilisée pour l’agriculture. Que fait-on de notre loi sur la protection du territoire agricole ? Ce pétrole des sables bitumineux est particulièrement émetteur de gaz à effet de serre. Pourquoi l’Office national de l’énergie (ONE) refuse-t-il de tenir compte de l’émission de CO2 dans son évaluation environnementale ?

Oui, plus le temps passe, plus nous y réfléchissons, plus nos arguments se multiplient, prennent de la force, de la vigueur, s’imbriquent les uns dans les autres. Ce qui fait la force de notre action, ce sont de solides arguments et une motivation en béton.

Pour étayer notre argumentation, nous avons fait appel à des scientifiques, à des professionnels, à des universitaires tels que Marc Brullemans, biophysicien, Jacques Tétrault, biologiste, Richard Langelier, juriste, Céline Mercier, biologiste et Alexandre Desjardins, avocat du Centre québécois du droit en environnement. L’apport de ces spécialistes est pour nous primordial et nous saluons leur participation souvent bénévole qui témoigne non seulement de leur compétence irréfutable, mais également d’une implication exemplaire absolument essentielle au développement de notre argumentaire.

Ces personnes sont, sans aucun doute, le talon d’Achille de TransCanada. Ils nous ont permis de développer des arguments solides, scientifiques. Dans notre action, nous avons eu le soutien, la collaboration d’hommes politiques, tout particulièrement du député de Berthier, M. André Villeneuve. Des organisations telles que le Conseil régional en environnement de Lanaudière et l’Organisme des bassins versants de la Zone Bayonne ont voté une résolution allant dans le même sens que nous. Tout ceci a construit une solidarité compacte et bien cimentée.

Ceux qui émettent une opinion contraire à la nôtre ne peuvent nous taxer de n’être que des émotifs que des réflexifs. Oui, nous en avons entendu de ces remarques : « Il y en a qui sont toujours contre tout, si on veut aller de l’avant, il faut accepter le développement, ce sont des emplois » ou encore « du pétrole, il nous en faut, nous en avons besoin » et finalement : « à quoi ça sert d’être contre, de toute façon, ça va se faire quand même, c’est de juridiction fédérale. » Il est vrai qu’un tel combat est loin d’être gagné d’avance, mais nous avons le choix : baisser les bras ou affirmer ce que nous sommes, ce à quoi nous croyons et nos convictions.

Lorsque nous alignons les colonnes des pour et des contre, le résultat ne fait pas de doute. Que nous apportera cet oléoduc ? À peine quelques emplois ! Du pétrole dont nous tentons de nous débarrasser de plus en plus et qui ne peut que retarder notre autosuffisance en énergie propre. Alors, pourquoi venir nous embêter avec ce pipeline dont nous pouvons avantageusement nous passer ? Effectivement, nous n’en voulons pas. Ne coule pas chez nous !

C’est ce que ces femmes et ces hommes qui se tiennent debout veulent exprimer, à vous dont le profit est la valeur et l’objectif ultime. Ce sont des êtres qui sont convaincus que la qualité de vie passe d’abord et avant tout par l’entraide, la solidarité et l’humanisme. 

* Odette Sarrazin est engagée dans sa communauté pour un mieux-vivre ensemble. Elle est coordonnatrice Lanaudière pour le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec (RVHQ).

Âgé de 85 ans, Louis Trudeau milite depuis plus de 50 ans. Il continue à œuvrer pour un Québec vert et conscient de ses racines. Il est vice-président d’Organisme des bassins versants de la Zone Bayonne.

 

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