- Numéros publiés en 2021
- Mars 2021
- Robert Laplante
Éditorial - Les coûts de la flotte pour le navire Québec
La pandémie n’apporte pas que son lot de malheurs et de détresse. Elle fournit un écran extraordinaire derrière lequel la médiocrité canadian peut encore se dissimuler. Après le scandale du registre des armes à feu, après celui du système de paie Phénix et de bien d’autres, le scandale du renouvellement de la flotte de navires de combat canadien vient encore ajouter à la facture que paient les Québécois pour un régime inepte.
Les coûts, nous dit le directeur parlementaire du budget, sont évalués à 77,3 milliards et pourraient grimper à 79,7 milliards de dollars si la construction retarde d’une année et à 82,1 milliards si le projet retarde de deux ans. Depuis 2008, les coûts ont explosé de 300 % ! Ottawa knows best ! Et tant pis pour le Québec, tant pis pour ses impôts.
Même si elle a été soulignée et dénoncée par le Bloc québécois (24 février 2021) la nouvelle n’a pas fait grand bruit. La covid a tout recouvert. Et la résignation a fait le reste. Les Québécois ont tellement l’habitude de détourner le regard que l’indignation ne leur vient plus. Tout se passe comme si les impôts envoyés à Ottawa sortaient du périmètre de l’intérêt national. Il faut dire que le gouvernement du Québec lui-même et les partis provinciaux se gardent bien de tenir ces sommes dans l’évaluation globale de notre situation économique. Tout ce beau monde respecte le partage des compétences et s’interdit de penser le portrait global…Il y a bien les travailleurs et les dirigeants de la Davie qui s’en scandalisent encore, mais cela fait tellement de fois et tellement longtemps qu’ils poussent les hauts cris. Hormis quelques lamentations occasionnelles et les postures de quémandage affichées comme autant de figures imposées de la gymnastique politicienne, les milliards peuvent partir en incompétence et gabegie, l’ordre canadian reste immuable. Un nouveau gâchis, ce n’est jamais qu’un gâchis de plus à déplorer sans pour autant qu’on s’autorise à conclure qu’il illustre le cours normal des choses. Une perte déplorable n’est jamais qu’une invitation à en minimiser la portée…
Prix de gestion pour le chantier maritime de Lévis, reconnaissance internationale de la qualité du travail et de la compétence, rien n’y fait. Ce n’est pas seulement une affaire de laxisme et de complaisance, c’est une décision géopolitique, un choix délibéré et « systémique » : le Canada ne misera rien de stratégique dans sa province à la loyauté douteuse. Les contrats vont sur la côte ouest et dans les Maritimes, médiocrité ou pas. Le Québec verra des milliards de ses impôts financer des emplois et des équipements pour qu’Ottawa le tienne dans la marginalité et le contraigne à gaspiller ses avantages industriels, à user ses entreprises et à entraver leur dynamisme.
Il n’y a que les petites coteries de la haute-ville de Québec pour se contenter des miettes qu’Ottawa laisse tomber. Les prix de consolation ont toujours fait la grandeur des élites locales qui bombent le torse dans les rôles de concierge. Et qui n’hésitent pas à se faire complices des saccages au mépris des populations, de l’environnement et du patrimoine paysager comme s’entête à le faire l’administration du Port de Québec. Une engeance nommée par Ottawa et qui n’a que faire de la loyauté à sa ville, aux lois du Québec et à la volonté de sa population.
Le fédéralisme nous divise depuis toujours. Il nous divise surtout dans nos têtes. Le Canada dresse un véritable mur entre la population et la lecture de notre intérêt national. Le régime brouille les repères, émiette ce qui devrait être agrégé, empêche de penser l’usage des moyens en fonction des finalités de notre vie collective. Les milliards sont dilapidés et cela ne nourrit qu’une indignation ponctuelle, circonstancielle. Nos impôts sont détournés et retournés contre notre développement.
Ce n’est pas qu’une affaire de péréquation ou de transfert social canadian qui sape la capacité du gouvernement du Québec à remplir ses responsabilités. Ce sont les choix budgétaires, l’incompétence et la médiocrité du régime qui l’usent et réduisent ses moyens de servir notre intérêt national et même, de plus en plus, de répondre aux urgences du moment qui s’imposent dans l’ensemble de ses missions.
Ne pas tenir compte d’une facture de plusieurs milliards qui coulent littéralement dans les pratiques de la marine et du gouvernement canadian, c’est pratiquer une forme d’aveuglement volontaire qui ne peut que se retourner contre nous-mêmes. L’inaction en matière de protection du patrimoine, l’absence d’une politique culturelle à la hauteur des exigences de notre épanouissement national, l’incapacité à se doter d’une infrastructure numérique digne de ce nom ne tiennent pas seulement de l’étroitesse de vue. Ces carences et bien d’autres ne font que nourrir le consentement au rapetissement parce que le budget du Québec n’est jamais rien d’autre qu’une laisse. Le régime nous condamne à gérer notre demi-État qu’avec les moyens que le Canada lui concède.
Les sommes faramineuses englouties dans la résignation et l’aveuglement volontaire ne seront pas consacrées à la relance que la pandémie va rendre nécessaire. Pis encore, les plans de sorties de crise vont servir à imposer des priorités qui ne sont pas les nôtres, décidés ailleurs. Mais il s’en trouvera encore, à la Chambre de commerce de Montréal, au Parti libéral et dans les gazettes pour s’accommoder d’un autre compromis bancal. Les moulins à parole vont tourner pour couvrir les alibis et l’éternelle minimisation des pertes qu’induit toujours le consentement à la minorisation. Quelques dizaines de milliards dilapidés pour la construction navale, après tout, ce n’est que déplorable – on a même déjà vu pire diront les beaux esprits.
Le navire Québec est gouverné à vue, ballotté par des courants qui l’entraînent toujours plus loin des destinations qu’il lui faudrait poursuivre. Et vogue la province.
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