Se rappeler d’où vient cette victoire électorale

Avant de tirer des conclusions trop dures, lisons ce commentaire qu’on pourrait intitulé « Le 4 septembre 2012 vu de Toronto ».

Les étudiants : clé de la victoire du PQ

Jean Charest, aujourd’hui ancien premier ministre du Québec, a été le tout dernier fédéraliste envoyé au Québec pour réduire les séparatistes et mettre en œuvre les politiques économiques du tandem FMI/Banque mondiale (c’est-à-dire, appauvrir les pauvres et faire les mamours avec les riches). Il a déjà été chef des conservateurs fédéraux, mais vu le manque de talent disponible pour cette tâche, les gens riches et insolents qui dirigent le Canada l’ont placé à la tête du Parti libéral du Québec. Merci ! Il n’y a pas de quoi. Charest a réussi à gagner les élections, mais s’est heurté à une résistance solide quand il a essayé de faire du Québec un modèle corporatif. Ayn Rand n’a jamais été populaire en français. Curieux, ça doit être une affaire de langue.

Arrive 2012 ! Charest et ses escouades de stratèges à gros salaire pensent y voir l’occasion de créer des conditions gagnantes pour une élection facile. Il fait monter en flèche les frais de scolarité pour accoter ceux des autres provinces canadiennes, ce qui lui mérite des kudos chez les fédéralistes qui digèrent mal les programmes sociaux plus généreux au Québec. Les étudiants répondent par une grève, sans doute la plus impressionnante et la plus longue de l’histoire de l’Amérique du Nord.

Le premier ministre et ses théoriciens du jeu tentent de faire de la grève un test dans lequel il attaque les étudiants « gourmands et gâtés » et impose même une loi matraque pour restreindre la liberté d’expression et d’assemblée. Les savants sondeurs, qu’on dirait des « initiés » de quelque chose, font le pari que le Parti québécois n’aurait d’autre choix que de se retourner contre étudiants ou courir à sa perte. Les Québécois rentreraient ainsi dans le rang des réalistes fiscaux et mettraient fin pour toujours à ces « rêves nationaux », pour reprendre une idée chère à Jean Chrétien.

Erreur ! Le PQ choisit l’un des trois dirigeants étudiants pour se présenter contre un ministre libéral. Cet étudiant remporte sa circonscription. Et le lendemain de l’élection (non pas après audiences, études et consultations), la cheffe du PQ, Marois, annonce l’annulation de la hausse des frais de scolarité et l’abrogation de la loi spéciale limitant le droit de manifester.

À retenir : les grèves massives d’étudiants très inspirés et progressistes ont modifié le climat bourgeois et endormi que cultivent avec tant de soin des élites puissantes. Leur énergie et dynamisme ont bouleversé les meilleurs plans dressés par des stratèges à la souricière. Les efforts massifs des étudiants ont fait en sorte que le PQ ne panique pas.

Ça nous rappelle aussi que le Québec est une nation. Il n’acceptera pas que des banquiers ou des parachutés d’Ottawa tentent de lui jouer des tours.

Seront-ils indépendants ? Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils se comportent de façon indépendante. (Traduit et reproduit avec la permission de l’éditeur du Taylor Report – www.taylor-report.com )

Conclusion : chaque fois que le gouvernement du Parti québécois aura à prendre des décisions difficiles – et ça va être très souvent – il ne doit jamais oublier à qui il doit sa victoire : à des centaines de milliers d’étudiants et autres citoyens qui ont descendu dans les rues, casseroles à la main, pour dire NON, ça ne passera pas.

Naviguer dans des eaux troubles

Dans les jours qui ont suivi l’élection, d’autres commentaires de ce genre nous sont parvenus d’aussi loin que la Catalogne, l’Écosse, New York et la Floride. Donc, même si le Parti québécois n’a emporté qu’une courte victoire, la souveraineté et la grève étudiante, avec tout son contenu politique, ont été ramenées à l’avant-plan aux yeux du monde entier. Autant il y a lieu de se réjouir de ce changement de la donne politique – et de l’apparence de changement – autant peut-on prévoir que les eaux seront plus troubles que jamais.

Ce début du 21e siècle est caractérisé par une concurrence économique et politique féroce à mesure que l’Amérique du Nord et l’Europe traverse une crise après l’autre et que s’effectue un retour en force de l’esprit d’empire. Les grandes puissances, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, et leurs petits frères comme le Canada, tolèrent de moins en moins l’indépendance, la contestation et le refus de certains d’obtempérer à leurs diktats politiques, de se conformer à leurs règles économiques. Ils tolèrent de moins en moins des puissances, anciennement de second ordre, qui viennent les concurrencer dans ce qu’ils considéraient comme leurs chasses gardées. Ils répondent de plus en plus par l’action militaire, soit directe soit par des armées de procuration – notons aussi à quelle vitesse les budgets militaires augmentent partout, y compris au Canada. Parallèlement, les coups fourrés se multiplient, effectués souvent par des services secrets et autres agitateurs occultes.

De plus, les règles de droit des nations et des peuples, nées dans la foulée de la Seconde guerre mondiale, sont aujourd’hui perdues dans un brouillard de nouveaux concepts, vagues à souhait, tels que l’humanitarisme, le droit-de-hommisme, la responsabilité de protéger (R2P), et autres. Au nom des ces mêmes concepts, tout devient possible : une invasion avec occupation militaire devient une « mission », le renversement d’un gouvernement par l’OTAN devient une « libération », le bombardement de civils devient la « protection de civils » et l’intervention dans les affaires internes d’un État devient « la responsabilité de protéger ».

Et le Québec là-dedans ? Quel est le rapport ? Le principal adversaire du Québec demeure l’État canadien, lui qui est passé maître dans les coups fourrés contre le Québec (ex., les mesures de guerre, les agissements de la GRC, le coup de force de 1982, le référendum volé, les commandites, la Loi sur la clarté, etc.) Aussi, le Canada de Stephen Harper, qui, vu la tendance démographique, n’a plus besoin de tenir compte du Québec, se met à l’avant-garde de tout ce qui est militaire, interventionniste et belliqueux dans le monde. Nous pouvons nous en lamenter, mais nous n‘y pouvons rien, à moins que…

Les défis devant le Parti québécois sont donc énormes. Ce nouveau gouvernement souverainiste n’aura d’autre choix que d’être hautement stratège en tout, de la gestion des ressources naturelles à la défense et promotion de la langue française en passant par le rôle de l’État québécois, le développement économique et les relations internationales. Il doit aussi être constamment aux aguets. Des pièges, il y en aura en masse, dont certains seront de vrais pièges à con, comme par exemple les prévisibles « crisettes » des accommodements raisonnables si le Parti québécois va de l’avant avec son idée folle d’adopter une Charte de la laïcité.

Reprendre l’initiative

La solution sera donc de reprendre rapidement l’initiative dans des domaines où l’opposition sera mal venue de s’opposer.

Voici quelques exemples d’action à prendre :

Reprendre le contrôle des sociétés d’État (Caisse de dépôt, Hydro-Québec, SAQ, IQ, et autres) où les libéraux ont le contrôle complet jusqu’à un niveau assez profond ; sinon ces mêmes libéraux pourront saboter tous les bons projets du gouvernement.

Donner à Télé-Québec les budgets et un plein mandat de société de radio et de télé nationale (informations, services publics), ce qui donnerait enfin de l’oxygène à un monde médiatique qui étouffe.

Renforcer la loi 101 notamment pour donner un message clair à tous que le français est, et sera, la langue nationale du Québec (partout, pour tous et pour tout).

Rétablir un ministère des Relations internationales fort avec un mandat clair pour rétablir les liens laissés en plan depuis le passage de Lucien Bouchard, mais aussi pour en établir d’autres avec des nations en devenir (Écosse, Catalogne et autres) et des nations qui se tiennent debout, notamment en Amérique latine.

Et quand le nouveau gouvernement sera pris par un moment d’hésitation, il n’a qu’à se souvenir des centaines de milliers de Québécois et de Québécoises dans la rue. C’est à eux et à elles que le gouvernement est redevable.