Sabrina Moissan et Jean-Pierre Charland
L’histoire du Québec en 30 secondes, Hurtubise, 2014, 160 pages
Les ancêtres des Québécois étaient des esclavagistes xénophobes ! Si les Québécois l’ignorent, ils l’apprendront bientôt grâce à L’histoire du Québec en 30 secondes…
La série « en 30 secondes » commence à être connue. Il s’agit de prendre un sujet comme la philosophie, ou dans ce cas-ci l’histoire du Québec, et de le faire découvrir au lecteur avec peu de textes et beaucoup d’images. Chaque page porte sur un thème précis lié au sujet et comporte un texte principal ayant pour sous-titre « en 30 secondes », un « condensé en 3 secondes » ainsi qu’une « réflexion en 3 minutes ». Sauf pour la réflexion, le temps indiqué correspond bel et bien à celui que le lecteur devra consacrer au texte. À côté de la page comprenant ces trois très courts textes figure une page complète couverte d’images, plutôt jolies il faut le dire. À cela s’ajoutent quelques micro-biographies où, là encore, l’image occupe autant de place que les textes. Bref, il s’agit d’un ouvrage introductif pour lequel les auteurs, soit les historiens Sabrina Moissan et Jean-Pierre Charland, sont plus que qualifiés.
Dans ce contexte, et considérant l’ampleur du sujet qui couvre 400 ans d’histoire, on aurait pu s’attendre à ce que les auteurs s’abstiennent de proposer des interprétations créatives pour s’en tenir à des faits incontestables et des questions déjà couvertes par l’historiographie québécoise. Or, même si l’ouvrage est par moments très correct, il n’en est rien.
Ainsi, dès l’introduction, on peut lire une drôle de question : « Le retard notable du Québec en matière de droits pour les autochtones est-il complètement rattrapé avec l’adoption de la Charte des droits et libertés ? » On retrouve dans cette question les principaux défauts du livre. Impertinence : cette question n’a jamais occupé une place importante dans l’historiographie. Imprécision et inexactitude : le titre donné à la charte par les auteurs étant incomplet, on ignore s’ils parlent de la Charte québécoise, qui ne comporte aucune mention des droits des autochtones, ou de la Charte canadienne, dont l’importance à cet égard est très limitée, considérant que la section de la Loi constitutionnelle de 1982 relative aux droits des peuples autochtones figure ailleurs que dans cette charte. Sans parler qu’il n’est pas indiqué par rapport à qui le Québec aurait eu un retard à rattraper. On sait que grâce à la Convention de la Baie-James, négociée avant l’adoption des chartes, le Québec était en avance sur plusieurs provinces et même à l’échelle mondiale en matière de reconnaissance des droits des autochtones. Mais peu importe, l’objectif principal des auteurs ne semble pas être de poser des questions pertinentes et d’y apporter des réponses précises et exactes. Il semble plutôt d’utiliser tous les prétextes possibles pour glorifier les chartes des droits et dévaloriser l’histoire du Québec français, qui aurait été marquée surtout par l’oppression de minorités.
Par exemple, il y est question d’esclavage. Bien que cette pratique inhumaine ait été exercée par les autochtones bien avant l’arrivée des Français, qu’elle ait été bannie en Nouvelle-France pendant près d’un siècle et qu’elle se soit poursuivie pendant des décennies sous le régime anglais, c’est dans la partie de leur livre consacrée au régime français que les auteurs en parlent. Même s’ils sont bien obligés d’avouer que, surtout en comparaison de ce qui se passait dans les colonies américaines du sud, en Nouvelle-France ce phénomène était négligeable, selon eux la moralité de la société canadienne n’est pas sauve, car « cette situation est due au fait que les bateaux négriers n’ont jamais pu atteindre la colonie en raison des coûts exorbitants ou du fait que l’économie ne nécessitait pas énormément de main-d’œuvre ». Comme si les colons français ne se seraient pas enrichis s’ils avaient choisi d’importer des dizaines de milliers d’esclaves pour transformer leurs fourrures…
Il faut dire que, de manière générale, les auteurs présentent la Nouvelle-France sous un jour très négatif, parlant notamment de régime « fondamentalement inégalitaire », de « sous-développement », de société « fortement hiérarchisée », de « démocratie [qui] n’existe pas » et de « peuple [qui] n’a aucun pouvoir, les femmes encore moins que les hommes », et ce, sous prétexte de tenir compte des recherches historiques récentes. Pourtant, cette vision remonte au moins aux écrits de Pierre Elliot Trudeau qui, dès les années 1950, défendaient une telle thèse[1]. Des travaux récents, dont ceux de Marc Chevrier, défendent plutôt la thèse inverse de manière convaincante en insistant entre autres sur l’égalité dans l’accès aux professions, le droit de chasse accordé aux roturiers et la Coutume de Paris plus favorable aux femmes que d’autres coutumes[2].
Sans surprise, le reste du livre est à l’avenant : au sujet de la Conquête, les auteurs citent des « interprétations [qui] permettent de relativiser l’impact de la chute du régime français », concernant les Patriotes, ils se réfèrent à John Ralston Saul qui les associe au libéralisme, parlant du Code civil, ils y voient une discrimination envers les femmes, comme si cette loi fondatrice n’était pas d’abord une grande avancée pour l’accès au droit et la sécurité juridique, etc., etc. Il y a quelques exceptions, comme lorsque la confédération est présentée comme étant centralisatrice et faisant du Québec la seule province bilingue, mais elles sont rares. Et bien sûr, au moment d’aborder le gouvernement de Duplessis, les auteurs se déchaînent. Dans un même paragraphe comptant à peine 4 phrases, il est question des nazis, de leurs victimes juives et de l’élection de 1948 qui est présentée comme « une campagne électorale où les candidats de l’Union nationale tentent d’exciter la xénophobie des Canadiens français ». Pourtant, la plupart des historiens conviennent que cette campagne a porté non pas sur les juifs, mais sur l’autonomie du Québec. Il faut dire que les auteurs ne valorisent pas beaucoup cette autonomie, au point où ils reprochent à Duplessis d’avoir refusé des subventions fédérales destinées aux universités, alors que même Pierre Elliot Trudeau s’opposait à ces subventions à l’époque, notamment dans les pages de L’Action nationale.
Cela dit, il s’agit là d’un des rares moments où les auteurs ne sont pas sur la même longueur d’onde que Trudeau. La courte biographie qui est consacrée à ce personnage énumère plusieurs de ses réalisations et qualifie son legs d’« héritage important ». À l’inverse, la biographie consacrée à René Lévesque est complètement silencieuse sur ses réalisations sociales et politiques les plus positives. Les auteurs insistent plutôt sur ses échecs constitutionnels, soit le référendum de 1980, le rapatriement de la Constitution et même celui du Beau Risque. Fait surprenant, ils situent ce dernier échec avant la démission du chef péquiste, alors que le Beau Risque a ultimement débouché sur l’accord du Lac-Meech qui a échoué bien après la mort de Lévesque. Certes, une page est consacrée à la loi 101, mais c’est pour mieux rappeler que « les francophones et les allophones n’ont pas le droit d’étudier en anglais, ce qui peut constituer un frein à leur épanouissement dans un monde globalisé ». Quant aux réformes de l’assurance-automobile, du territoire agricole et du financement des partis politiques, pour ne nommer que celles-là, elles sont totalement occultées, contrairement à la baisse de 20 % des salaires des employés du secteur public qui est dûment mentionnée. Et bien sûr, les auteurs parlent de l’adoption de la Charte québécoise des droits, qui à l’époque fut pourtant un non-événement, et l’associe à une image de la Charte canadienne.
Mais le trudeauisme des auteurs s’exprime surtout à travers leur antinationalisme. Dans le glossaire qui clôture l’ouvrage, ils définissent le nationalisme en l’associant à l’ethnie et aux guerres mondiales, juste avant d’ajouter « Au Québec, les nationalistes sont nombreux à promouvoir l’indépendance de la province du reste du Canada ». Fait à noter, ce nom de « province » et l’adjectif « provincial » reviennent constamment sous leur plume, pour désigner le Québec, alors que ceux de « nation » et de « national » sont plus rares et davantage associés au Canada.
Que leur antinationalisme les amène à présenter un concept d’une manière tordue est une chose, qu’elles les amènent à déformer des faits en est une autre. C’est pourtant ce qui arrive lorsqu’ils affirment que la manifestation « McGill français » visait à « forcer l’Université McGill à ouvrir ses portes aux francophones » avant d’ajouter « Ce sera fait quelques années plus tard ». Les revendications des manifestants tournaient autour de la francisation de l’institution et non de son ouverture aux francophones, qui au demeurant y étaient déjà admissibles lorsqu’ils en avaient les moyens et parlaient anglais. En fait, la simple augmentation du nombre de francophones fut non pas la revendication des manifestants, mais la réponse des autorités de McGill[3].
Si besoin en était, cela illustre une fâcheuse tendance des auteurs : celle d’écrire l’histoire du Québec en faisant fi du point de vue de sa majorité. C’est à se demander si ce livre mérite qu’on s’y attarde… même 30 secondes.
Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke
[1] Voir notamment : Pierre Elliot Trudeau, « Réflexions sur la politique au Canada français » Cité Libre, vol. 2, no 3, décembre 1952, aux p. 53 à 70.
[2] Marc Chevier, La République québécoise, Montréal, Boréal, 2012, p. 146 -149.
[3] À ce sujet voir notamment : Jean-Philippe Warren, « L’Opération McGill français. Une page méconnue de l’histoire de la gauche nationaliste », Bulletin d’histoire politique, vol. 16, no 2.