Simon Landry. L’éducation au Québec en ce 21e siècle

Simon LandryL’éducation au Québec en ce 21e siècleRimouski, Éditions du Tullinois, 2023, 122 pages Le rédacteur en chef du journal Le Devoir, André Laurendeau, dénonça, dans un article daté du 21 octobre 1959, la pauvreté de la langue parlée par la jeunesse québécoise. Parler joual, dit-il, les prend dès qu’ils entrent à l’école comme si ça les pénétrait peu à […]

Simon Landry
L’éducation au Québec en ce 21e siècle
Rimouski, Éditions du Tullinois, 2023, 122 pages

Le rédacteur en chef du journal Le Devoir, André Laurendeau, dénonça, dans un article daté du 21 octobre 1959, la pauvreté de la langue parlée par la jeunesse québécoise. Parler joual, dit-il, les prend dès qu’ils entrent à l’école comme si ça les pénétrait peu à peu, par osmose. Quelques jours après la parution de ce texte quelque peu narquois, le journaliste reçut une lettre au ton caustique d’un frère enseignant de l’Académie Commerciale de Chicoutimi, le mariste Pierre-Jérôme (Jean-Paul Desbiens de son vrai nom), qui lui confiait partager son indignation devant le sociolecte du français québécois issu de la culture populaire. Laurendeau convainquit le pédagogue de permettre que sa lettre soit publiée, mais sous le pseudonyme de Frère Untel afin d’éviter de lui attirer des ennuis avec les autorités religieuses ou éducatives. La lettre parue le 3 novembre 1959. Enhardi, le bouillant mariste aux opinions tranchées fit paraître, de novembre 1959 à juin 1960, onze autres lettres dans lesquelles il se livra à une critique mordante du système d’enseignement québécois. S’ensuivit en septembre 1960 un court essai coup-de-poing intitulé Les Insolences du Frère Untel dans lequel le mariste préfigura certains aspects de la Révolution tranquille.

Deux tiers de siècle plus tard, l’histoire se surprend à rimer (d’une rime plate et pauvre) alors que Simon Landry, un enseignant de mathématiques de la région métropolitaine, entreprit de mener la charge par la voie des journaux contre le concept de bulles-classes qui avait été instauré par le ministère de l’Éducation au milieu de la pandémie de Covid-19 dans l’espoir ralentir la propagation du virus. Cette première prise de parole eut chez lui, comme naguère chez l’insolent Frère Untel, un effet désinhibiteur. Élargissant la portée de ses critiques du milieu de l’éducation d’une lettre ouverte à l’autre et d’entrevue en entrevue, le pédagogue à la langue bien pendue a ultimement opté pour préciser sa pensée dans un court essai intitulé prosaïquement L’éducation au Québec en ce 21e siècle : Réflexions, Discussions, Propositions.

S’il convient de louer le courage dont a fait preuve l’enseignant-essayiste en osant exprimer sur la place publique, en avançant à visière levée de surcroît, ses préoccupations en matière d’éducation au Québec malgré le risque d’être réprimandé ou congédié pour manquement au devoir de loyauté envers son employeur, force est de constater que l’ouvrage ne répond pas entièrement aux attentes engendrées par la préface laudatrice de Patrick Lagacé. Certes, une pensée nourrie d’expérience s’y exprime. Mais trop souvent l’auteur délaisse l’argumentaire raisonné et choisit plutôt d’exercer ses facultés de tribun. Les envolées lyriques qui en résultent lui vaudraient sans doute une salve d’applaudissements bien sentie sur le plancher d’un congrès d’un parti politique devant un auditoire chauffé à blanc. À l’écrit, toutefois, il est plus aisé de les reconnaître pour ce qu’elles sont : des calories vides qui nous laissent sur notre faim.

Au fil des chapitres, l’auteur aborde de front une grande variété d’enjeux comme la place du privé, le financement des stages, la rémunération des enseignants, la répartition des groupes et l’attribution des tâches. Le propos demeure toutefois en général plutôt convenu. En s’interrogeant sur le transfert à l’école de fonctions qui ne lui appartenaient pas traditionnellement (l’éducation à la sexualité, la promotion de saines habitudes alimentaire, l’éducation fiscale, la sensibilisation pour contrer la cyberdépendance, la supervision du brossage des dents, le développement de la littératie numérique, la lutte à l’intimidation, etc.), cependant, Simon Landry soulève une question essentielle : celle de la mission première de l’école. Doit-elle transmettre un savoir, un héritage, une culture ? Ou doit-elle aspirer à réaliser l’ambition prométhéenne de fabriquer la société idéale ?

Ailleurs, l’essayiste porte un coup sévère au mouvement syndical enseignant qui a été noyauté, dit-il, par de preux chevaliers de la « justice sociale » qui utilise désormais ses instances pour promouvoir un programme politique néoprogressiste et faire avancer certains enjeux qui sont chers à leurs yeux, mais qui n’ont aucun lien direct avec les conditions de travail des enseignants. Le syndicalisme enseignant se doit d’être dépolitisé entièrement, nous dit Landy, et doit s’en tenir à défendre, promouvoir et négocier les conditions de pratique des enseignants. À cet égard, à tout le moins, l’auteur fait preuve de clairvoyance.

Tout au long de son essai, Simon Landry se fait un ardent promoteur d’un ordre professionnel enseignant, et ce, pour plusieurs raisons ; certaines recevables et d’autres plus discutables.

L’essayiste suggère d’abord qu’en professionnalisant le métier qu’est l’enseignement, on octroierait à l’enseignant la liberté et l’autonomie de fonctionnement. L’implantation d’un ordre professionnel serait en effet, selon lui, « une façon pour les enseignants de prendre leur métier en main, de s’autodéterminer et d’assurer eux-mêmes la protection du public [en recevant et traitant des plaintes de parents, de gestionnaires scolaires ou du public en général concernant des enseignants, puis en sanctionner un membre fautif lorsqu’une faute est commise] et de la qualité du service donné dans les écoles » (p. 37).

En suggérant qu’une autonomie professionnelle accrue (qu’il appelle de tous ses vœux) découlerait de la mise en place d’un ordre professionnel, l’enseignant-essayiste commet une erreur de compréhension de ce que signifie professionnaliser. En appuyant son raisonnement sur l’exemple des médecins, il commet une erreur manifeste d’appréciation.

Professionnaliser implique d’établir et de valider des protocoles à suivre pour agir dans des types de situations données. Cela a donc pour effet de restreindre l’autonomie de l’acteur, car, à partir du moment où il est convenu qu’il y a un savoir-faire commun et partagé chez les professionnels, ceux-ci ne peuvent pas agir à leur guise. Enfin, le recours à un exemple issu du monde médical est d’autant plus curieux que s’il existe des professionnels dont les actes sont strictement encadrés par leur appartenance à leur profession, ce sont bien les médecins. On leur reconnaît bien une autonomie professionnelle, mais cette liberté d’action est fortement restreinte, car ceux-ci ne sont libres d’intervenir qu’à l’intérieur d’un réseau de contraintes élevées dans une optique de minimisation des risques d’erreurs graves. En effet, à partir du moment où existe un protocole de soin établi d’après une littérature scientifique, un consensus professionnel ou une expérience clinique, il leur faut le respecter. Un médecin ne peut pas décider arbitrairement de déroger aux dispositions d’un protocole reconnu et validé.

La régulation de l’accès à la profession est un mandat que Simon Landry souhaiterait voir être confié à un ordre professionnel enseignant. Alors qu’il rejette en bloc les préoccupations de ceux qui disent s’inquiéter qu’un éventuel ordre professionnel ne cède à la tentation de garder éternellement hors-jeu par repli corporatiste les quelque trente milles enseignants non légalement qualifiés (et non pas, on ne saurait trop insister sur ce point, non qualifiés) qui travaillent quotidiennement dans nos écoles, c’est un euphémisme que de dire que les propos tenus par l’auteur ne risquent pas d’apaiser les craintes.

Un autre mandat qui devrait urgemment être confié à un ordre professionnel enseignant, du moins selon l’auteur, consiste à établir, contrôler et superviser la formation initiale des futurs enseignants de même que la formation continue. Une révision du curriculum universitaire s’imposerait, car « [u]n des reproches les plus fréquents des finissants universitaires qui débutent leur carrière est que la formation qu’ils ont reçue dans les quatre années d’étude ne répondait pas adéquatement à leurs besoins et qu’ils n’étaient pas bien préparés au travail d’enseignant » (p. 42). Le très haut taux d’abandon en cours d’étude des enseignants en formation initiale et le tout aussi haut taux de désertion au cours des cinq années suivant la diplomation accréditent l’hypothèse selon laquelle la qualité de la formation initiale dispensée dans les facultés d’éducation québécoises laisse à désirer. Faut-il impérativement en conclure que la révision du curriculum universitaire se doit d’être confiée à un éventuel ordre ? Dieu merci non, car on devrait pouvoir compter sur un apport du nouvel Institut National d’Excellence en Éducation.

Une autre importante pomme de discorde sur laquelle l’essayiste braque – indirectement – son attention est la question du statut de l’éducation. Peut-elle être considérée comme une science ? Oui, selon la multitude de didacticiens qui peuplent les facultés d’éducations (on aura compris, toutefois, qu’avancer et défendre cette réponse n’est pas un acte complètement désintéressé). Non, selon tous ceux qui n’auraient que des larmes de crocodile à verser si l’édifice Marie-Guyart devait être ravagé par un incendie pendant la nuit. Sans le dire explicitement, Landry, lui, se trouve à soutenir la position qu’il s’agit en fait d’un savoir-faire. Cette thèse est certes défendable, mais elle n’est pas l’unique tentative d’explication à interpoler ses observations. En voici une autre :

Lorsque la méthode scientifique et des techniques scientifiques sont appliquées à la collecte de données sans que cela mène à la découverte de tendances générales (c’est-à-dire des lois scientifiques) à travers une myriade de faits objectifs, c’est possiblement parce que le champ d’études dans laquelle on évolue en est encore au stade embryonnaire de protoscience. En revanche, lorsque l’on évolue dans une discipline (proto)scientifique et que l’on n’emploie pas la méthode scientifique et des techniques scientifiques, alors les affirmations que l’on émet relèvent de la pure spéculation non scientifique.

L’abondance du charabia pseudoscientifique que Landry dénonce lorsqu’il affirme que « [n]otre système éducatif a été […] pris d’assaut par des idéologues qui cherchent à tout prix à imposer leur vision de l’apprentissage » (p. 69-70) pourrait découler du fait que l’éducation soit un champ protoscientifique ; n’ayant pas encore atteint sa pleine maturité, cette discipline serait alors particulièrement vulnérable aux spéculations non scientifiques, car celles-ci sont plus faciles à dériver et plus attrayantes que les quelques éléments d’information isolés pouvant être obtenus au terme d’éreintantes études empiriques quantitatives.

Notons, en terminant, que, alors que le Frère Untel n’hésitait pas à affirmer qu’il est de prime importance d’enrichir et de consolider chez les futurs enseignants en formation initiale les connaissances et les savoirs disciplinaires (il poussa même l’insolence jusqu’à affirmer que les « intuitions pédagogiques les plus valables s’enracinent dans l’excellence des connaissances académiques et non dans la connaissance et la maîtrise des trucs du métier »), Simon Landry, lui, parvient au constat inverse : le déterminant essentiel d’un bon enseignement serait la maîtrise des techniques éducatives. La principale cause de la faible qualité de la formation en enseignement se trouverait selon lui chez les professeurs universitaires qui œuvrent dans les facultés des sciences de l’éducation. Le corps professoral affecté à la formation initiale des futurs enseignants serait en trop grande proportion constitué de spécialistes de domaines spécifiques et en trop faible proportion composé de membres formés en pédagogie cumulant une solide expérience pratique. Ironiquement, en accordant autant d’importance à l’expérience « de terrain », accomplit peut-être sans même s’en rendre un remarquable travail de sape contre les arguments qui généralement invoqués pour justifier le maintien d’une cloison étanche entre les enseignants détenteurs d’un brevet et les enseignants non légalement qualifiés qui possèdent typiquement un baccalauréat de 1er cycle dans un champ connexe à la discipline visée et qui cumulent plusieurs années d’expérience dans le réseau québécois de l’éducation.

Frédéric Morneau-Guérin
Professeur, département éducation, TÉLUQ

Mars 2024

$12.00

Une victoire à la canadienne

Cahiers de lecture – Printemps 2024

$12.00

La nature en commun. La marche de l’alimentation

Récemment publié