Bernard Émond
Camarade, ferme ton poste et autres textes, LUX, coll. « Lettres libres », Montréal, 2017, 156 pages
Nous sommes libres, pour rien ; il nous faut réapprendre à être libres pour quelque chose au-dessus de notre liberté.
– Bernard Émond
Jamais le désespoir ne me parut plus allègre qu’à la lecture du dernier essai de Bernard Émond, Camarade, ferme ton poste paru aux éditions Lux. Ayez beaucoup de courage pour affronter l’inutile. Ne vous prenez pas au sérieux, mais ne méprisez pas ce que vous faites. Voilà, me semble-t-il, la tonalité du livre : une grande promenade dans un décor clair-obscur, certes désenchanté, mais où une lumière accompagne néanmoins l’homme-déambulatoire dans chaque zone sinistrée de l’âme humaine. Sa promenade surplombe fort malheureusement un paysage québécois en ruine et, qui plus est, dans un état de « déficit linguistique et esthétique » (p. 38). L’époque est à la laideur, question d’économie ! L’auteur nous offre ses réflexions avec une plume chargée à l’encre du « réalisme socialiste », pour emprunter l’expression de Roland Barthes, et dans une forme où l’auteur a le souci de saisir la structure profonde de la société. Discerner l’important et rejeter l’insignifiant : « Un peuple peut survivre à des siècles d’oppression, mais il ne peut pas survivre à sa propre indifférence » (p. 35). L’auteur, très loin des querelles de clocher, nous offre toujours des réflexions situées à très haute altitude philosophique et qui ne sont pas sans me rappeler la plume légère et dépourvue de toute animosité de Jean D’Ormesson. Amour, deuil, pudeur, gratitude, admiration, dignité humaine et petite bonté pour ne nommer que quelques-uns des thèmes abordés, et qui vont bien au-delà du plaisir de la lecture : ils tendent vers le bonheur véritable. La nostalgie est-elle le reflet d’un manque ? Peut-on la résumer avec la formule de l’auteur ? « C’était beaucoup mieux avant, mais c’est beaucoup mieux maintenant. » (p. 111) Entouré d’un monde aussi incertain que lui, c’est avec humilité et sagesse que le lecteur pourra rendre grâce et « payer sa dette » (p. 61) à cet auteur exceptionnel qui a su prendre conscience qu’il n’était pas au-dessus des choses, mais dedans. Émond est de ces écrivains qui provoque non pas un enthousiasme inutile et bruyant, mais une intime dévotion.
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