- Numéros publiés en 2013
- Juin 2013
- Robert Laplante
Éditorial - Une idée porteuse
Le patrimoine bâti religieux est un immense trésor menacé. Les transformations de la pratique religieuse, l’état des finances de l’Église québécoise, l’ambivalence des attitudes à l’égard de la religion et des finances publiques sous pression forment un complexe faisceau de déterminants qui accroissent les risques d’une embardée culturelle majeure. Le rapport trouble et malaisé que notre peuple entretient avec son histoire, n’est pas pour arranger les choses.
Il est pourtant inconcevable de laisser aller à vau-l’eau un tel héritage. Il est tout aussi invraisemblable de se laisser dicter par un pragmatisme amnésique des pratiques ruineuses qui finiraient par faire basculer dans la sphère des promoteurs privés ce qui, à tous égards, est un ensemble de biens publics.
C’est à la fois une affaire de loyauté à l’égard de nos devanciers et de fidélité à ce que nous sommes au travers de ce qui reste de leurs aspirations dans ce qu’ils ont bâti. Les églises ne sont pas que des lieux de culte. Elles témoignent d’un élan et d’une vitalité qui ont joué un rôle déterminant dans la construction de la culture québécoise comme apport de civilisation. Elles structurent l’espace et l’aménagement dans nos villes et villages. Elles sont encore bien souvent – ou peuvent le redevenir - des points de repères et des lieux de rassemblement qui remplissent de nombreuses fonctions communautaires essentielles. Ce patrimoine est vital, quel que soit la fragilité de la pratique religieuse dans les milieux où son entretien devient de plus en plus difficile.
Le temps est venu de faire les choses sérieusement. La gestion au cas par cas ou les décisions à la petite semaine ne conduiront nulle part. Les moyens déjà déployés par le gouvernement du Québec et le ministère de la Culture paraissent aussi insuffisants qu’inadéquats. L’ampleur des problèmes et le rythme avec lequel ils surgissent nous placent d’ores et déjà dans une logique de crise qui interdit toute procrastination. Il faut une problématique d’ensemble, des concepts rigoureux pour nourrir une analyse fine de la situation et baliser des démarches susceptibles d’apporter des solutions propres à chaque milieu, à chaque catégorie de bien patrimonial. Cette démarche, elle fait ici l’objet d’un dossier exceptionnel. Le plan églises décrit par le professeur Luc Noppen est une pièce majeure qui contribuera à mettre de l’ordre dans les pratiques et fournira un cadre intellectuel rigoureux permettant de penser la valorisation du patrimoine religieux dans un projet culturel audacieux et stimulant. Il établit des paramètres clairs pour faire le tri dans les bâtiments à prendre en charge, propose une démarche pragmatique bien contextualisée et montre également, ce qui est loin d’être banal, que l’opération sauvegarde peut se faire avec des moyens financiers raisonnables, à la portée du Québec.
C’est une initiative qui, en outre, a toutes les chances de raccorder le Québec avec son passé religieux dans une approche décomplexée non seulement de ses lieux de culte, mais encore et surtout de la pratique religieuse passée et présente. Abordée en tant que manifestation du patrimoine immatériel inséparable des trésors artistiques auxquels elle a donné et continue de donner sens, l’approche prônée par Luc Noppen et l’ensemble des acteurs qui se mobilisent avec lui a tout pour jeter les bases solides d’un véritable concordat Église-État et société civile autour d’une vaste corvée de mise en valeur des bâtiments et des projets innovateurs qu’ils peuvent servir.
À la fois cadre conceptuel, guide méthodologique et manuel d’intervention, le plan églises représente un puissant instrument de développement. Il peut servir aussi bien à créer du lien social qu’à favoriser le développement économique et l’épanouissement culturel. Adapté à chaque milieu, il peut permettre de tirer le meilleur profit possible de la créativité et du dynamisme des collectivités. On retiendra, pour la métropole, la proposition d’établir la Société des cent clochers de Montréal comme fiduciaire du patrimoine collectif et agent de coordinaton. C’est une idée porteuse. Elle mérite le meilleur sort.
On trouvera pour se convaincre de la pertinence et de la fécondité de cette proposition la description d’une réalisation emballante, celle de la conversion de l’église Sainte-Brigide-de-Kildare et celle, non moins inspirante, d’un cas en milieu rural, à Saint-Anicet. Ce sont là deux illustrations de la souplesse du modèle et de la versatilité des approches. Le retour sur le parcours de ces projets à tous égards exemplaires, est essentiel pour bien prendre la mesure des défis qui se posent. Le travail est complexe et ardu, certes, mais il démontre de manière éclatante toute la puissance et la richesse de compétence et d’imagination que l’approche rend possible et canalise. Le dossier que publie L’Action nationale, à n’en point douter, deviendra un instrument essentiel pour poursuivre le travail de conception et de mise en œuvre d’une grande corvée nationale. Le plan églises a tout ce qu’il faut pour lancer un très grand projet mobilisateur.