Olivier Ducharme. 1972, répression et dépossession politique

Olivier Ducharme
1972, répression et dépossession politique
Montréal, Écosociété, 2022, 350 pages

L’essai d’Olivier Ducharme nous ramène un demi-siècle en arrière dans un Québec bouillonnant d’idées où se côtoyaient la fièvre indépendantiste et différentes écoles marxistes. Des moments forts ont jalonné ces années : élection des premiers députés du Parti québécois en 1970, enlèvement de Richard Cross et de Pierre Laporte la même année, « exécution » de ce dernier, grandes grèves dans le secteur public québécois, emprise de l’idéologie marxiste dans une grande partie des élites universitaires et syndicales québécoise, luttes entre les différentes chapelles se réclamant de cette idéologie, et surtout, surtout, l’emprisonnement des chefs des trois grandes fédérations syndicales québécoises. Évènement qu’Olivier Ducharme qualifie de « symbole » pour les luttes radicales de la période.

Pour l’auteur il semble que c’est en 1972 que se sont « condensés » les profonds bouleversements sociopolitiques porteurs d’une situation révolutionnaire au Québec. Cette année-là, l’État du Québec était agité de profondes tendances et « l’État capitaliste » a usé de mesures répressives pour mater cette agitation. Ce fut la « dépossession politique ». C’est le fil conducteur de son propos.

L’inspiration de la thèse de Ducharme part d’un documentaire de Gilles Groulx, 24 heures ou plus, qui aurait été victime de « censure politique » en 1972 pour « anticapitalisme ». Cela a mis la puce à l’oreille de l’auteur. Il a épluché une quantité impressionnante d’archives, plus précisément d’articles de journaux de cette année, afin d’en faire émerger la nature révolutionnaire. Il se revendique d’emblée d’une gauche radicale, et avoue que la lecture qu’il fait de tous ces évènements de l’époque est conditionnée par une grille d’analyse essentiellement conflictuelle de la société. On aura deviné que la rigueur axiologique, chère à Max Weber, ne rentre pas dans ses préoccupations. Ce sont peut-être ces œillères idéologiques qui lui ont fait conclure que l’année 1972 aurait pu être « révolutionnaire » au Québec. Ceux et celles qui, comme moi, ont vécu ces années, souriront et jugeront que Ducharme pèche peut-être par romantisme révolutionnaire…

Quoi qu’il en soit, l’essayiste cherche à alimenter son intuition et il plonge dans l’actualité politique de l’époque. On a ainsi droit aux péripéties et au déchirement des deux « révolutionnaires » québécois d’alors : Pierre Vallières et Charles Gagnon ; le premier adhérant finalement au Parti québécois et le second prônant la création d’un grand parti révolutionnaire de masse. La question linguistique agite déjà la scène politique de 1972. Le film : L’Acadie, l’Acadie, dépeint l’état de discrimination que subit la langue française au Nouveau-Brunswick et sert de catalyseur aux préoccupations linguistiques québécoises. Le milieu culturel de l’époque est en proie à une effervescence exacerbée par l’insensibilité de la ministre de la Culture québécoise en ce qui concerne les questions linguistiques.

La bataille pour l’accès des tavernes aux femmes symbolise les revendications féministes. L’auteur note également les préjugés sexistes dont sont victimes les quelques femmes qui s’aventurent en politique ou dans les médias. Des déclarations grandiloquentes telles : « Le socialisme sera féministe ou ne sera pas » illustrent l’atmosphère intellectuelle et militante de l’époque.

Les péripéties entourant l’annonce du projet de la Baie-James opposant le gouvernement du Québec et les 11 000 Indiens et Inuits de la région permettent à Olivier Ducharme d’inclure les « Premières Nations » dans la mouvance révolutionnaire de ces années. Il mentionne aussi les différents conflits qui ont pu opposer divers groupes d’autochtones et le gouvernement du Québec ; principalement pour des problèmes de résidence, d’éducation. Tout ça sur fond d’acculturation et d’assimilation.

Mais c’est sans conteste du mouvement syndical québécois qu’est partie la secousse tellurique prorévolutionnaire que certains ont cru déceler à cette époque. Dans les années 70, le mouvement syndical québécois, ses élites du moins, qui était autrefois teinté d’un fond corporatiste catholique, a connu une forte fièvre gauchisante. D’organisation visant à revendiquer davantage de droits et de salaire pour ses membres, il a subi de fortes pressions pour devenir un mouvement plus radical, voire révolutionnaire, condamnant le syndicalisme dit « d’affaires ». La CSN (Confédération des syndicats nationaux), ex-CTCC (Confédération des travailleurs catholiques canadiens), publie : Il n’y a plus d’avenir pour le Québec dans le système économique actuel et Ne comptons que sur nos propres moyens, deux documents résolument révolutionnaires dans lesquels est prônée, entre autres, la nationalisation des principaux secteurs de l’économie. Pour ne pas être en reste, la FTQ, autre grand acteur de la scène syndicale au Québec, édite : L’État, rouage de notre exploitation, une critique virulente de l’« État capitaliste ». Suite à cette « dérive gauchiste » de la CSN, on assiste à la scission et à la création de la CSD (Centrale des syndicats démocratiques), œuvrant essentiellement dans le secteur privé de l’économie. Dans cette surenchère gauchisante, la Centrale de l’enseignement du Québec s’inspire du vocabulaire de Gramsci, le grand penseur marxiste italien des années 1920, pour dénoncer l’école capitaliste québécoise dans son rôle d’« appareil idéologique d’État ». L’on assiste également à de multiples débats entre chapelles gauchisantes sur la nature du socialisme qui conviendrait au Québec…

Tout évènement d’importance possède son symbole ; l’incarcération des trois chefs syndicaux possède le sien : la croix et le sacrifice (p. 202).

En 1972, une grève générale frappe tout le secteur public du Québec. Le gouvernement libéral ne tolère pas et décrète un retour au travail. Les trois leaders syndicaux refusent de céder à cette injonction et se retrouvent en prison pour quelques mois. La situation révolutionnaire rêvée… Las, malgré plusieurs manifestations d’appui aux grévistes et aux chefs syndicaux, le travail reprend. Pire, une année plus tard, le Parti libéral du Québec est réélu avec une majorité record. Pire encore, et autre pied de nez de l’histoire, Yvon Charbonneau, président de la CEQ et fervent émule de Karl Marx, sera élu plus tard député pour le PLQ puis pour le PLC, finissant ambassadeur du Canada à l’UNESCO… Dur, dur…

On peut à juste titre se demander en quoi 1972 fut une année de possible révolution prolétarienne. Il y eut certes du « bruit », mais le capitalisme est resté « roi et maître » au Québec. Ducharme ne disserte pas trop sur ce thème de la « non-révolution ». Il change plutôt de patinoire théorique et nous dit qu’à partir de 1972 le combat change de nature, on ne parle plus de luttes ouvrières, mais de luttes environnementales. « Contrairement à la critique anticapitaliste des grandes centrales syndicales qui cherchait à transformer le mode de distribution des richesses, la lutte contre la pollution cherche à transformer le mode de production capitaliste. » (p. 349)

Et voilà, le tour est joué, 1972 retrouve son aura révolutionnaire, mais c’est la nature de la révolution qui change : « Trois grandes luttes secouent aujourd’hui la vie sociale et politique québécoise : la lutte féministe, la lutte pour l’autonomie des Premières Nations et la lutte pour l’environnement. Elles ont toutes en commun de se fonder sur une critique anticapitaliste » (p. 350). Sur un ton humoristique, on pourrait ajouter que, pour être tout à fait tendance, il manque à cette liste la lutte végane ou une quelconque autre lutte diversitaire… Pour être plus sérieux, on pourra s’étonner de l’absence de lutte pour l’émancipation politique du Québec ou même de la moindre référence à cette lutte…, comme si c’était une affaire réglée.

Daniel Gomez
Sociologue

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