Avril-Mai 2020

Vol. CX, nos 4-5

Retrouver le Québec réel

Une des découvertes les plus étranges que la pandémie nous a permis de faire, c’est celle de tous ces acronymes, produits du génie technocratique, de tous ces organismes, de toutes ces agences aux titres alambiqués qui ont pour mission de veiller sur la santé de la population. Réunis, ils donnent l’impression de former un vaste labyrinthe, et même, pour reprendre à Borges sa formule du « Jardin aux sentiers qui bifurquent », un « labyrinthe de labyrinthes » conçu précisément pour perdre ceux qui osent s’y aventurer, pour rendre fous les esprits les plus aiguisés. Les CHSLD, les RPA, les RPANC, les CISSS – ex-CSSS – qui incluent les CLSC, les CR et les CPEJ, les CIUSSS qui regroupent les RUIS, les RI, les RTF, les SAPA, la DRHCAJ, la DRMG, et j’en passe, toutes ces instances administratives semblent moins avoir pour fonction de nous donner accès au réel que de le maintenir à distance, dans un espace à part, auquel seuls les initiés et autres grands prêtres de la fonction publique peuvent accéder. À les écouter parler de ces choses, on a l’impression d’entendre une glossolalie, la langue des anges : nous nous trouvons devant des entités abstraites présentées sous une forme mystérieuse, fantômes parmi les fantômes, comme dans un poème de Mallarmé, où les mots ont été libérés de leurs attaches, sont devenus des signifiants sans signifié, des « abolis bibelots d’inanité sonore ».

Cette tendance à user des mots comme de subterfuges, comme pour ruser avec le réel, on la connaît trop bien. Dès qu’il est question de parler de la différence québécoise, de son histoire et de son devenir, on multiplie les euphémismes et les formules atténuées, comme s’il fallait sans cesse manifester dans le langage la nécessité du compromis (au Québec, c’est bien connu, il y a toujours moyen de moyenner), qu’il fallait aménager linguistiquement l’incapacité à réaliser le projet de pays, aussi bien d’ailleurs que l’incapacité à y renoncer, rationaliser l’impuissance à coups d’oxymores et de paradoxes savants. En matière politique, on s’est servi des mots aussi bien pour freiner les élans d’affirmation (mine de rien, nous sommes passés de l’indépendance à la souveraineté, de la souveraineté-association au mandat de négocier) que pour cacher certaines vérités désagréables (tout ce qui était jadis « provincial » est devenu « national » : les parcs, la capitale, les politiques), comme pour se maintenir à cheval sur la clôture, pour garder toutes les portes ouvertes et ne franchir le pas d’aucune, pour compter sur un Québec fort dans un Canada uni. La rhétorique fédérale nous a d’ailleurs enrobés dans la même guimauve, s’employant sans relâche à nier la différence québécoise tout en faisant mine de la célébrer, au prix d’un écart toujours plus grand entre les mots et les choses.

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Déclassement social et solidarités familiales

Deux tragédies sont entremêlées durant cette pandémie, une grande, visible, et une petite, invisible. La grande a été beaucoup commentée, discutée, diagnostiquée. Elle s’est déroulée dans les foyers de personnes âgées. La petite, peu visible à l’œil nu, a largement été passée sous silence. Ses séquelles vont prendre un peu plus de temps à se concrétiser. Cette petite tragédie, c’est le mouvement de déclassement social qui va frapper la jeunesse québécoise dans les dix, voire les vingt prochaines années. Je ne veux pas ici minimiser l’ampleur de la première tragédie. Mais il me semble qu’on doit immédiatement réfléchir aux répercussions sociales et économiques pour les jeunes personnes (déjà ou bientôt) engagées sur le marché du travail. Comprendre l’expérience de déclassement, qui frappe déjà la société québécoise, permet à mon sens d’anticiper les prochaines lignes de fractures qui seront au cœur des enjeux politiques de demain.

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La réforme Barrette et la pandémie sur l’île de Montréal

2020avrilmai250Ne cherchons pas de coupables !
Démontons les processus qui mènent à la tragédie…
Mais que fait-on de l’apprenti sorcier ?

Au moment où j’écris cet article, la pandémie de la COVID-19 touche principalement la région de Montréal autant par les morts que l’on compte par centaines que par les milliers de personnes contaminées. Plusieurs CHSLD publics, privés conventionnés et privés non conventionnés sont devenus des mouroirs sous les yeux d’une population traumatisée, du personnel paramédical à bout de souffle et du gouvernement Legault de plus en plus dépassé et incapable de juguler cette crise. L’enfer n’est plus une fable religieuse, mais bien la réalité quotidienne illustrée par ces CHSLD silencieux.

Dans un article intitulé « La réforme Barrette et ses conséquences », paru en février 2018 dans L’Action nationale, j’affirmais que la réforme Barrette était avant tout politique. En prenant l’exemple de l’application de cette réforme sur l’île de Montréal, je démontrais que la création des cinq Centres intégrés universitaires de santé et services sociaux (CIUSSS) de l’île de Montréal – et surtout le partage des territoires correspondants – était avant tout partisan. Deux des cinq CIUSSS seraient gérés par la communauté anglophone (CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal et CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal). La réforme consolidait la mainmise de la minorité anglophone sur les institutions de santé et services sociaux dans le centre-ouest et l’ouest de l’île de Montréal et le Parti libéral du Québec (PLQ) satisfaisait les demandes de sa clientèle électorale. Par contre, la nouvelle répartition rendait plus inéquitable l’offre de services en santé et services sociaux puisque les deux CIUSSS de l’ouest, comparativement aux trois autres CIUSSS (centre-sud, nord et est), étaient avantagés par une population moins nombreuse, plus homogène et, en moyenne, beaucoup plus fortunée et moins problématique sur le plan de la santé et des problèmes sociaux.

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Non à la logique marchande dans les CHSLD

Dans le cadre de la pandémie qui sévit au Québec depuis mars 2020, on a assisté à une hécatombe dans les CHSLD. Le 2 mai, la COVID-19 était dramatiquement présente dans 176 CHSLD (publics et privés) et dans certaines ressources intermédiaires (RI) et de type familial (RTF). Le 7 mai, sur les 2725 décès rapportés dans l’ensemble du Québec, il y en avait 1726, soit plus de la moitié, dans les CHSLD. Le même jour, on consignait 970 cas et 55 décès dans les RI et les RTF (Cousineau, 2020 ; Pineda, 2020 ; Boutros, 2020). C’est ce qui amène Claude Castonguay à parler d’un « gâchis honteux » (Castonguay, 2020).

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Après la COVID-19, l’université québécoise à l’épreuve d’elle-mêmee

Parce qu’elle tient lieu de « fait social total », cette pandémie n’épargnera aucun secteur de notre vie collective, y compris l’enseignement supérieur. À peine étions-nous entrés dans cette crise de longue haleine que déjà le milieu universitaire faisait face à d’immenses défis, à commencer par celui de permettre, par le recours à des moyens alternatifs, à quelques milliers d’étudiants de sauver leur session d’étude. Alors que la poussière retombe lentement sur ce trimestre d’hiver à demi-avorté, que les collations de grades virtuelles sont derrière nous et que la rentrée d’automne s’annonce elle aussi de plus en plus virtuelle, il sied de prendre un peu de recul pour entrevoir les enjeux et les effets de structures que cette crise sanitaire risque d’encourir sur les universités au Québec.

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