Une fois de plus, le peuple québécois s’est défait, sans avoir la conscience d’avoir perdu une nouvelle bataille, puisque le combat était sans enjeu. En effet, la question nationale, c’est-à-dire la seule question vitale pour un peuple dominé par des puissances hostiles aux fondements de son existence, à son histoire, à sa langue et sa culture, à ses besoins et intérêts, a une fois de plus été évacuée des plateformes et débats de la dernière campagne électorale.
Avec le résultat qu’une fois de plus, le peuple québécois cautionne l’emprise des forces adverses sur son maintien dans la dépendance, en même temps qu’il s’enferre dans son sentiment d’une impuissance chronique à changer le cours de son histoire.
Or, la défaite du 7 avril, est plus qu’une nouvelle bataille perdue. Elle est le résultat du refus de ce peuple de se considérer engagé dans une guerre à finir.
Refus initié et alimenté par le Parti québécois, depuis sa fondation en 1968, alors qu’il troquait le projet d’indépendance nationale proposé et promu par le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) pour celui, non seulement défaitiste, mais illogique, de souveraineté-association qui a abouti à la stratégie de l’étapisme et du bon gouvernement. Etc. Etc. Je n’ai pas le goût de refaire le récit de cette lamentable histoire, ni d’en reproduire ici, les nombreuses analyses que j’ai consacré au phénomène[1].
Je veux seulement mettre en lumière que la puissance illusoire et même mystificatrice du Parti québécois tient à des causes identifiables. En premier lieu, l’effondrement volontaire du mouvement indépendantiste qui, dès 1967, s’est empressé de joindre les rangs du Mouvement Souveraineté-Association, puis, l’année suivante, ceux du Parti québécois, hypnotisé par le charisme de René Lévesque. En second lieu, l’oubli inconséquent des exigences fondamentales d’une lutte de libération nationale qui ne peut, sous peine de défaite, occulter ni les luttes difficiles, ni les bouleversements qu’elle entraîne. Au contraire, le Parti québécois a érigé en facteur positif sa volonté d’agir et de réaliser ses objectifs à l’intérieur du système en vigueur, sans y apporter de modifications majeurs, autres que juridiques. En troisième lieu, non seulement le Parti québécois n’a pas tenté de l’en extirper, mais s’est empressé au contraire de plier le projet d’indépendance aux modes d’être, de penser et d’agir des sociétés contemporaines, caractérisées par l’affaiblissement des cultures nationales, par l’extinction généralisée du sentiment d’appartenance à une communauté spécifique et, à l’inverse, par une extension massive d’un individualisme qui isole chaque citoyen et le rend inapte à toute prise réelle sur le monde.
Suite à 45 ans d’exercice hégémonique du PQ sur le mouvement indépendantiste, où en est le peuple québécois ? De plus en en plus minoritaire dans le Canada et de moins en moins majoritaire dans sa Province, réduisant à presque rien son rapport de force avec le Canada. Pire, plus aliéné que jamais, ayant moins que jamais la conscience de la nécessité de s’expérimenter comme peuple maître de sa vie nationale.
Je suis déprimée. Pourtant je me sens toujours combative. Le problème, c’est que je ne sais plus comment me battre. Les forces sont tellement dispersées, groupées en sectes autour d’objectifs tellement particuliers, qu’elles rendent impossible l’émergence d’un réel et vaste mouvement populaire.
Pire, à l’heure qu’il est, n’est-il pas trop tard pour espérer le déferlement d’un désir irrésistible d’indépendance, le projet ayant été tellement galvaudé au cours des dernières décennies. Les indépendantistes de toutes allégeances ne doivent-ils pas avoir le courage de regarder la situation en face et de se demander si leur action incohérente, peureuse et sans cesse inaboutie n’a pas contribué à la détérioration progressive de la valeur révolutionnaire de l’indépendance, à l’aggravation de l’aliénation du peuple québécois, de son habitude de la soumission. Plutôt que de soulever sa puissance de rébellion, les indépendantistes ne l’ont-ils pas réfrénée, en confinant son engagement dans les limites de l’action électorale?
Comment dès lors s’étonner de sa docilité. Comment dès lors s’indigner de sa complaisance à se vautrer dans « le confort et l’indifférence ? »
À l’heure qu’il est, à quoi servirait à quelque héros (ou héroïne) d’accomplir un acte déterminant de désobéissance civile, comme cela s’est vu ailleurs et à toutes époques, déclenchant un véritable mouvement révolutionnaire?
Le suivrait-on ou le considérerait-on comme un exalté ?
That is the question.
[1]La passion de l’engagement, Lanctôt éditeur, Montréal, 2002.