Stephen J. Harper. Un sport légendaire

Stephen J. Harper
Un sport légendaire: les Maple Leafs d’autrefois et l’essor du hockey professionnel, Montréal, Éditions de l’Homme, 2013, 411 pages

S’il faut lui reconnaître une seule qualité, c’est bien celle d’être un homme fidèle à ses convictions. Avec la parution d’Un sport légendaire : les Maple Leafs d’autrefois et l’essor du hockey professionnel, Stephen Harper (ou Stephen J. Harper, du nom qui apparaît sur la couverture) prêche par l’exemple. Il fait la promotion de l’effort personnel (lui qui conjugue l’écriture et l’emploi exigeant de premier ministre), il atteint son objectif sans subvention ou aide gouvernementale (sauf pour la traduction, l’édition et la publication) et il rappelle les valeurs de charité (tous les profits de la vente du livre sont versés aux Services de bien-être et moral des Forces canadiennes, à défaut d’être versés à la Fondation Tim Hortons pour les enfants). Mais là s’arrêtent les propos élogieux.

Page après page, l’ouvrage de Harper s’avère de peu d’intérêt. Terne, inexplicablement long et même répétitif par bout, l’auteur convainc rarement le lecteur de la pertinence des événements qu’il rapporte. Celui-ci est plutôt guidé pas à pas dans le récit des premiers matchs de hockey organisé aux confins de l’Ontario profond au tournant du XXe siècle, où aucun détail n’est épargné. Smith Falls, Belleville, Renfrew, Guelph, toutes des municipalités ayant accueillies d’innombrables matchs sans importance apparente opposant d’éphémères équipes constituées dans d’obscures ligues de hockey. L’auteur semble toujours prendre les comptes-rendus de la page des sports des journaux d’époque comme le reflet fidèle de ce qui s’est réellement passé, convaincu que chaque match était plus spectaculaire et enlevant que le match précédent. Heureusement, l’ouvrage est parsemé d’illustrations qui n’apportent rien à l’ensemble et d’anecdotes savoureuses tirées de séries de championnats inter et intra provinciaux légendaires. Pourquoi diable un gros labrador noir est-il soudainement apparu sur la patinoire à la mi-temps de la deuxième partie du match de 1902 opposant les Victorias de Winnipeg aux Wellingtons de Toronto ? Les Silver Seven d’Ottawa ont-ils vraiment salé la patinoire entre les deux périodes de la partie de 1904 afin de ralentir les joueurs plus rapides des Marlboros de Toronto ? Harper sait garder le suspense. Et entre la description de faits divers, appuyés par des articles retrouvés dans Wikipédia, Harper relate une histoire de la montée du hockey professionnel à Toronto.

Globalement toutefois, reste que quelques observations intéressantes peuvent être tirées de l’ouvrage. Bien qu’il s’en défende, l’auteur ne peut faire complètement abstraction des enjeux politiques et économiques qui ont accompagné l’émergence du sport professionnel au Canada.

Harper relate le combat mené au tournant du XXe siècle par John Ross Robertson, un Torontois influent prêt à tout pour empêcher la professionnalisation du hockey, convaincu de l’amateurisme comme seul garant de la pureté du sport et de sa popularisation. Emprisonné par Louis Riel en 1870 dans la foulée des rébellions de la rivière Rouge (journaliste, il avait été dépêché par le journal torontois The Globe pour couvrir la révolte), fondateur du Toronto Evening Telegram en 1876 (un journal orangiste), ardent défenseur de l’impérialisme britannique et de l’héritage britannique du Canada, désireux de contribuer à la mémoire de la guerre de 1812, John Ross Robertson était connu pour ses idées conservatrices, son racisme envers les Canadiens français et son mépris pour la religion catholique (il avait toutes les qualités). Élu à la Chambre des communes en 1896 pour un mandat en tant que conservateur indépendant, c’est à titre de président de l’Ontario Hockey Association (OHA) entre 1899 et 1905 qu’il fait sa marque.

Durant ces années, l’OHA mène une lutte sans relâche contre la professionnalisation du hockey. Tout joueur soupçonné d’être payé pour jouer était expulsé de la ligue. Des équipes entières furent même expulsées pour avoir systématisé la rémunération des joueurs. L’OHA prenait alors les grands moyens pour éradiquer une pratique qu’elle associait à une forme de prostitution. Toutefois, si l’OHA vint à bout de retarder la professionnalisation du sport à l’intérieur de ses frontières, l’inévitable allait se produire. Des équipes se déclarèrent ouvertement professionnelles, se regroupèrent en association et embauchèrent les joueurs expulsés de l’OHA. Pendant ce temps, à Montréal, une ville déjà ouverte au professionnalisme, des équipes attiraient les meilleurs joueurs canadiens et ainsi mettaient la main la plupart du temps sur la Coupe Stanley. (Le trophée avait été offert en 1893 par Lord Stanley de Preston, 6e gouverneur général du Canada, et était décerné au terme de matchs inter ou intra ligues à l’équipe considérée comme « championne du Dominion »). Toronto, qui considérait qu’un pays britannique comme le Canada devait être mené en tout point par une ville britannique, et non par Montréal, métropole d’une province francophone, allait devoir généraliser le professionnalisme au hockey pour réussir à prouver sa suprématie.

La lutte que Toronto embrassa, malgré les cris de John Ross Robertson et les menaces proférées par la déclinante OHA, s’est construite avec à l’avant-plan des intérêts commerciaux et le désir de créer un sport national pour le Canada. Mais le défi était de taille. Au-delà de l’avance qu’avait Montréal sur le front du professionnalisme, la métropole québécoise était la seule ville canadienne d’envergure à posséder une tradition (rappelons que c’est à Montréal en 1875 que fut disputé le premier match de hockey de l’histoire) et à bénéficier d’un climat propice à la pratique de ce sport. À Toronto, le hockey n’était alors praticable que durant le seul mois de janvier, Vancouver n’a jamais eu d’hivers dignes de ce nom et la province de l’Alberta, qui abrite aujourd’hui deux clubs professionnels, était à l’époque très peu populeuse (elle n’a d’ailleurs été créée qu’en 1905). Le Canada allait devoir attendre les investissements d’industriels canadiens et la création de surfaces artificielles pour que le hockey devienne le sport national du pays. Harper écrit : « On commençait lentement à réaliser que le succès du hockey professionnel ne reposait pas sur le bassin de joueurs disponibles ou sur la présence d’institutions déjà existantes, mais bien sur la disponibilité d’édifices modernes et de marchés urbains suffisamment développés pour les soutenir. »

En 1909, dans le contexte de négociations entre hommes d’affaires canadiens-anglais désireux de s’approprier des marchés, la National Hockey Association (NHA) naît. Des villes ontariennes se joignent à l’équipe déjà existante des Wanderers de Montréal, et l’équipe du Canadien de Montréal est créée ; une équipe qui doit être composée essentiellement de Canadiens français, dans le but de s’approprier le marché francophone peu exploité. Au terme d’une opération de stratégie d’affaires, la passion du hockey se propage de plus en plus à l’extérieur de Montréal vers le reste du Canada et les Canadiens français sont embrigadés dans une campagne de construction de la Canadian nation. Après la feuille d’érable, le castor, l’« Ô Canada » et bientôt le nom « Canadien », le hockey sera rajouté à la liste des symboles que s’approprie le Canada au détriment du Québec. Et en prime, les Canadiens français seront confrontés à un nouveau lieu stratégique d’anglicisation : les patinoires, même en milieu francophone. Car comme pour le travail et les affaires, la langue du hockey (qui entre dans le monde du travail et des affaires), c’est l’anglais. En 1914, après tout ce brassage, le Toronto Hockey Club parvient à mettre la main sur la Coupe Stanley. Il s’agit d’une première pour une équipe de la métropole ontarienne (des équipes de Montréal l’avaient pourtant déjà remportée à vingt reprises ; il faut dire qu’à l’époque la Coupe Stanley était parfois disputée plus d’une fois par année).

L’exportation du hockey de Montréal vers les autres régions du Canada est un peu, selon Harper, l’illustration du dépouillement qu’avait déjà commencé à subir l’élite anglo-canadienne du Québec. Il écrit : « Après la Confédération, l’establishment anglophone de Montréal connut un revers de fortune considérable, troquant sa situation de chef de fil de la ville la plus importante du Canada pour celle d’élite isolée au cœur d’un arrière-pays très majoritairement francophone. A contrario, Toronto devint la ville la plus importante de la plus grande province du Dominion. » Mais que vaut cette analyse de l’histoire québécoise appuyée d’aucune source rédigée en langue française ? (D’ailleurs l’ensemble de l’ouvrage n’est appuyé d’aucune source de langue française.) Doit-on vraiment voir dans le sport le reflet des luttes politiques menées à l’intérieur du Canada ?

Dans Un sport légendaire : les Maple Leafs d’autrefois et l’essor du hockey professionnel, l’auteur démontre qu’il est possible en 1910 de bâtir un sport national sans demander l’avis des Canadiens français. À l’époque, des industriels canadiens-anglais se divisent le potentiel commercial des différentes régions du Canada en répartissant des équipes de hockey un peu partout au pays et en créant une franchise francophone pour bien accaparer tous les bénéfices économiques possibles. Cent ans plus tard, le même auteur démontre qu’il est possible de construire un pays sans demander l’avis des Québécois. Son gouvernement obtient la majorité à la Chambre sans l’appui du Québec, et du même coup, sans l’appui du Québec, il finance l’hydro-électricité dans les maritimes, modifie le régime d’assurance-emploi et les programmes de formation de la main-d’œuvre, durcit la justice criminelle pour les jeunes contrevenants, prévoit remplacer le pont Champlain à ses conditions seulement, renforce la présence des symboles monarchiques, persiste dans la création d’une commission pancanadienne des valeurs mobilières, renonce à Kyoto, etc. Dans le domaine du sport, on le sait, John Ross Robertson aura finalement tort. Le professionnalisme se propagera durablement. Avant sa mort en 1918, il avait pourtant ces paroles : « Celui qui parcourt les dédales d’un monde en pleine effervescence, sans but précis et sans chercher à réaliser ses ambitions, est un homme bien pauvre. » Harper, l’auteur et l’homme politique, qui démontre de brillante façon que rien ne change au royaume du Canada, sera peut-être l’un des éléments inspirant le Québec à mettre fin aux décisions qu’on lui impose de l’extérieur et à se prendre en main définitivement.

Éric Poirier
Avocat, candidat à la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

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