- Numéros publiés en 2022
- Janvier 2022
- Étienne-Alexandre Beauregard
L’école québécoise ne croit plus en elle-même
L’école québécoise va mal et ce n’est pas un secret. Devenu une machine d’ingénierie sociale plutôt que le passeur d’un patrimoine, à genoux devant un étudiant-roi qu’il faudrait désormais divertir pour le faire apprendre, constamment en train de niveler vers le bas pour éviter l’échec, le système d’éducation semble pris dans une impasse dont il n’est pas près de sortir.
À Québec, nul consensus politique n’est aussi tenace que celui qui entoure l’éducation : plus d’enseignants, plus d’argent, plus de technologie, voilà les seules solutions qui sortent des quatre partis à l’Assemblée nationale, ou presque. Au-delà de la quantité de professionnels et du nombre d’élèves par classe, l’éducation est en proie à un problème bien plus grave, que la classe politique choisit d’ignorer de peur de le confronter. Pour le dire simplement, l’école québécoise ne croit plus en sa propre valeur ni en celle des savoirs et de la culture qu’elle a pour mission de partager avec les élèves, et telle est la cause de son incapacité à remplir pleinement le rôle fondamental qui est celui de l’école pour toute nation.
Le refus de transmettre un héritage
Au cœur de la mission de l’école, il y a l’idée de transmettre un bagage culturel aux citoyens de demain afin de leur permettre de devenir les héritiers d’une culture particulière plutôt que des individus déracinés et laissés à eux-mêmes. Pourtant, depuis la réforme pédagogique, alors que les « compétences » ont pris le dessus sur les connaissances, la culture est délaissée comme jamais. Au nom d’une vision extrêmement utilitariste, on pense enseigner la lecture et l’écriture en les séparant de la culture qu’elles portent, comme si la langue n’était qu’un vulgaire outil de communication.
Il suffit de constater l’accueil réservé à la récente proposition des jeunes caquistes d’un cursus commun des grandes œuvres littéraires québécoises pour constater toute l’ampleur du problème. Que faites-vous de l’autonomie des enseignants ? Et si les classiques ne donnaient pas envie aux élèves de lire ? Toutes les raisons sont bonnes pour ne plus transmettre de bagage culturel, alors que la littérature jeunesse et étrangère a majoritairement envahi le cursus scolaire. Cette peur d’imposer sa culture à ses propres enfants n’est rien de moins qu’une démission, tout comme ce préjugé selon lequel la littérature québécoise serait foncièrement barbante et nuisible au sacro-saint « plaisir de lire ». Ce dernier n’est pas davantage au rendez-vous même si l’on fait lire le best-seller du moment en classe, soit dit en passant.
Le cas du cours d’Histoire de la civilisation occidentale, obligatoire au collégial, est tout aussi révélateur du problème de confiance qui afflige présentement l’école québécoise. Face à l’absurde soupçon d’ethnocentrisme entourant l’enseignement de notre propre héritage occidental, le ministère de l’Enseignement supérieur est passé à un cheveu de rayer de la carte ce cours, dans un triste écho de la manie tout américaine visant à « décoloniser » le cursus scolaire. Il a fallu la mobilisation de nombreux professeurs et intellectuels, de même que l’ancien premier ministre Lucien Bouchard, pour que le cours soit maintenu, tout en lui ajoutant quinze heures consacrées à l’Orient. Décidément, il y a un malaise grandissant à l’idée d’enseigner aux jeunes Québécois l’héritage qui est le leur, alors que l’on semblait prêt à les acculturer dans un esprit de « décolonisation ».
Le fer de lance de l’ingénierie sociale
S’ils semblent de plus en plus hésitants à transmettre la culture québécoise et le patrimoine occidental, nos pédagogues n’ont pas les mêmes scrupules par rapport à l’ingénierie sociale. Depuis Éthique et culture religieuse, explicitement conçu pour rééduquer les Québécois à la suite de la crise des accommodements raisonnables, on fait constamment appel à l’école pour réformer le peuple québécois. Sur des sujets clivants comme l’écologie ou le multiculturalisme, on instrumentalise le système d’éducation sans le moindre scrupule pour aplanir des débats légitimes, pour créer des consensus qui n’existent pas dans la société québécoise. Que penser de cette pratique alors qu’il est désormais controversé de vouloir enseigner l’histoire de l’Occident aux Occidentaux eux-mêmes ?
Un système d’éducation qui capitule à l’idée de transmettre un héritage pour se lancer à pieds joints dans l’ingénierie sociale en est un qui n’aime tout simplement pas la société qu’il est pourtant censé servir. Le drame, c’est que cette acculturation des jeunes Québécois se fait sans qu’il soit possible de riposter, tellement les partis politiques craignent de passer pour rétrogrades s’ils osent remettre en question les dogmes modernistes de cette machine à fabriquer des orphelins de culture, isolés des générations qui les ont précédés.
La montée de l’étudiant-roi
Derrière cette crainte nouvelle d’imposer une culture et des connaissances au-delà des strictes compétences nécessaires pour survivre sur le marché du travail, on peut déceler la montée d’une nouvelle idole : l’étudiant-roi. À l’ère des enfants-rois, il fallait bien s’y attendre. Contrairement à l’étudiant d’hier, l’étudiant-roi ne vit que pour le plaisir, et nos pédagogues se sont mis dans la tête qu’il faudrait se plier à ses caprices pour qu’il apprenne. Plutôt que de lui demander de s’adapter à l’école, et ensuite à la société, ce sont elles qui doivent s’adapter à lui, à sa capacité de concentration déficitaire et à son obsession pour les nouvelles technologies.
Cette mentalité explique en large partie le rapport malsain qu’entretient l’école avec les nouvelles technologies. Avec la profonde conviction qu’intégrer la « bébelle » de l’heure en classe attirera l’attention des élèves, on fait de plus en plus appel au tableau intelligent, à l’ordinateur personnel, au iPad, sans forcément savoir quoi faire avec. Sous prétexte de « motiver » les élèves à apprendre en leur permettant de passer toujours plus de temps sur ce qui occupe déjà la majeure partie de leurs loisirs, on a capitulé et cessé de leur enseigner les plaisirs perdus de la lecture et de l’écriture papier, lesquels sont en voie de disparition.
Versant dans l’extrême, on en vient à des absurdités comme les programmes « Fortnite-études1 », reprenant l’esprit du sport-études pour permettre aux élèves de passer une partie de leur journée scolaire à jouer à des jeux vidéo. Bref, on suppose que l’étudiant-roi sera plus motivé à fréquenter l’école si on lui permet de faire exactement ce qu’il ferait chez lui s’il ne venait pas à l’école ! C’est l’évidence même, et la preuve que l’école québécoise n’a tellement plus confiance en ce qu’elle enseigne qu’elle est prête à tout pour se rendre « intéressante », même si cela implique de compromettre sa raison d’être. Pourtant, quoiqu’elle fasse, elle sera toujours perdante devant les Netflix et TikTok de ce monde, dont le but est justement d’amuser, sans arrière-pensée pédagogique.
Réapprivoiser l’ennui et les plaisirs perdus
Comme l’écrivait récemment Louis Cornellier2, l’école doit de toute urgence accepter un « ennui plein de promesses » et assumer que les savoirs et connaissances qu’elle doit transmettre peuvent être imposés aux élèves, même s’ils aimeraient mieux faire autre chose de leur journée. N’est-ce pas l’évidence même ? Pourquoi prendrait-on la peine d’envoyer les enfants à l’école s’ils apprenaient l’algèbre, l’histoire et la littérature par eux-mêmes dans leurs temps libres ? Se complaire dans le divertissement, c’est la meilleure manière de niveler vers le bas et de créer une aristocratie de fait, uniquement conditionnée par l’origine socio-économique.
En effet, si l’école se retire du champ de la culture pour se contenter d’enseigner les compétences de base, comment penser que les enfants qui n’ont pas accès à la culture dans leur milieu familial la découvriront ? Ils en seront pour toujours appauvris, n’ayant jamais pu sortir du fast-food intellectuel américanisé qui domine aujourd’hui le marché, demeurant coupés de références nécessaires pour comprendre leur société et en être pleinement citoyens. Ce ne sera la faute de personne d’autre que de ces grands pédagogues qui croyaient pourtant faire une faveur aux étudiants-rois en les laissant faire leur loi sur le cursus scolaire.
Pourtant, l’école a un rôle précieux à jouer aujourd’hui en tant que sanctuaire des plaisirs perdus ou en voie de disparition à l’ère du numérique. Bien sûr, la lecture est le premier d’entre eux, faisant figure de véritable résistance à l’ère de l’instantané et du clip de 10 secondes. La concentration et la discipline qu’exige la lecture d’un long ouvrage sont en voie de devenir presque impossibles pour la génération TikTok, dont la capacité d’attention s’atrophie à vue d’œil. Une école qui n’aurait pas peur d’imposer des savoirs qu’elle sait importants, sans se soucier des humeurs de l’étudiant-roi, ferait de la lecture sa toute « première » priorité.
Confronter l’échec
L’échec est sans doute l’un des plus grands tabous de l’école québécoise aujourd’hui. Au nom de l’estime de soi, et plus récemment de la santé mentale, on ne cesse de niveler vers le bas pour épargner aux étudiants le sentiment d’échec, qui est pourtant parfois mérité et nécessaire à l’apprentissage. Plutôt que de considérer l’utilité de l’examen comme véritable test des notions acquises, ce qui implique la possibilité de ne pas avoir acquis lesdites notions, on fait primer les sentiments de l’élève, souvent au détriment de son propre apprentissage. Il suffit de penser aux enseignants qui gonflent artificiellement les notes des élèves pour leur accorder la note de passage3 : lorsque l’on priorise la « réussite » sur l’acquisition réelle des connaissances, c’est le signe d’un système malade.
Dans la même veine, on aura raison de redouter les dérives du nouveau discours sur la « santé mentale », désormais répété comme un mantra par les associations étudiantes pour exiger des assouplissements ou des passe-droits. S’il existe effectivement un vrai problème d’anxiété de performance chez les élèves, comment sérieusement penser que le nivellement vers le bas soit la meilleure solution ? On évite trop souvent de responsabiliser les parents pour ce mal qui se répand de plus en plus, alors que certains mettent réellement une pression exagérée sur le dos de leur enfant. Or, l’échec est humain, et il importe aujourd’hui de réapprendre à le confronter pour un rapport plus apaisé à l’école. Surtout, un système qui tolère autant l’échec ne se respecte pas, et ne prend pas au sérieux le rôle qu’il a envers la collectivité de transmettre certains acquis à tous.
Retrouver confiance en la mission de l’école
S’il y a une leçon à retenir du triste état des choses, c’est qu’une école qui n’a pas confiance en la valeur de l’héritage qu’elle transmet est vouée à se liquéfier lorsqu’on la confronte. Confrontée par des progressistes qui n’en ont que pour l’ingénierie sociale, confrontée par des étudiants-rois qui veulent faire leur loi, confrontée par le discours sur l’estime de soi qui fait fi des vertus de l’échec, l’école québécoise peine à se tenir debout pour ce qu’elle devrait incarner.
Pourtant, elle est porteuse d’un patrimoine culturel d’une valeur certaine, qu’elle a pour vocation prioritaire de transmettre à la prochaine génération de Québécois. Cette noble mission ne peut être menée à bien si l’on n’a pas confiance en l’héritage à transmettre au point de vouloir subordonner l’école aux désirs de l’enfant, afin d’en faire un lieu de recommencement radical plutôt que de passage de flambeau intergénérationnel. Tant que cette impasse fondamentale ne sera pas dénouée, on pourra bien doubler ou tripler les budgets en éducation, rien n’y fera.
Aucun parti nationaliste, qui a à cœur la continuité de la nation québécoise, ne devrait faire la sourde oreille face à ce triste état des lieux. Si l’éducation nationale abdique dans sa mission de transmettre un héritage culturel, c’est l’avenir du Québec qui s’en trouve hypothéqué, orphelin de racines à cause d’une génération qui aura tout simplement renoncé à transmettre le patrimoine dont elle est dépositaire. Ce pathétique état des lieux a tout le potentiel de devenir une véritable tragédie.
* Étudiant au baccalauréat en philosophie et science politique à l’Université Laval.