- Mathieu Bélisle
- Avril-Mai 2020
- Saisir la crise
Retrouver le Québec réel
Une des découvertes les plus étranges que la pandémie nous a permis de faire, c’est celle de tous ces acronymes, produits du génie technocratique, de tous ces organismes, de toutes ces agences aux titres alambiqués qui ont pour mission de veiller sur la santé de la population. Réunis, ils donnent l’impression de former un vaste labyrinthe, et même, pour reprendre à Borges sa formule du « Jardin aux sentiers qui bifurquent », un « labyrinthe de labyrinthes » conçu précisément pour perdre ceux qui osent s’y aventurer, pour rendre fous les esprits les plus aiguisés. Les CHSLD, les RPA, les RPANC, les CISSS – ex-CSSS – qui incluent les CLSC, les CR et les CPEJ, les CIUSSS qui regroupent les RUIS, les RI, les RTF, les SAPA, la DRHCAJ, la DRMG, et j’en passe, toutes ces instances administratives semblent moins avoir pour fonction de nous donner accès au réel que de le maintenir à distance, dans un espace à part, auquel seuls les initiés et autres grands prêtres de la fonction publique peuvent accéder. À les écouter parler de ces choses, on a l’impression d’entendre une glossolalie, la langue des anges : nous nous trouvons devant des entités abstraites présentées sous une forme mystérieuse, fantômes parmi les fantômes, comme dans un poème de Mallarmé, où les mots ont été libérés de leurs attaches, sont devenus des signifiants sans signifié, des « abolis bibelots d’inanité sonore ».