Triple offensive multiculturaliste

Cet hiver, nous avons pu observer une triple offensive multiculturaliste, représentative des moyens par lesquels l’idéologie officielle du nouveau Canada de Trudeau trouve à s’imposer au Québec malgré les déclarations contraires de nos gouvernements depuis 1971. En effet, outre les domaines qui relèvent du fédéral comme la politique du multiculturalisme, une partie de la politique d’immigration dont la naturalisation et, last but not least, l’activisme des tribunaux, spécialement de la Cour suprême, en fonction de la Charte canadienne des droits de 1982, on peut discerner trois grandes voies par lesquelles le multiculturalisme s’impose au Québec.

La première est la voie des administrations publiques et parapubliques québécoises (telles la Commission des droits de la personne ou la SAAQ) qui, bien que relevant de Québec donc d’un gouvernement qui, officiellement, ne souscrit pas au multiculturalisme, l’intègrent toujours plus profondément. Comme c’est souvent le cas, c’est le MELS qui nous en donne une illustration frappante. Ensuite, il y a la pression des défenseurs du dogme politiquement correct parmi les clercs. Les plus zélés et, ironiquement, les plus intolérants aux opinions contraires parmi les défenseurs du multiculturalisme se retrouvent souvent dans ce groupe. Le Manifeste pour un Québec pluraliste nous a donné à voir un procédé par lequel ses instigateurs, liés de près à « l’industrie » du multiculturalisme (en termes de recherche, de production de programmes de « gestion du vivre-ensemble » ou du « renouveau pédagogique »), tentent moins de réfuter que de stigmatiser toute opinion contraire à la leur. C’est pourquoi je les nommerai les contremaîtres du trudeauisme.

Enfin, la troisième figure nous donne à voir très précisément ce que les agents promoteurs du multiculturalisme espèrent obtenir dans une société comme le Québec qui, il faut le dire, ne montre aucun enthousiasme pour ce modèle particulier de gestion des questions délicates de l’intégration de l’immigration, des groupes issus de l’immigration et de la diversité religieuse. C’est-à-dire la diffusion d’une mauvaise conscience, d’une culpabilisation des positions alternatives. Soit l’idée selon laquelle il n’y aurait d’autre norme morale envisageable et défendable que le modèle multiculturel, comme l’a exprimé à sa manière Lucien Bouchard.

Sur le plan identitaire, le Québec est une république de bananes

Quand il s’agit de proposer un contre-modèle au multiculturalisme, le républicanisme classique est souvent invoqué, car le modèle républicain met l’accent sur la démocratie et sur les règles communes au sein d’un État-nation, plutôt que sur l’égalité différenciée qui est coutumière du modèle impérial. (Précisons d’ailleurs que cet aspect du républicanisme concerne un modèle de démocratie bien plus que le titre du chef d’État).

Or le Québec a la prétention, depuis 1971 et l’adoption de la politique canadienne de multiculturalisme, de résister à la prévalence de ce modèle sur son territoire. Il a développé en effet une législation qui met davantage l’accent sur l’intégration nationale, avec la loi 101 et la politique de convergence culturelle adoptée en 1978. Après avoir analysé les politiques du Québec, du Canada et de la France en matière d’intégration, Guillaume Rousseau, dans La nation à l’épreuve de l’immigration, constatait que les principes directeurs à Québec sont plus républicains qu’à Ottawa, situant les politiques québécoises entre ces deux exemples, le multiculturalisme canadien et le républicanisme français. En demandant notamment une charte de la laïcité, certains proposent que le Québec poursuive dans la voie plus républicaine qu’il développe depuis l’adoption de la Charte de la langue française (1977) et de la politique de « convergence culturelle » qui encourage les citoyens issus de l’immigration à converger vers la culture majoritaire tout en reconnaissant explicitement que celle-ci évoluera avec les apports des néo-Québécois. D’autres proposent au contraire que le Québec se rapproche des principes en vigueur dans le modèle canadien : ce fut le cas du rapport Bouchard-Taylor.

Mais en pratique, qu’en est-il ? En pratique, sur le plan de la résistance au multiculturalisme, d’affirmation de son identité et de règles communes, le Québec se comporte avec la fermeté d’une république bananière. De récentes enquêtes journalistiques l’ont démontré en ce qui a trait à la politique linguistique : officiellement respectueux de la loi 101, le gouvernement du Québec lui-même, dans le fonctionnement de sa propre administration, applique en fait une stricte logique de bilinguisme. Voilà pour l’affirmation du français. Voyons ce qui en est des principes, également affirmés, d’intégration et de laïcité.

Le multiculturalisme de Québec

Le ministère de l’Éducation du Québec abolit le calendrier scolaire réglementaire pour le remplacer par un nombre d’heures d’enseignement annuel obligatoire. La rumeur courait : le ministère a-t-il opté pour cette réforme surprenante (qu’aucune fédération enseignante ni commission scolaire n’avait demandée) pour permettre de nouveaux « accommodements » religieux dans les écoles du Québec ? Puis, pressée de questions à l’Assemblée nationale, intimée par divers commentateurs (dont un éditorial du Devoir) d’expliquer la mesure et faire taire la rumeur, Mme la ministre Courchesne la confirme au contraire.

Mme Courchesne apprend ainsi aux Québécois que le calendrier traditionnel est aboli pour accommoder six écoles ultraorthodoxes juives qui étaient jusqu’à présent dans l’illégalité. Il est vrai que cette illégalité avait été tolérée depuis beaucoup trop longtemps. Mais au nom de quoi peut-on justifier d’abolir le calendrier scolaire usuel du Québec, où les jours fériés obligatoires sont les bornes d’un héritage culturel et d’une certaine culture publique nationaux, rassemblant tous les Québécois autour des mêmes repères communs ? Pour six écoles très particulières, n’eût-il pas été préférable de définir une dérogation spécifique et limitée, intégrant un minimum de ces repères communs[1] ?

Car désormais, une fois le privilège accordé à une minorité orthodoxe érigé en règle commune, plus rien n’empêchera de définir un calendrier sur mesure en fonction de la dynamique communautariste encouragée par la politique canadienne du multiculturalisme ou encore des demandes d’accommodements « raisonnables » que la jurisprudence de la Cour suprême a inventés en application de la charte canadienne des droits enchâssée par Pierre Trudeau dans la constitution de 1982. Les calendriers pourront ainsi être propres aux institutions communautarisées (ethnoreligieuses, sectaires, ethniques, etc.) en fonction d’une version radicale de la société des identités, créant autant de ghettos sur notre territoire et effaçant tout cadre national commun digne de ce nom.

Double discours

Officiellement, le Québec, tous gouvernements confondus, a toujours refusé de souscrire au modèle du multiculturalisme et de signer cette constitution trudeauiste. Au moment où Pierre Trudeau faisait adopter une politique de multiculturalisme à Ottawa, en 1971, le premier ministre québécois Robert Bourassa déclarait officiellement que cette politique ne convenait pas au Québec. Ce refus du multiculturalisme a été maintenu par les gouvernements péquistes et libéraux depuis. Le refus d’adhérer à la constitution de 1982 participe de la même critique du multiculturalisme canadien. Ce qu’on lui reproche généralement, c’est de saper la capacité du Québec d’intégrer les immigrants à la majorité et d’effacer la réalité des deux peuples fondateurs, qui implique deux sociétés d’accueil, derrière une mosaïque identitaire de façade, liée par l’anglais et la citoyenneté canadienne.

De fait, contre la loi 101 et la politique québécoise de « convergence culturelle », qui favorisent l’intégration nationale, la constitution de 1982 n’accorde aucune reconnaissance à la conception traditionnelle des deux peuples fondateurs, fait primer le bilinguisme officiel défini en termes de droits individuels sur la Charte de la langue française comme elle fait primer la logique multiculturaliste sur la logique intégrationniste, donnant ainsi préséance à un autre modèle de démocratie et d’intégration. En pratique, au Québec, et malgré les décisions des Québécois, les nouvelles institutions fédérales vont favoriser le maintien d’identités communautaires minoritaires et l’usage, au choix, de l’anglais ou du français, comme langue et culture d’intégration. (À titre d’exemple symbolique, mentionnons que, ce mois de mars 2010, les cérémonies de naturalisation canadienne à Montréal se tiennent au centre culturel hellénique de Montréal…)

Le gouvernement libéral actuel a officiellement maintenu la ligne du refus du modèle multiculturaliste canadien. Le contrat moral d’intégration, adopté en décembre 2008 et que tous les nouveaux arrivants sélectionnés par Québec doivent en principe signer, en donnait un témoignage supplémentaire. Contre la rhétorique fallacieuse de la mosaïque, le gouvernement du Québec rappelle aux immigrants reçus qu’ils intègrent une société d’accueil avec une langue, une culture, une histoire, en un mot une identité nationale, et non une courtepointe de communautés ethnoreligieuses s’identifiant à autant d’États-nations du globe.

Or, en parfaite contradiction avec cette logique intégrationniste, le même gouvernement a tenté en 2009 de faire adopter une « politique de gestion de la diversité culturelle » calquée sur le multiculturalisme[2]. En outre, dès son arrivée au pouvoir, il a renommé le ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles. Au lieu de considérer les citoyens du Québec comme des Québécois d’abord, le gouvernement entérinait de la sorte une logique communautaire en accord avec le multiculturalisme canadien. D’ailleurs, en décembre 2009, devant la polémique soulevée par la publication du rapport Quérin sur le cours d’Éthique et de culture religieuse, la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, soutenait que ce cours était nécessaire pour rapprocher les diverses « communautés » du Québec.

Quoi de mieux pourtant pour rapprocher tous les Québécois que de leur donner un bagage national commun en enseignant l’histoire, la littérature et la culture québécoises comme canadiennes et occidentales, donc les repères québécois, dans toutes les écoles ? En pratique, ce cours inculque très peu de connaissances sur les religions. Comme l’a crûment exprimé Georges Leroux, l’un des premiers signataires du Manifeste pour un Québec pluraliste : « on doit surtout faire l’effort de concevoir une éducation où les droits qui légitiment la décision de la Cour suprême [sur le kirpan], tout autant que la culture religieuse qui en exprime la requête, sont compris de tous et font partie de la conception de la vie en commun.[3] » Bref, en notant les élèves sur la compétence « pratique du dialogue », ce cours cherche surtout à obtenir des jeunes générations une adhésion à la logique des accommodements « raisonnables » qui découle du multiculturalisme canadien enchâssé dans la charte de 1982.

Derrière les discours officiels, l’État du Québec a graduellement adopté une logique multiculturaliste. Les politiques d’accommodement raisonnable adoptées par tous nos organismes publics et parapublics en constituent une autre preuve. Cela se produit aujourd’hui sous le gouvernement de Jean Charest, mais n’est pas exclusif à son gouvernement. De nombreux péquistes, dans la lignée de Gérald Godin (lequel concevait Trudeau et les citélibristes comme des mentors qui trahissaient la jeunesse révoltée par leur engagement à Ottawa en 1968, rappelons-le[4]), ont souscrit à la même logique de valorisation du pluralisme avant tout, au détriment de la logique d’intégration nationale et de la laïcité authentique.

Il faut ainsi mentionner une certaine institutionnalisation du multiculturalisme au Québec avant même la promulgation de la politique canadienne de multiculturalisme en 1971. C’est que le Québec a développé la pratique de subventionner des institutions semi-privées, en éducation et en santé, qui sont religieuses ou ethniques ou les deux, permettant ainsi à des institutions de santé d’accès public d’être identifiées à une culture issue de l’immigration (aujourd’hui ancienne, dans la plupart des cas) ou encore à des communautés ethnoreligieuses de se donner des écoles à part : écoles orthodoxes arméniennes, écoles orthodoxes grecques, etc. Certes, si les hôpitaux catholiques ont été laïcisés, les écoles privées nominalement catholiques se portent bien ; seulement le financement public de ces institutions, qui peut sembler utile par bien des points de vue, soulève des questions si on cherche à éviter les ghettos et promouvoir une laïcité de l’État.

L’importance de ces institutions ethnoreligieuses semi-privées, donc semi-publiques, découle essentiellement de décisions prises avant l’adoption de la loi 101, de la politique de convergence culturelle et, a fortiori, de l’adoption d’une politique claire de laïcité qui, tous trois réunis, doteraient le Québec d’un modèle à caractère républicain raffermi.

Or, le plus étonnant est sans doute de voir les décisions contradictoires que l’État québécois adopte depuis les années 1990 sur ces questions. Ainsi, ce qu’on a présenté comme la laïcisation des commissions scolaires à la fin des années 1990 devait-il mener le Québec vers des institutions scolaires plus laïques ou plus multiculturalistes ? Le cours d’Éthique et de culture religieuse impose plutôt une conception multiculturaliste de la société[5] : favorable à toutes les confessions réelles comme quasi inexistantes (on pense à la façon dont la spiritualité autochtone est représentée dans les manuels et cahiers d’exercice du cours[6]), l’image du Québec présentée est davantage celle d’une mosaïque que d’un creuset, et accorde une grande valeur à toutes les croyances, et assez peu d’importance à la laïcité, à la vaste proportion de non-pratiquants et à l’existence de rationalistes athées au Québec…

Outre le cours d’ECR, qui refuse à la fois la logique de la laïcité et celle de l’intégration nationale, le nouveau cours d’histoire du Québec au secondaire, radicalement dénationalisé, comme nous l’avons démontré dans une étude parue au printemps dernier, applique la même logique multiculturaliste. De fait, cette optique idéologique occupe une position privilégiée dans toute la réforme pédagogique au primaire et au secondaire. La dernière réforme du calendrier scolaire n’en est qu’une manifestation de plus.

Ainsi, l’État du Québec affirme une chose, son refus d’adhérer au multiculturalisme, pour mettre souvent en pratique le contraire. Ce double discours pose toutefois un problème éthique et démocratique de taille. Alors que le consensus populaire au Québec se trouve du côté des déclarations officielles de l’État en faveur d’un modèle intégrationniste québécois et un refus du modèle du multiculturalisme, quelle légitimité possède l’administration québécoise pour procéder, en sens contraire des déclarations officielles, à des mesures radicales de ce type, qui ne vont pas forcément dans le sens de l’intérêt national, en tout cas contraires à la volonté générale qui s’exprime avec constance contre la logique des accommodements raisonnables en matière ethnoreligieuse ?

Manifeste de l’orthodoxie bien-pensante

Au mois de février, Le Devoir publiait le Manifeste pour un Québec pluraliste qui a accueilli sur le site associé un très grand nombre de signatures : initié et appuyé d’abord par des professeurs d’université[7], le Manifeste d’appui au multiculturalisme reçoit aussi, notamment, l’appui massif des anciens étudiants de ces professeurs, de leurs étudiants des cycles supérieurs, des postdoctorants et autres chercheurs associés qui gravitent autour de leurs chaires.

Précisons d’emblée que nous offrons ici une analyse critique du discours de ce manifeste et donc de la démarche de ses premiers initiateurs et partisans qui ne vise pas à stigmatiser une défense en soi légitime d’un modèle, celui défini par le multiculturalisme, les accommodements raisonnables et la « laïcité ouverte », mais plutôt comment ce modèle est défendu et comment ses défenseurs prennent en compte (ou non) l’opinion et les arguments de ceux qui sont d’avis contraire, tant l’opinion publique majoritairement contre que les intellectuels qui sont en désaccord.

La présentation de l’initiative sur le site pourunquebecpluraliste.org est parlante : « Depuis plusieurs mois, le débat sur l’identité et sur le vivre-ensemble au Québec prend un virage inquiétant. Des voix s’élèvent pour critiquer le courant pluraliste au sein de la société québécoise. » En somme, ces bonnes gens sont inquiets parce que d’aucuns, dans la société, sont en désaccord avec leur conception du pluralisme en démocratie libérale. Les voix qui s’élèvent (et qu’ils aimeraient faire taire ?), ce sont bien sûr celles des intellectuels qui commettent le péché de ne pas penser comme eux. Ces gardiens du dogme politiquement correct prennent donc sur eux de les ramener dans le droit chemin. Faut-il les remercier de leur sollicitude pour les âmes de ces brebis égarées ?

Les contremaîtres du trudeauisme

Je crois qu’il faut plutôt lire ce manifeste comme une tentative d’intimidation que comme l’expression d’un point de vue dans un débat démocratique et intellectuel. Une des premières conditions que requiert un débat démocratique digne de ce nom est de reconnaître que, en démocratie, plusieurs positions peuvent être légitimement défendues. En ce qui concerne un débat académique digne de ce nom, il faut là aussi être disposé à répondre par des arguments que l’on souhaite convaincants pour persuader ceux avec qui on discute du bien-fondé de notre analyse, plutôt qu’à la stigmatisation. Ce type de procédé avait été tenté au cours de la polémique autour du cours ECR en décembre 2009, mais, ayant maladroitement versé dans l’ad hominem, cela n’avait guère fonctionné. Au contraire, la prégnance de la critique semblait avoir désarçonné les concepteurs du cours et sa résonnance politique a sans doute beaucoup contribué à leur inquiétude.

Or rien de tout cela ne transpire dans ce manifeste. D’une manière coutumière, ses instigateurs préfèrent au contraire présenter les choses ainsi : il n’y a aucune autre façon de faire qu’on puisse défendre en démocratie libérale pour respecter le pluralisme, que l’adoption d’un modèle multiculturaliste ou interculturaliste qui appliquerait les principes de l’école canadienne de pensée politique[8] (soit l’égalité différenciée et l’intégration par la reconnaissance officielle des différences ethnoreligieuses).

Ceux qui défendent d’autres options sont soit des gens « inquiétants » qu’il faudrait écarter du débat (les intellectuels nationalistes), soit dans l’erreur, ayant alors besoin d’être éclairés, ce qui est généralement le cas du bon peuple[9]. Il n’y a pas à tenir compte de leur opinion – même en prônant un idéal de « dialogue » et de « pluralisme ». Devant un énième sondage confirmant l’opposition d’une écrasante majorité de Québécois au modèle des accommodements raisonnables culturels et religieux, l’une des premières signataires du manifeste, eut cette réflexion révélatrice : « Heureusement que les droits sont protégés par les chartes et qu’ils ne sont pas soumis à la volonté de la majorité ! lance Marie McAndrew, titulaire de la chaire en relations ethniques à l’Université de Montréal. La si vive opposition des Québécois à tout accommodement démontre qu’ils en font une question de principe[10]. » En d’autres mots, la démocratie libérale que les ténors du Manifeste pluraliste prétendent défendre se passerait bien volontiers de cet objet encombrant : la volonté générale. Effectivement, les Québécois en font une question de principe : ils préfèrent que d’autres principes orientent l’intégration comme la gestion du religieux, mais n’en tenons surtout pas compte ! Comme démocrates, on aura vu mieux. Les Québécois sont majoritairement contre ; les ténors du Manifeste pluraliste font régulièrement des acrobaties de rhétorique pour tenter de contester l’idée même d’une majorité – élément pourtant central à toute démocratie libérale. Leur modèle politique, en réalité, se rapproche bien davantage de l’idéal du roi-philosophe, adapté à la gouvernance procédurale d’aujourd’hui, bien plus qu’à la démocratie qu’ils sont bien loin de chérir.

Pour éclairer la majorité des citoyens égarée dans une opposition de principe au modèle trudeauiste, alors le renouveau pédagogique remettra leurs enfants au moins dans le bon chemin, avant que l’immigration, on l’espère, ne permette de les mettre en minorité, comme l’exprimait crûment Daniel Weinstock : « Aussi philosophe soit-il de profession, M. Weinstock doute que ce soit les grands énoncés qui fassent avancer les mentalités. Il croit plutôt à la force des choses. Quand Montréal comptera un aussi haut pourcentage d’immigrants que Toronto, ces questions [d’accommodements raisonnables] ne se poseront plus avec autant d’acuité.[11] » Bref, ignorons l’opinion des Québécois avant qu’une immigration multiethnique ne mette en minorité ceux qui n’adhèrent pas au modèle trudeauiste – et ici force est de déduire que Weinstock associe les « de souche » à l’opposition à ce modèle trudeauiste et les nouveaux immigrants à une adhésion, ce qui est tout de même simpliste (il existe de nombreux immigrants qui sont contre ces concessions aux intégrismes et aux principes religieux dans l’espace civique). Soit qu’ils fassent partie des défenseurs de la laïcité (qu’ils nomment « stricte » par opposition à la laïcité « molle » qu’ils préconisent). Auquel cas, ces derniers ont besoin de comprendre qu’ils s’associent avec des gens « inquiétants » et préconisent une voie impossible.

Aussi, une autre intervention de certains des principaux ténors du Manifeste pluraliste est venue marteler ce clou dans Le Devoir du 27 février : la laïcité, nous informe-t-on, est inconstitutionnelle au Canada, d’ailleurs elle est illégitime en vertu du droit international. Passons sur l’argumentation contraire du Manifeste au sujet de la laïcité : « Quant à la laïcité, elle est revendiquée avec vigueur dans les débats actuels, comme si les principes de cet aménagement politique étaient absents de la culture politique québécoise. Or, les caractéristiques de la laïcité sont mises en œuvre au Québec depuis des décennies » peut-on y lire en effet. Alors, la laïcité est-elle appliquée au Québec ou « impossible » ? Comprenons que la laïcité revendiquée est la laïcité stricte, et que c’est celle-là que les orthodoxes pluralistes veulent écarter en la déclarant « impossible ». Seulement, on retrouve là un de leurs artifices rhétoriques coutumiers, qui explique leur attachement à l’expression trompeuse « laïcité ouverte » : il s’agit de prétendre que ce que les gens réclament (la laïcité) est déjà entièrement réalisé, en prétendant ensuite, lorsque confrontés à des demandes de renforcement de cette laïcité, que les choix du Québec et parfois de l’opinion se confondent avec le modèle de laïcité dite ouverte, leur invention, et que tout renforcement de la laïcité entrerait en contradiction avec les « choix du Québec ». Mais le Québec n’a pas encore bien défini officiellement son modèle de laïcité : ce choix n’est donc pas celui du Québec, mais celui des ténors du Manifeste pluraliste.

La laïcité « ouverte » n’est qu’une autre formulation de l’idéal multiculturaliste. Lorsque confrontés à des contradicteurs explicites et décidés, alors il faut sortir l’argument massue : impossible, nous n’aurions pas le droit d’implanter la laïcité en vertu du droit des démocraties libérales telles qu’il est désormais compris (en réalité, en fonction de la charte canadienne). En fin de compte, on ne défend pas le bien-fondé d’une position (celle de la « laïcité ouverte »), on tente d’empêcher (en brouillant la réflexion), puis d’interdire (en brandissant l’impossibilité) de penser autrement.

« Impossible » donc en vertu de la charte canadienne et… du droit international. L’argument est circulaire : ces inspirateurs du Manifeste pluraliste défendent les principes multiculturalistes de la charte canadienne et invoquent comme argument final le fait qu’on ne peut faire autrement dans nos institutions, en vertu de… la charte canadienne. Certes, la constitution de 1982 entraîne une difficulté, mais disons-le : ils auraient plus de chances d’être convaincants en défendant des raisons positives pour lesquelles ils pensent que ce modèle est meilleur qu’un autre ; or cela supposerait la reconnaissance du fait qu’un autre modèle est défendable et donc possible.

L’invocation du droit international est une veule tentative de faire appel à une autre norme que la constitution de 1982, plus universelle, sans doute plus indépassable encore dans leur conception : l’argument est risible quand on connaît non seulement la valeur démocratique des institutions internationales, mais aussi le simple fait que les diverses démocraties libérales souscrivent à des modèles différents en ce qui a trait à la gestion de l’intégration et de la diversité ethnoreligieuse. Le droit international, notamment, n’empêche pas la laïcité française d’exister, sans entrer en contradiction avec le principe de la liberté de religion.

De toute façon, si la laïcité est « impossible » parce qu’elle limite la liberté de religion, alors une grande quantité des accommodements raisonnables qui firent scandale, comme à la SAAQ, ne sont-ils pas « impossibles » parce qu’ils ne respectent pas l’égalité des hommes et des femmes[12] ? On le voit, il faut choisir ; chose qu’un peuple, en démocratie, doit avoir le droit de faire.

Bref, pour les ténors du Manifeste pluraliste, il faut appliquer les principes multiculturalistes enchâssés par Trudeau dans la Constitution de 1982 et sa Charte, tout simplement parce que… nous n’avons pas le choix. Belle conception de la démocratie (que Jean-François Lisée a d’ailleurs superbement exposée dans le billet de son blogue du 14 février 2010[13]).

Le 7 mars, trois des initiateurs du manifeste ont publié une réplique à l’éloquente réplique au Manifeste signée Jacques Beauchemin et Louise Beaudoin[14]. Ils reprochent à Beauchemin et Beaudoin leur définition du républicanisme qu’ils jugent incompatible avec le fait qu’ils identifient une majorité, des minorités et une culture de convergence définie par la majorité. Une indigeste casuistique est ainsi déployée pour faire de la culture majoritaire un concept insaisissable. En réalité, il est aisé de saisir que la culture de convergence au Québec est la culture nommée jadis canadienne-française, qui évolue bien entendu et s’est laïcisée depuis 1960[15] (renouant partiellement avec une autre facette de sa tradition, moins catholique). C’est une lapalissade ; la politique de 1978 le prévoit, c’est pourquoi le rapport Bouchard-Taylor parlait d’assimilation douce et préconisait le rejet de cette politique (ôtant toute substance à la distinction entre interculturalisme et multiculturalisme qu’il revendique par ailleurs, offrant une belle manifestation de pensée contradictoire).

Soudain, Maclure, Karmis et Nootens semblent admettre que le multiculturalisme n’est pas l’unique manière de gérer une société plurielle et prétendent même ne pas défendre le multiculturalisme : « M. Beauchemin et Mme Beaudoin affirment que la réponse à la question de savoir comment faire monde commun passe, pour les auteurs du Manifeste, par une modalité particulière d’aménagement du pluralisme : le multiculturalisme. C’est pour le moins surprenant, puisque le Manifeste affirme son appui au programme de l’interculturalisme québécois. » La politique d’interculturalisme à laquelle Maclure, Karmis et Nootens font référence accepte officiellement le principe de culture de convergence défendu par Beauchemin et Beaudoin, seulement le rapport Bouchard-Taylor, dont ils se font les défenseurs, propose de l’abolir pour rejeter toute forme d’encouragement de l’assimilation. Sans ce concept, il n’y aurait plus de différence entre multiculturalisme canadien et interculturalisme québécois (sauf l’affirmation du français langue commune plutôt que du bilinguisme).

Une clarification de Daniel Weinstock permet d’apprécier la valeur de cette prétendue distinction : « je ne pense pas que l’interculturalisme et le multiculturalisme sont si différents que ça. […] La différence tient plus à des nuances qu’à des principes fondamentaux.[16] » Maclure est d’ailleurs le disciple d’un des principaux théoriciens du multiculturalisme, Charles Taylor ; malgré l’utilisation du terme « interculturalisme », aucune divergence de fond avec le multiculturalisme n’apparaît dans le manifeste ni dans les écrits de ceux qui semblent être ses inspirateurs, tels Weinstock, Maclure, McAndrew, les concepteurs des programmes multiculturalistes du renouveau pédagogique, etc.

L’argumentation de Maclure, Karmis et Nootens joue ainsi sur des confusions ; en réalité, il faut leur demander de définir eux-mêmes, au-delà du vocabulaire, une différence sérieuse avec le multiculturalisme canadien s’ils veulent que leurs interlocuteurs distinguent leur position de la défense de ce modèle. « Interculturalisme » façon Bouchard-Taylor et « laïcité ouverte » servent, jusqu’à preuve du contraire, d’écran de fumée dans le discours des ténors du Manifeste pour un Québec pluraliste qui défendent tout simplement les principes du modèle trudeauiste. Encore une fois, ils ont parfaitement le droit d’y adhérer, mais il conviendrait qu’ils l’expriment franchement, sans faux-fuyants. Il est déplorable de devoir encourager des défenseurs de la tolérance, de l’ouverture, de la « pratique du dialogue » à tenter de convaincre par un discours franc et net, de persuasion rationnelle, plutôt qu’à embrouiller, comme dans cette lettre, ou à intimider, par des moyens divers comme l’invention d’une « impossibilité » en droit international ou encore le fait de qualifier d’inquiétantes les opinions contraires.

Colères et mauvaise conscience de Lucien Bouchard

La récente sortie de Lucien Bouchard mérite-t-elle un long commentaire ? Manifestement piqué par les critiques dont son frère a fait l’objet depuis ses propos après l’annonce de la tenue de la commission jusqu’au rapport, lesquelles émanent assez logiquement du camp nationaliste, Lucien Bouchard a, semble-t-il, choisi de se venger du parti qu’il a présidé. Il s’est du coup lâché en déclarant la souveraineté irréalisable de son vivant et en condamnant l’affirmation identitaire intégrationniste, encline à renforcer la laïcité du PQ, démarche taxée de « radicalisme ».

Il est assez ironique de voir celui que le Canada anglais a si souvent taxé de radicalisme identitaire, de nationalisme étroit, de mener un peuple qui, devenu indépendant (voire simplement avec l’autonomie de Meech), ne serait pas fiable en matière de respect des droits et de la démocratie, reprendre lui-même ce type d’argument exorbitant. Ses anciens adversaires ne pourraient guère espérer mieux comme domination idéologique, but ultime de toute propagande… Lucien Bouchard se définit de plus en plus, à l’instar de son frère, en défenseur de l’idéal trudeauiste en matière de diversité, au point de reprendre à son compte les critiques que les trudeauistes adressaient aux souverainistes.

Il fut d’ailleurs assez savoureux de voir son frère Gérard en rajouter dans la dramatisation en présentant tout choix collectif renforçant la laïcité ferme au Québec comme une grave menace sur l’ordre public et la réputation internationale du Québec[17]. Comme son frère, Gérard Bouchard fait un curieux défenseur de la rupture québécoise avec un cadre défini par Trudeau pour déconstruire la nation québécoise. Venant d’un chantre de l’américanité comme rupture, l’invocation d’une prétendue menace, non seulement dans le droit international parfaitement fantasmé des pluralistes, mais dans l’opprobre des faiseurs d’opinion états-uniens – en pratique, il faut plutôt dire du Canada anglais – avait quelque chose de cocasse, pour ne pas dire plus. Si nous adoptons des mesures de laïcité plus ferme, le New York Times écrira peut-être un éditorial désapprobateur : catastrophe !

Pour revenir à Lucien, force est de constater une certaine continuité chez l’avocat du Saguenay dans sa capacité à intérioriser cette mauvaise conscience que tout un discours radicalement anti-souverainiste tente d’inculquer devant toute affirmation forte de notre identité et d’une légitime volonté d’intégration nationale québécoise, depuis le congrès « du miroir » à sa déclaration de février, contre la laïcité et la volonté affirmée de renforcer l’intégration. Deux traits ressortent : une certaine incapacité à se définir autrement que dans le cadre des normes forgées par le Canada[18], y compris en matière d’identité, sans générer de lourds complexes ; l’illusion que quelques politiques de gestion économique pourraient tenir lieu de dessein national. Ces limites sérieuses pour un chef souverainiste, depuis longtemps analysées[19], n’en ressortent que plus nettement.

Action, inaction ?

Les récentes polémiques concernant le prosélytisme religieux dans les CPE, ou le port du niqab par des immigrantes reçues qui suivent des cours de francisation, tendent pourtant à montrer que l’inaction et le cas par cas posent de sérieux problèmes tandis que l’adoption d’une politique de laïcité claire et équitable apporterait une boussole nécessaire pour des questions auxquelles toutes nos institutions, et notre démocratie en général, ne pourront échapper. Pareille politique ne règle qu’un aspect du problème, mais un aspect incontournable : quelle règle commune adopter au Québec devant la multiplication des revendications religieuses particulières ? La règle du multiculturalisme canadien, ou de la « laïcité ouverte », implique une démarche au cas par cas très lourde, qui accorderait une valeur primordiale aux motivations religieuses au détriment d’autres droits, d’autres valeurs, voire du simple respect d’un règlement commun ; elle s’inscrit dans une logique qui veut favoriser le moins d’assimilation possible et dont l’utopie serait la multiplication des nationalités sur notre territoire, surtout grâce à l’immigration.

Une laïcité authentique permettrait au contraire de ne pas accorder une valeur disproportionnée, inéquitable, aux motivations religieuses et de maintenir un cadre démocratique commun respectueux d’autres droits (l’égalité des femmes notamment), le tout favorisant par conséquent davantage l’intégration nationale que le multiculturalisme, et ce, de manière équitable pour les diverses croyances et incroyances.

De fait, une politique de laïcité authentique demande simplement de libérer l’espace civique de la mainmise des croyances et des Églises, et ne doit pas se confondre avec une chasse au patrimoine culturel historique, influencé nécessairement par le fait que le christianisme a marqué officiellement aussi bien que culturellement notre nation durant plusieurs siècles.

Le gouvernement actuel a du mal à sortir de l’inaction, mais ne pourra pas toujours se soustraire aux responsabilités qui lui incombent. La Cour suprême préconise le cas par cas aussi bien dans la gestion des demandes d’exception pour motif religieux que pour l’étude des dossiers des écoles passerelles. Tant les signataires du Manifeste pluraliste que Gérard Bouchard, dans le rapport Bouchard-Taylor et leurs interventions depuis, défendent en fait la logique des accommodements raisonnables développée par la Cour suprême. On les a soudain vus se plaire à reconnaître un cas de demande déraisonnable d’accommodement religieux, soit le port du niqab en classe, pour des raisons pédagogiques[20]. C’est l’exception qui confirme la règle. En réalité, cette limite ne se justifie pour eux pour aucun autre motif qu’un motif pratique.

Or, ce qui est en cause quand on additionne la loi 101, la convergence culturelle et une politique de laïcité authentique et non pas molle ou « ouverte », c’est la défense d’autres principes sur le plan du modèle de démocratie libérale (accordant plus de poids à la démocratie et moins de poids à une interprétation multiculturaliste des droits de l’homme universels), de la neutralité en matière religieuse (la laïcité plutôt que le multiculturalisme qui souhaite favoriser l’expression de toutes les religions dans l’espace civique), et d’intégration nationale (encourager l’assimilation à la culture québécoise, celle de la majorité, plutôt que le maintien d’une juxtaposition de « communautés culturelles »). L’idée d’encourager l’intégration à travers la culture nationale plutôt que la consolidation de différences communautaires ne serait-elle pas plus sage ? Ne nous leurrons pas : venir s’installer dans une nouvelle nation pour obtenir la naturalisation peut très bien exiger une intégration à la culture de cette nation ; cela est parfaitement défendable en démocratie, puisque la politique d’immigration est légitimement du ressort du peuple qui la choisit : à condition de reconnaître un droit d’autodétermination au peuple (ce que plusieurs de nos pluralistes préféreraient presque remplacer par un gouvernement de la Cour suprême et des « experts »).

Sur ce plan, celui de l’intégration nationale au sens propre, donc de l’intégration comprise comme l’intégration à la culture nationale, la laïcité est aussi une manière de favoriser une logique de creuset, sur le mode « À Rome, fait comme les Romains », en définissant des principes équitables pour tous, croyants de toutes confessions comme athées. Elle peut aussi permettre davantage de liberté que la liberté de religion définie en termes multiculturalistes[21]…

L’opinion de plusieurs penseurs, mais aussi d’une nette majorité de l’opinion québécoise, est favorable à ces principes qui s’avèrent plus proches du modèle républicain. En revanche, les citations de Marie McAndrew et Daniel Weinstock reproduites ici montrent que la pensée du Manifeste pour un Québec pluraliste accorde une valeur primordiale à la diversité, à la mosaïque multiculturelle, comme une fin en soi, bien plus qu’à la démocratie québécoise et à la pérennité de notre nation. Les pluralistes défendent certaines politiques d’immigration et d’accommodement religieux bien plus par amour de leur programme idéologique que par souci des intérêts ou respect des choix démocratiques des Québécois. Ces choix et ces préférences, on peut les résumer ainsi : une conception de la démocratie valorisant la souveraineté du peuple plus que le chartisme, de l’intégration fortifiant l’objectif pertinent de convergence vers la culture majoritaire et de laïcité réelle et non pas comme couvert du multiculturalisme et de l’acculturation du Québec.

Nous ne sommes pas condamnés à désespérer. La question du port du niqab par des étudiantes a permis de faire émerger non seulement une opinion majoritaire, comme c’est le cas contre les « accommodements raisonnables », mais un consensus global au Québec. Le gouvernement libéral s’est commis pour fixer des limites, sans que les cris d’orfraie des journaux canadiens-anglais comme le Globe and Mail et The Gazette[22] n’aient la moindre influence : il faut laisser braire les ânes tandis que la caravane passe. L’opposition officielle péquiste, quant à elle, a défini des objectifs plus fermes d’intégration, avec le projet de loi sur la citoyenneté québécoise et se propose de le faire aussi pour la laïcité. Même un journal comme Le Devoir qui, malgré son nationalisme, est fortement influencé par l’intelligentsia « pluraliste », se démarque à présent de la bien-pensance multiculturaliste en matière de laïcité[23]. Tout cela permet d’espérer une clarification et un affermissement des positions du Québec à moyen terme.

Dans l’immédiat, la loi proposée par Québec (projet de loi 94) en faveur de la laïcité ouverte ne constitue que des demi-mesures entièrement compatibles avec le modèle canadien : cela ne contient qu’un niveau minimal de balises qui permet tout juste au Québec de tempérer certains excès du multiculturalisme canadien comme ce fut le cas avec les tribunaux de la charia en 2005, mais ne répond pas, pour l’instant, au désir d’une affirmation plus substantielle de la culture commune qu’exprime, à mon sens, le rejet massif du modèle des « accommodements raisonnables » en matière culturelle et religieuse par l’opinion publique depuis 2006.

Nonobstant les difficultés réelles que posera l’application de la constitution de 1982 au Québec, constitution qui pose du reste un problème de légitimité pour notre État, il importe avant tout que les Québécois définissent plus clairement et consolident leurs choix collectifs déjà énoncés en matière de démocratie, d’intégration et de laïcité, pour s’atteler ensuite au problème de leur application.

 

 

 


 

[1]   La dérogation permet une adaptation circonstancielle et limitée à des cas exceptionnels. Les décisions de la Cour suprême, en matière d’accommodement raisonnable pour motif religieux, et maintenant dans l’invalidation de la loi 104 sur les écoles-passerelles, demandent aux institutions québécoises de systématiser un mode de règlement au cas par cas. Dans le cas du calendrier scolaire, la ministre Courchesne simplifie l’application du cas par cas, singulièrement compliquée autrement, mais avalise ce principe plutôt que celui d’un cadre commun bien défini.

[2]   La question n’est pas réglée : Benoît Charrette et Louise Beaudoin « Accommodements religieux : pour que la confusion cesse », Le Devoir, 11 mars 2010.

[3]   Georges Leroux, Éthique, culture religieuse, dialogue, Montréal, Fides, 2007,p.45-46.

[4]   Voir C.-P. Courtois, « Cité libre, les intellectuels et Duplessis » in Duplessis, Québec, Septentrion, 2010 (à paraître).

[5]   Voir Joëlle Quérin, « Éthique et culture religieuse. La pédagogie de l’accommodement », Le Devoir, 17 décembre 2009.

[6]   Pour les intéressés, le blogue « Pour une école libre au Québec » a numérisé et mis en ligne de nombreux exemples.

[7]   Les initiateurs, tels que présentés sur le site pourunquebecpluraliste.org : Luc Bégin, philosophie, U. Laval et expert-conseil en matière d’ECR ; Pierre Bosset, droit, UQAM, spécialisé en droits de l’homme et droit international ; Stephan Gervais, Études québécoises, McGill, co-directeur de De tricoté serré à métissé serré ?, PUL, 2008 ; Dimitrios Karmis, Études politiques, U. Ottawa, co-directeur du même livre ; Georges Leroux, philosophie, UQAM, est un des concepteurs du cours ECR ; Dominique Leydet, philosophie, UQAM ; Jocelyn Maclure, philosophie, U. Laval, disciple de Charles Taylor et co-fondateur des Cahiers du 27 juin ; Micheline Milot, sociologie, UQAM, une des promoteurs de la « laïcité ouverte » ; Geneviève Nootens, Science politique, UQAC ; Martin Papillon, Études politiques, U. Ottawa ; Daniel Weinstock, directeur du CREUM, qui a été membre du Comité conseil de la commission Bouchard-Taylor et membre du Groupe de travail sur la place de la religion à l’école de 1998 qui allait déboucher sur le rapport Proulx, inspirateur du cours d’ECR ; enfin, seul Pierre-Yves Néron est postdoctorant au CREUM.

[8]   On associe notamment cette école aux philosophes Charles Taylor, Will Kymlicka et James Tully. Plusieurs des initiateurs et premiers signataires du Manifeste pluraliste se rattachent à cette école de pensée, tels Jocelyn Maclure et Daniel Weinstock. Les idées centrales de cette école sont le multiculturalisme, la reconnaissance officielle des différences ethno-religieuses et l’égalité différenciée qui peut s’ensuivre, au sein d’un État libéral.

[9]   Voir Joseph Facal, « Les donneurs de leçon », Journal de Montréal, 5 novembre 2008, consultable sur www.josephfacal.org ; et Mathieu Bock-Côté, « La tentation autoritaire », La Presse, 29 octobre 2009.

[10]    Marie McAndrew, citée dans Louise Leduc, « Les Québécois restent opposés aux accommodements », La Presse, 27 octobre 2009.

[11]    Daniel Weinstock, cité dans Louise Leduc, « Les Québécois restent opposés aux accommodements », La Presse, 27 octobre 2009.

[12]    Voir le blogue de Jean-François Lisée, 1er mars 2010, « Étranges accommodements étrangers », où est discutée une remarque de Gérald Larose : puisque la Charte québécoise des droits prohibe la discrimination en fonction des croyances religieuses et des opinions politiques, pourquoi est-ce que le Manifeste pluraliste défend pour la religion ce qu’il n’accepte pas pour les opinions politiques ? En effet, ils préconisent l’acceptation du port des insignes religieux pour les fonctionnaires, mais acceptent l’interdiction du port d’insignes politiques partisans…

[13]    « Le pluralisme implique-t-il (aussi) d’être à l’écoute de la majorité ? » sur lactualite.com.

[14]    Dimitrios Karmis, Jocelyn Maclure et Geneviève Nootens, « Pourquoi opposer majorité et minorités ? », Le Devoir, 7 mars 2010 ; Jacques Beauchemin et Louise Beaudoin, « Le pluralisme comme incantation », Le Devoir, 13 févr. 2010.

[15]    Marquée historiquement par le catholicisme, elle est la culture d’expression française originale du peuple nommé canadien, canadien-français puis québécois, sans que ce peuple soit avec une quelconque exclusive ethnique – il a d’ailleurs constamment assimilé des individus issus d’immigrations variées – ni que cette culture puisse se résumer exclusivement au français : le français est plutôt un premier pas nécessaire à l’intégration nationale, au processus de creuset national qui existe depuis la Nouvelle-France.

[16]    Cité par Radio-Canada, site internet, rubrique informations, « L’interculturalisme. Les définitions de l’interculturalisme et du multiculturalisme selon les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor », 28 mai 2008 : http ://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2008/05/23/008-Bouchard-Taylor_interculturali.shtml [consulté le 6 mars 2010].

[17]    Dans une interview à Radio-Canada. Voir Josée Legault, « Une camomille, M. Bouchard ? », sur le site de Voir, 18 mars 2010 : http ://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/03/18/une-camomille-m-bouchard.aspx .

[18]    Curieusement, le caractère ombrageux, perméable à un certain canadianisme, prompt à accuser le nationalisme québécois de radicalisme après avoir inspiré le mouvement par d’éloquents discours de tribun nationaliste suite à une rupture avec un parti fédéral permettent de comparer Lucien Bouchard à Henri Bourassa. Bourassa avait rompu avec Laurier au sujet de l’impérialisme, avait galvanisé le mouvement national avec son discours de Notre-Dame, mais l’a fourvoyé dans une pensée absolument pancanadianiste allant même jusqu’à fustiger gravement l’intérêt pour la souveraineté exposé par L’Action française en 1922, radicalisme national impardonnable à ses yeux…

[19]    Robert Laplante, dans « L’éteignoir et le miroir aux alumettes » avait analysé ces traits de caractère au moment de sa démission comme Premier ministre (Chronique de l’enfermement, L’Action nationale éditeur, 2004, p. 203-205).

[20]    Voir les entrevues dans Robert Dutrisac, « Banni le niqab », Le Devoir, 3 mars 2010. Pierre Bosset (un des initiateurs du manifeste) notamment juge que l’accommodement demandé est « déraisonnable ». Gérard Bouchard quant à lui a exprimé une appréciation similaire sur les ondes de Radio-Canada : « Port du niqab. Gérard Bouchard donne raison à Québec », mercredi 3 mars 2010 :

      http ://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/03/03/004-niqab-gerard-bouchard.shtml [consulté le 9 mars 2010].

[21]    L’éditorial de Josée Boileau, « Femmes – Le recul », Le Devoir, 8 mars 2010, relève quelques-uns de ces risques bien réels en ce qui concerne les femmes.

[22]    Voir l’éditorial « Intolerant Intrusion » du Globe and Mail, 11 mars 2010 : de nombreux journaux canadiens-anglais emboîtèrent le pas, dont The Gazette : « Just What Quebec Needs : A Dress Code », 12 mars 2010. Une exception : The National Post : « A Tale of Two Burkas », 9 mars 2010. Voir Antoine Robitaille, « Le Québec et le niqab – Comme des Talibans ? », Le Devoir, 13 mars 2010.

[23]    Idem.

 

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