Un devoir à refaire

Pratiquement tout est à refaire, à ré-écrire, dans ce rapport, sauf, peut-être, ce qui concerne l’immigration et l’aide aux immigrants pour faciliter leur intégration. Je dis peut-être, car à ce chapitre, bien des points restent encore obscurs, dont l’importante question de la reconnaissance et de l’équivalence des diplômes étrangers, qui est certainement loin d’être aussi simple que ne le présentent les commissaires. Je laisserai donc ici de côté toute la question de l’immigration, mais non sans rappeler qu’il s’est souvent dit et écrit, et ce par les commissaires eux-mêmes et leur groupe de 15 experts, que les « accomodements raisonnables » n’étaient pas le fait des immigrants, et encore moins des nouveaux arrivants, mais de Québécois de souche (de religion à forte orthodoxie, généralement), ou d’individus faisant partie de communautés implantées ici depuis longtemps.

Or, les commissaires ont, envers et contre toute logique, maintenu ce lien très étroit entre accommodements et immigration. Ils l’ont d’abord fait en élargissant singulièrement le mandat qui leur avait été confié par le gouvernement Charest, ils ont continué à le faire dans leur document de consultation et tout au long de celle-ci et, finalement, ils ont fait de l’immigration le centre de leur rapport en lui accordant la plus large place. Il y a donc de quoi s’interroger sur l’importance que les commissaires ont accordé à cette question, d’autant plus qu’ils redoublaient ainsi une autre commission, qui s’est tenue presque en même temps, sur l’immigration elle-même, dans le but de déterminer combien d’immigrants il fallait accepter pour les années 2008-2010. On a beaucoup moins entendu parler de cette commission-là, mais elle a traité de toutes les questions qui ont surgi au sein de la commission Bouchard-Taylor. Un pur redoublement, dont les problèmes soulevés et les solutions suggérées sont pratiquement les mêmes.

Et pendant ce temps, que sont les « accommodements problématiques » devenus ? L’impression qui reste de la lecture du rapport, c’est que leur aspect contestable et contesté a été complètement occulté en en faisant une simple question de déformation des faits et de mauvaise perception : simple « crise des perceptions », et non véritable problème de société… C’est exactement ce dont cherchent à nous convaincre plus particulièrement les chapitres 2, 3 et 4 du rapport.

Si, maintenant, nous jetons un coup d’oeil sur les 37 recommandations, regroupées sous 8 grands thèmes, on s’aperçoit que 23 sont liées aux problèmes d’immigration et d’intégration des nouveaux arrivants, et 14 seulement aux accommodements, parmi lesquelles 5 touchent la question de la laïcité (section G). Il faut inclure ces 5 dernières dans les « accomodements raisonnables », puisque ceux-ci sont d’ordre essentiellement religieux et, donc, reliés de très près à la laïcité de la société. Or, quelles sont les recommandations sur la laïcité ? Report de la patate chaude au gouvernement, qui devrait produire un livre blanc sur ce sujet (G1), port de signes religieux interdits seulement aux magistrats et procureurs de la Couronne, aux policiers, aux gardiens de prison, aux président et vice-présidents de l’Assemblée nationale (G2), promotion de la laïcité «  ouverte », déplacement du crucifix de l’Assemblée nationale et fin des prières des conseils municipaux (G3), promotion gouvernementale du nouveau cours d’éthique et de culture religieuse (G4) et publication annuelle d’un calendrier multiconfessionnel indiquant les dates des diverses fêtes religieuses (G5). Ayant ces 5 recommandations sous les yeux, on s’aperçoit qu’il faut enlever la G1, la G4 et la G5, qui ne concernent pas vraiment les « accomodements raisonnables », ce qui fait tomber à 11 sur 37 le nombre de recommandations sur les « accomodements raisonnables », sujet même et raison d’être de cette commission. Si le principal critère d’évaluation d’un travail est celui du respect du mandat donné, messieurs Bouchard et Taylor obtiennent donc la note de 30% !

L’interculturalisme, l’identité québécoise, la laïcité, et… les accomodements raisonnables ?

Fermant les yeux bien rapidement sur les « accomodements raisonnables » (à croire que le sujet ne les intéressait franchement pas), nos deux sages les ont tournés vers des sujets davantage à la hauteur de leurs compétences et de leur savoir : l’interculturalisme comme modèle québécois de société, qui serait différent du modèle multiculturaliste canadien, le racisme, la xénophobie, l’hétérophobie et la discrimination, une psycho-analyse de l’âme québécoise, c’est-à-dire canadienne-française, l’essence d’une démocratie libérale, l’identité québécoise – mais surtout le « malaise identitaire » –, la laïcité, mais pas n’importe laquelle : la laïcité dite « ouverte », les conflits de droits, les bienfaits de la diversité, et la langue française qui, au Québec, se porterait pas mal mieux que la majorité ne le pense.

Je sais que tous ces sujets sont présents dans le rapport, et bien discutables, mais comme je ne peux tous les traiter ici, je vais me concentrer sur le sujet même de cette commission, à savoir la crise des accommodements comme telle : ce qui a été identifié comme étant sa cause et sa racine, et j’ai nommé : NOUS.

Visons la cible : la crise des accommodements

Ce qui est particulièrement à refaire et à ré-écrire, dans ce rapport, c’est l’essentiel concernant le problème des « accomodements raisonnables » ou, mieux, des « accommodements religieux problématiques », à savoir : 1) la cause de la crise elle-même, donc les chapitres 2 et 3 du rapport, et 2) la racine de cette crise, identifiée comme étant la « crispation identitaire » des Québécois francophones (ceux dits « d’origine canadienne-française »), insécures et inquiets de leur survie, et auquels on reproche sans cesse, de chapitre en chapitre, le manque d’ouverture et le manque de tolérance, alors qu’ils se perçoivent – et sont largement – ouverts, tolérants et hospitaliers. À ces deux manques s’ajoutent fréquemment les accusations de xénophobie, d’islamophobie et d’antisémitisme, quand ce n’est pas tout simplement de racisme et de discrimination.

Concentrons-nous sur ce que le rapport identifie comme cause et racine de la crise : une simple question de mauvaise perception des faits, et le malaise identitaire, malaise qui, dans le chapitre 9, devient « la crispation identitaire », « crispation » qui, soit dit en passant, est un mot bien méprisant, choquant, blessant même, et qui semble tout droit sorti du mémoire de M. Touhami Rachid Raffa. (En effet, cette expression ne se trouve pas dans le document de consultation, mais figure, bien en évidence, dans le titre et le contenu du chapitre 9A.)

1) La cause de la crise

La vraie, la réelle cause de cette crise, ce sont certaines communautés culturelles à forte orthodoxie religieuse ou carrément intégristes, dont les deux principales sont – ne nous voilons pas la face – la communauté juive hassidique (Outremont et Val-David), et certains membres de la communauté musulmane. Cela est très visible et d’une évidence claire comme de l’eau de roche quand on regarde tous les cas présentés dans le rapport au chapitre 2 : 26 concernent des musulmans, 26 concernent des juifs, essentiellement hassidiques, 5 concernent des sikhs, 4 concernent des catholiques, 2 concernent des Témoins de Jéhovah, 1 concerne une adventiste du 7e jour et 1 concerne des orthodoxes grecs [1].

Or, pas un mot là-dessus, dans le rapport Bouchard-Taylor. Vraiment le « motus et bouche cousue » total sur la responsabilité de ces gens-là ! Meu non, c’est nous, les Québécois francophones, les « d’origine canadienne-française », qui avons déformé les faits et avons été bien mal informés par les médias. Car il y aurait « une nette disproportion entre les réactions négatives observées dans le public et les événements qui en ont été la cause » (p. 66, où il est question aussi de réactions de rejet). Mais si on se mettait à examiner chacun de ces cas à la lumière de la version dite « documentée », on s’apercevrait que la plupart de ces cas restent discutables et critiquables à la lumière de certains principes et de certaines valeurs, et que la distorsion est bien moins grande que les commissaires le prétendent bien rapidement [2]. La « médiation parfois alarmiste de la situation », dont parle le document de consultation, est devenue, dans le rapport final, une présentation tordue, erronée, inexacte des faits, et la rumeur a fait le reste. Conclusion : il n’y a pas eu une « crise des accommodements » mais une simple « crise des perceptions ». La discrète note 5 du chapitre 6 (si discrète qu’elle semble bien avoir échappé à tout le monde) précise même qu’il s’agit d’un « dérèglement des perceptions » ! ! ! Un peu de sagesse – surtout politique – aurait donc évité la coûteuse commission elle-même, mais celle-ci a tout de même servi à éclairer le bon peuple, bien mal informé sur la « vraie » réalité, particulièrement celle des immigrants [3].

Bref, désinformation, déformation et défiguration des faits, ignorance (en particulier de ce que sont réellement les « accomodements raisonnables », ce qui nous a valu d’ennuyeuses et répétitives leçons inaugurales à chaque forum sur ce sujet), exagérations, préjugés xénophobes, voire racistes, voilà l’explication de cette crise et ce, du document de consultation au rapport final. Dans la conclusion du chapitre 3, les commissaires prétendent que si la population avait bénéficié de la version dite « documentée » des faits, il n’y aurait pas eu de crise des accommodements. Vraiment ? Pourtant, ils parlent de problèmes sérieux et de questions éthiques qui demeurent ou auraient quand même dû être abordés. Ces seuls problèmes et ces seules questions justifient la qualification de « perception jovialiste » qu’en ont eue les commissaires et leurs experts, et que nier le sérieux et le bien-fondé de cette crise ne fait que reporter à plus tard le regard lucide qui permettra une solution permanente au problème.

2) La racine de la crise

La vraie racine de la crise des « accommodements problématiques religieux », ce n’est pas la « crispation identitaire » ou le « malaise identitaire » des Québécois d’origine canadienne-française, c’est le choc des valeurs qui s’est accentué avec la puissante vague migratoire des dernières années, vague qui a déferlé non seulement sur l’Amérique du Nord, mais sur toute l’Europe [4]. Or, sur ce choc des valeurs, il n’y a pratiquement rien dans le rapport, sauf pour le balayer rapido presto sous le tapis et mettre dessus, pour en camoufler les traces, un gros pot de fleurs appelé « le respect des valeurs et des cultures », dont toutes ont droit de cité en toute égalité. Aussi bien dire, même, qu’il est nié ou fortement remis en question, comme on peut le lire au chapitre 6 du rapport : « Est-il certain que les demandes d’accommodement compromettent la culture du groupe ethnoculturel majoritaire ? » (p.124). La note 33 indique que cette question est examinée aux chapitres 9 et 10, lesquels insistent fortement sur le respect et l’égalité de toutes les cultures.

Il peut s’avérer, et il s’est avéré, depuis au moins une quinzaine d’années et tout spécialement en 2006-2007, que certains comportements, bien plus souvent culturels ou moraux que religieux, mais la plupart du temps justifiés par des croyances religieuses, fassent problème. La « crise des accommodements » est due à ces comportements qui, qu’on l’admette ou non, heurtent effectivement certaines valeurs de la société d’accueil. Il faudrait désormais les appeler « les accomodements religieux problématiques ». Il faudra, aussi, arrêter de se voiler la face et les aborder enfin de front, ces « éléphants qui trônent au beau milieu du salon, mais que personne n’ose nommer », selon la formule de Joseph Facal (Journal de Montréal, 29 août 2007).

Il est vrai, comme le dit Pierre Anctil (Le Devoir, 2 juillet 2008), que ce qui dérange, chez certains croyants très orthodoxes, c’est le fait de « s’afficher ouvertement comme tels ». Il ajoute : « notamment lorsque venait le temps de réclamer des services de l’État. » Oui, il y a des deux, les réclamations en question tournant précisément autour des « accomodements religieux problématiques ».

Or, selon les commissaires Bouchard et Taylor, la cause serait, plutôt, la « crispation identitaire » des Québécois francophones (ceux dits « d’origine canadienne-française »). À cette soi-disant « crispation identitaire », à laquelle on ajoute aussi le mot « braquage », on lie de près une « crise identitaire » chez ces mêmes Québécois, dont il est à se demander si elle n’a pas été fabriquée de toute pièce, tellement la majorité de la population ne s’y reconnaît même pas. Et pourtant, bien des gens sont tombés dans le panneau, dont beaucoup de souverainistes et indépendantistes, le PQ en tête. Heureusement qu’il y a eu le sociologue Guy Rocher pour nous rappeler, en juin dernier, que c’est une MAJORITÉ et non une minorité qui s’est exprimée, et qu’il y a une autre voie explicative à explorer, à savoir qu’il s’agirait plutôt d’inquiétudes de majoritaires, et non de minoritaires. Rocher n’insiste pas beaucoup sur cette voie, il ne fait que la suggérer, mais puisqu’il nous invite à l’explorer, c’est ce qu’il nous faut faire ! Imaginez une réécriture du rapport dans cette perspective… Un changement radical, et une tout autre vision de la réalité ! Miroir dans lequel, cette fois, on se reconnaîtrait bien davantage !

Quel modèle de société ? Que faut-il entendre par « intégration » ?

Le 5 octobre 2007, à l’émission de Geneviève Asselin sur la commission Bouchard-Taylor, un extrait des audiences nous présente un homme défendant l’idée que les nouveaux arrivants doivent s’adapter à nos us et coutumes. Il se fait demander par le commissaire Bouchard : « S’adapter à nos us et coutumes, dites-vous. Qu’est-ce qui va leur rester à eux comme culture qui va les différencier de la société d’accueil ? […] S’ils prennent nos us et coutumes, qu’ils délaissent leur religion, il leur reste quoi ? »

Laissons ici de côté son association incongrue entre s’adapter aux us et coutumes de son pays d’adoption et le fait de délaisser sa religion [5], et concentrons-nous sur l’énoncé de sa première formulation de sa question : « qu’est-ce qui va les différencier de la société d’accueil ? » N’est-ce pas là une bien étrange question et, surtout, pleine de sens pour ce qui est de cette soi-disant grande différence entre interculturalisme et multiculturalisme ? Pourquoi les immigrants devraient-ils donc se différencier de la société d’accueil et, surtout, à ce point, jusqu’à ne pas changer d’un iota ce qu’ils vivaient et pensaient dans leur pays d’origine, – sauf de se retrouver dans de meilleures conditions économiques, voire sociales et politiques ?

Voilà un parti-pris (qui n’a d’ailleurs jamais été remis en question, sauf, peut-être, par certains anti-multiculturalistes) en faveur de l’égalité formelle de toutes les cultures, et par conséquent de toutes les valeurs et de toutes les coutumes, en faveur du relativisme culturel. Cet interculturalisme, qu’on nous propose comme modèle de société, est vraiment le jumeau du multiculturalisme, qui risque fort de mener à la ghettoïsation, et non pas un plaidoyer en faveur de l’intégration – et encore moins de l’adaptation. Voilà encore un autre chapitre qui serait complètement à refaire.

Peut-être que les immigrants et les immigrés eux-mêmes sont bien plus portés que nos commissaires à vouloir se fondre dans le tout québécois, à y être bien adaptés et à ne surtout pas se faire achaler par la question qu’on leur pose tout naturellement sur leur origine. À l’émission de Geneviève Asselin mentionnée précédemment, se trouvait Madame Dominique Ollivier. Si elle n’était pas Noire (elle est d’origine haïtienne, elle ou ses parents), personne ne pourrait déceler qu’elle n’est pas une « pure laine » ou une « de souche ». Elle disait que ses enfants et petits enfants se feraient toujours demander « d’où ils viennent », à cause de leur couleur de peau, ce qui ne sera pas le cas d’un Roumain, par exemple, dont le nom « Miron » (prononcer Mironn) deviendra tout bonnement, un jour, Miron, comme Gaston. Si ce n’est pas là vouloir « se fondre dans la masse des Québécois », c’est à se demander ce que c’est !

En passant, petite anecdote loin d’être inintéressante, le rapport Bouchard-Taylor favorise ce qu’ils appellent « un pluralisme intégrateur » (ch. 6, p.115), dont on n’a pas entendu parler jusqu’à présent dans les analyses et commentaires, ce qui est déjà, en soi, quelque peu surprenant. Or, dans l’introduction du chapitre 11, à la page 221, on lit ceci, souligné en orange : « Il importe donc d’agir en profondeur sur les rapports sociaux, sur les rapports de pouvoir, en conformité avec les exigences de ce que nous avons appelé le pluralisme intégral. » Lapsus scriptae que cet « intégral » ? Possible et, alors, bien significatif, ne trouvez-vous pas ?

Oui, les Québécois sont tenus responsables de cette crise

Dans sa mise au point publiée le 10 juin dernier, Gérard Bouchard relève 12 soi-disant « faussetés » ou inexactitudes qui seraient colportées sur le rapport, dont celle qu’il culpabiliserait le groupe majoritaire en l’accusant d’intolérance, et qu’il ferait reposer sur la société d’accueil toute la responsabilité de l’intégration des immigrants, notamment l’obligation de s’adapter aux nouveaux venus. Bouchard ne les traite pas dans son texte, mais bien des faits ou des dires peuvent illustrer de belle façon cette « culpabilisation » réelle des Québécois francophones, et qui parcourt tout le rapport.

Le premier, c’est cette analyse psychologique qui est faite des Québécois : ils voient mal et perçoivent mal, ils ne sont pas suffisamment ou mal informés, ils sont moitié moins instruits que les immigrants, ils sont frileux, hétérophobes, inutilement inquiets, souffrant du complexe du minoritaire [6], ayant une mentalité de survivance, ce qui les amène au repli identitaire, – repli ? – pas assez net, ce mot : non-non, il s’agit d’un vrai braquage, d’une véritable « crispation identitaire » qui a besoin d’un puissant purgatif pour les en libérer… Et on a cru, naïvement, que ça passerait comme un couteau dans du beurre mou, avec ce rapport dénigrant au possible.

Un autre, c’est la manière, assez cavalière merci, dont les auteurs du rapport traitent les cas d’accommodements eux-mêmes. Examinons d’abord ceux concernant la communauté juive hassidique : les incidents d’Outremont et de Val-David (érouvs, synagogues, souccahs, autocars, stationnement, clôture), et le phénomène de la cachérisation. Pour faire bref là-dessus, ce sont de pures et simples accusations d’antisémitisme qu’on a fait pleuvoir sur les Québécois francophones, particulièrement en ce qui concerne l’expansion fulgurante des produits cachères : de l’antisémitisme que le simple fait d’en parler, comme l’a proclamé Bouchard, le 2 octobre 2007 au forum de Québec. L’accusation publique est on ne peut plus claire, et elle est reprise dans le rapport, au chapitre 11G sous le titre « La communauté juive et l’antisémitisme ». Il y est question d’une augmentation des actes antisémites, basée sur les dires du B’nai Brith. Or, à y regarder de près, cette augmentation inclut, justement, tout ce qui s’est dit contre la cachérisation. Le rapport mentionne aussi des sondages récents (réalisés en pleine crise des accommodements) « faisant ressortir une perception plutôt négative des juifs auprès des Québécois canadiens-français » (p.233). Le rapport ne le mentionne pas, mais dans ces sondages, une question portait sur le fait de savoir si « les juifs » cherchaient à imposer leur culture, une question posée au moment même où il était question de l’expansion fulgurante des produits cachérisés (75 % au moins des produits alimentaires et connexes) et de l’interdiction de nourriture non cachère pour toute personne se trouvant dans l’hôpital juif de réhabilitation de Laval, dont 80 % des bénéficiaires ne sont pas juifs… Toujours à y regarder de près, il ne s’agit pas des juifs dans l’ensemble, mais du petit 12 % des juifs hassidiques, lesquels, justement, sont impliqués dans 26 cas d’accommodements sur 65. Alors, méconnaissance de la communauté juive, de notre part, ou critiques justifiées à l’égard de la communauté hassidique ? « Accusations injustes » à propos de la certification cachère », affirme le rapport. Vraiment ? Et pourtant, le rapport recommande qu’une recherche indépendante soit conduite sur le sujet « pour en finir avec ce stéréotype ». Un stéréotype ? Voilà qui est déjà bien significatif, de la part de nos deux commissaires, et il est loin d’être sûr que l’enquête indépendante, si jamais elle a lieu, aboutisse à cette conclusion.

Quant aux autres faits concernant cette communauté (érouvs, synagogues, souccahs, autocars, stationnement, clôture), les commissaires n’y voient que des faits divers sans importance. L’érouv ? C’est faire tout un plat d’un « simple fil de pêche en nylon transparent fixé à 4,5 mètres de hauteur à des poteaux et aux immeubles de propriétaires consentants » (p. 48). Les souccahs sur les balcons ? Quel manque de tolérance pour « une petite cabane de bois ou de toile temporairement érigée entre sept et neuf jours en septembre et en octobre pour célébrer la fête des Souccoth » (p. 49). Après moult procès, en 2004, la Cour suprême du Canada se prononçait à 5 juges contre 4 en faveur des hassidiques. L’affaire est donc réglée, et ne disons rien sur cette dissidence suprême. Des synagogues construites illégalement ? À Outremont, le problème est réglé, la Cour supérieure a tranché et exigé la fermeture de cette synagogue. Pas de quoi fouetter un chat, et on ne vérifiera même pas si elle est bel et bien fermée. Pour celle de Val-Morin, dont la cause a été portée jusqu’à la Cour suprême par la communauté hassidique (QUI préfère la voie judiciaire à la négociation tant prônée par nos deux commissaires ?), la cause est toujours pendante.

Il y eut aussi cette clôture illégale à St-Adolphe-d’Howard, et les autocars pour juifs hassidiques fonctionnant sans permis et garés dans des rues résidentielles d’Outremont. Ces faits sont simplement mentionnés au chapitre 2, et on n’y revient plus par la suite. Pourtant, le problème des autocars existe toujours. Pourquoi ce silence sur de pures illégalités ? Et pourquoi le simple fait de les relever, et de s’y opposer, serait-il une marque d’intolérance et d’antisémitisme ?

Que dire, maintenant, des accusations d’islamophobie, qui sont aussi nombreuses que celles d’antisémitisme. Pour leur part, les musulmans demandeurs sont impliqués, à eux seuls, dans 26 cas d’« accomodements raisonnables », à égalité avec les juifs hassidiques, et tout cela s’expliquerait uniquement par de l’islamophobie ? L’opposition aux tribunaux islamiques (charia), aux locaux de prière dans des institutions publiques, à la non-mixité de certains lieux comme les piscines, à des exemptions de cours ; les réserves formulées sur le port du foulard islamique (hijab), et encore davantage du niqab et de la burka, et à l’idée de restreindre de plus en plus les rapports hommes-femmes, ne seraient que de l’islamophobie ou une forme déguisée, inavouée et inavouable, de racisme ? C’est bien là ce que sous-entendent, en termes à peine voilés, les commissaires, écrivant que le racisme, devenu moins visible, se dissimule souvent, par stratégie, sous des considérations culturelles (p.231). Et nous voici plongés dans l’ethnicisme, le racisme et l’islamophobie, et non dans les revendications féministes et dans la défense du principe de l’égalité pour tous et toutes. Une vision absolument négative et injuste, complètement à revoir.

Un autre cas éloquent d’accusation et de culpabilisation est celui de l’équivalence des diplômes. À ce propos, heureusement que les commissaires recommandent « un examen approfondi » (p.226), compte tenu de bon nombre de questions restées dans l’ombre, car ils se sont toujours attaqués, et ce, sans aucune étude préalable, aux ordres professionnels qualifiés de corporatistes, versant ainsi, pieds et poings liés, dans ce pur stéréotype. Or, malgré qu’ils reconnaissent que la situation est loin d’être claire, tout le chapitre 11, intitulé « Inégalités et discrimination », s’évertue à insister sur les « principales déficiences » du système d’intégration québécois pour ce qui est de l’égalité et de l’équité, en mettant l’accent sur le racisme, l’ethnicisme, la xénophobie et la discrimination envers les minorités ethniques, qui obligent celles-ci à la marginalisation et aux replis culturels. On y dit, dans l’intro, que les auteurs ont donné beaucoup d’importance « au malaise (ou à la « crispation ») identitaire qui s’est manifesté chez plusieurs Québécois canadiens-français », parce que « tant qu’ils éprouveront ce malaise, ils risquent d’être peu sensibles, collectivement, aux véritables problèmes des minorités ethniques » (p.221). Et voilà ! Nous manquons de sensibilité par ignorance et méconnaissance, par manque d’empathie, ce que nos deux commissaires nous amèneront à éprouver pour nous guérir, en nous présentant le sombre tableau de « la condition des minorités défavorisées et la discrimination qu’elles subissent présentement », sur laquelle il faudra toujours et sans cesse revenir (ibid).

Bizarrement, les commissaires affirment que « ce qui est déterminant, c’est moins la capacité d’accueil elle-même, laquelle est toujours très difficile à mesurer dans l’absolu, que la volonté d’accueil, c’est-à-dire les perceptions ou l’attitude des membres de la société d’accueil envers l’immigrant et les ressources qu’on est disposé à consacrer à son intégration » (p.223) D’autant plus bizarre qu’ils nous disent, tout de suite après, que des sondages récents ont démontré, chez les Québécois, une grande ouverture envers les minorités ethniques et un fort appui à l’immigration…

Si, maintenant, on jette un coup d’oeil sur les 37 recommandations (axées davantage, je le rappelle, sur l’intégration des immigrants que sur les « accomodements raisonnables » comme tels), tout repose sur les épaules de la société d’accueil qui doit accroître ses efforts, non seulement financiers (investir plus), mais aussi pédagogiques : former, informer, expliquer, sensibiliser, conscientiser sur le racisme, l’ethnicisme, les inégalités et la discrimination, l’islamophobie et l’antisémitisme, promouvoir (l’interculturalisme), éduquer à la diversité, au pluralisme et à la tolérance, encourager et intensifier les contacts interculturels, former, outiller et responsabiliser les acteurs et intervenants auprès des immigrants, en les obligeant à mettre en place « des mécanismes de reddition de comptes fondés sur des indicateurs de performance » (E2)… Sans compter la recommandation D4, « créer un Fonds d’histoires de vie des immigrants, placé sous la gestion de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. » Résultat attendu : nous deviendrons moins ignorants de leurs difficultés et de leurs efforts d’adaptation !

RIEN, absolument rien sur la part de responsabilité qui revient aux immigrants ou à des membres de communautés culturelles impliqués dans les demandes d’accommodement problématiques qui ont provoqué la crise. Dans tout le rapport, le seul point qui les concerne, c’est d’être, dans certains cas, moins intransigeants et plus disponibles à la réciprocité et à la négociation : « Les demandeurs qui font preuve d’intransigeance, refusent la négociation et vont à l’encontre de la règle de la réciprocité compromettent lourdement leur démarche. Ce serait, par exemple, le cas d’une élève qui refuserait tout compromis vestimentaire pour aller à la piscine. » (point 6, p.21, repris aussi p.179. Ce thème figure d’ailleurs, p. 67, dans la liste des « réactions négatives des Québécois canadiens-français ». Réactions négatives, nous avons bien lu !)

Conclusion

Les deux commissaires ont surtout écouté, d’une oreille très attentive et extrêmement sensible, très largement ouverte, les immigrés et les membres de communautés culturelles voulant des accommodements. Comme le relève Guy Rocher, si les commissaires avaient déjà leur parti-pris explicatif de la crise, ils avaient aussi un parti-pris encore plus évident pour les minorités. Quant aux Québécois de souche, c’est une oreille extrêmement distraite et très largement fermée qui se tendait vers eux, ne s’ouvrant que lorsque se tenaient des propos jugés « offensants » à l’égard des immigrants ou de certaines communautés culturelles. Dans le document de consultation, tout était déjà écrit et même décidé : l’analyse était faite et le jugement des commissaires était déjà prononcé. Une note (la 6e, p.4) nous y apprend d’ailleurs qu’il y a eu une « pré-consultation » auprès d’experts et de gestionnaires, laquelle a certainement orienté l’officielle et avait déjà établi les conclusions du rapport, lequel n’est pas une synthèse des points de vue exprimés, dont on aurait cherché un juste milieu, une sorte d’entre-deux-extrêmes, mais la reprise de la vision de départ qu’avaient les commissaires et, sans doute aussi, la grande majorité de leurs experts. Il n’en fallait pas davantage pour que tous les opposants soient rabroués et se fassent donner la leçon pédagogique à l’occasion, pendant les forums et audiences, et que ces derniers aient tout simplement servi à écouter et prendre en note les objections pour y répondre dans le rapport final. Il fallait bien que la consultation serve à quelque chose, et elle servirait à cela même : entendre les objections, les noter et les contre-argumenter pour les mieux rejeter. Chose faite. Ainsi, le document de consultation aurait très bien pu, avec quelques retouches, évidemment, servir de rapport final dès septembre 2007 !

Guy Rocher a pensé (propos rapportés le 2 juin dernier par Le Devoir) que la majorité francophone recevra ce rapport comme un blâme et le rejettera, parce que les Québécois ne se reconnaîtront pas dans ce miroir, car ils se perçoivent et se définissent comme des gens tolérants, ouverts et hospitaliers, – ce qui, d’ailleurs, est largement confimé par un grand nombre de Néo-Québécois. Pourtant, ce rapport cherche à nous faire croire le contraire. Ce rapport et, en tout premier lieu, un renommé Québécois francophone de souche ! On ne peut que remercier les commissaires de nous rendre fâchés et rembrunis et, de ce fait, de nous obliger à retrouver notre fierté et de dire haut et fort : ASSEZ, C’EST ASSEZ ! Nous sentons très bien que nous n’avons pas été écoutés et que ce que nous avions à dire n’a pas été pris en considération. Nous avons été méprisés, du début à la fin.

Il m’est arrivé de penser, depuis que je suis à l’étude systématique de ce rapport, que Gérard Bouchard, membre de la grande famille souverainiste depuis plus de 40 ans, comme il l’a lui-même signalé dans sa mise au point publiée dans Le Devoir, le 10 juin dernier, a cherché un moyen de revigorer la cause de l’indépendance du Québec. Comment y parvenir efficacement ? Je me suis dit qu’il s’était peut-être inspiré des thèses behavioristes de B-F Skinner, que celui-ci a clairement et brillamment exposées dans son livre « Par-delà la liberté et la dignité » (1971) : instaurez dans l’environnement social un élément aversif, que tout le monde cherchera à éviter ou détestera, et vous obtiendrez ce que vous voudrez en tant que « technicien du comportement socialement souhaitable ». Un exemple : faites-vous détester, voire même honnir, en culpabilisant votre groupe, et l’affaire est tiguidou ! Simple question de psychologie, élémentaire mon cher Watson : à telle action, telle réaction ! M’est avis que je ne suis peut-être pas loin de la vérité…

 


[1] Voir tableau à http ://www.geocities.com/philovicto/les-73-cas.html

[2] Au moment de publier ce texte, j’ai commencé cette étude, mais je suis quand même assez avancée pour affirmer que si « distorsion » il y a eue, celle-ci n’est pas aussi grande que les commissaires le prétendent et ne justifie aucunement que l’on parle d’une simple « crise des perceptions », de mauvaises ou de fausses perceptions : le débat reste entier et toujours justifié.

[3] Voir cet extrait éloquent de la p. 76 du rapport intégral : http ://www.geocities.com/philovicto/extrait-p76-ri.html

[4] Sur ce choc des valeurs, voir ma chronique : http ://www.vigile.net/Vous-avez-dit-choc-des-valeurs

[5] J’ai traité de cette question dans ma chronique « Se débarrasser de sa foi » : http ://www.vigile.net/Vous-avez-dit-se-debarrasser-de-sa

[6] Au chapitre 6, on lit : « Il est même assez clair que la crise des accommodements est, en bonne partie, une protestation du groupe ethnoculturel majoritaire soucieux de sa préservation », et que l’accent mis sur le noyau francophone, dans le modèle de la convergence culturelle, « fait écho B l’insécurité culturelle des Francophones, B leur sensibilité de minoritaires » (p.119).