Une critique du double diagnostic de Bouchard et Taylor

Doctorante en sociologie à l’UQAM

Au moment de sa création en février 2007, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (commission Bouchard-Taylor) se voyait confier la tâche de formuler des recommandations au gouvernement du Québec en matière d’accommodements raisonnables, ces recommandations devant s’appuyer sur une série d’études et de consultations. Après plus d’un an de travail, les coprésidents ont présenté un rapport qui inclut, certes, les recommandations attendues, mais dont une grande part est consacrée à leur lecture de la crise des accommodements raisonnables qui a donné lieu à la création de la commission. Selon les coprésidents, les responsables de la crise seraient d’une part, le groupe majoritaire, et d’autre part, les médias, la crispation identitaire des premiers étant alimentée par le sensationnalisme des seconds. Dans cet article, nous critiquerons ce double diagnostic des coprésidents. Une première partie portera sur le jugement posé par Bouchard et Taylor sur le groupe majoritaire et sur les postulats qui sous-tendent le reproche de « crispation identitaire » qui leur est adressé. Nous nous pencherons ensuite, dans la seconde partie, sur le rôle que Bouchard et Taylor attribuent aux médias dans cette controverse, qu’ils qualifient de « crise des perceptions ».

Une « crispation identitaire »

Le premier coupable d’avoir soulevé la polémique et attisé les tensions serait le groupe majoritaire, rebaptisé « Québécois d’origine canadienne-française ». Cette expression n’est pas innocente, elle découle de la vision de Bouchard et Taylor qui dissocient le Québec, civique, des Canadiens français, ethniques. Ce choix lexical entraîne deux effets pervers.

D’abord, il situe notre appartenance à l’échelle du Canada plutôt que du Québec, ce qui nous ramène à une représentation de nous-mêmes que même les fédéralistes ont abandonnée depuis la Révolution tranquille et qu’on n’entend plus aujourd’hui que de la bouche de certains libéraux fédéraux comme Denis Coderre ou, comme d’autres l’ont souligné, d’Elvis Gratton. Ironiquement, dans le rapport, les anglophones sont appelés Anglo-Québécois, alors que la logique aurait voulu qu’on les appelle Québécois d’origine canadienne-anglaise.

Le deuxième problème avec cette appellation, c’est qu’elle fait reposer notre appartenance sur nos origines, ce qui fait en sorte qu’il est impossible pour les immigrants de se l’approprier. On peut bien devenir Québécois, ce qui ne veut plus dire grand-chose une fois le terme déchargé de toute référence identitaire, mais on ne peut jamais devenir Canadien français. Il y a donc dans cette expression un refus de l’intégration des immigrants au groupe majoritaire, qui ne peut plus agir à titre de société d’accueil.

Dans l’esprit de Bouchard et Taylor, la culture de ce groupe « canadien-français » n’est pas une « culture de convergence [1]», mais seulement celle d’un groupe ethnique. D’ailleurs, les commissaires écrivent que, si la culture majoritaire doit survivre, c’est parce qu’elle est « une source de richesse [2]», le même argument qu’ils avancent en faveur de la préservation des cultures issues de l’immigration. La culture majoritaire est présentée comme un élément parmi d’autres de la diversité culturelle du Québec, mais aussi un élément particulièrement suspect, parce que dominant, donc, susceptible de s’imposer.

C’est à partir de cette conception du rôle que doit jouer le groupe majoritaire que Bouchard et Taylor se permettent de lui faire la leçon. C’est un véritable procès qui est intenté contre les majoritaires. On leur reproche leur « braquage identitaire », leur « crispation », leurs « mouvements d’humeur », on les accuse de « céder au parti de la peur, de la tentation du retrait et du rejet ». Par-dessus tout, on leur dit qu’ils s’inquiètent pour rien. On nie tout fondement à leurs inquiétudes, on considère que leur héritage ne peut pas être menacé, étant donné leur nombre, leurs institutions et, bien sûr, la loi 101 qui aurait tout réglé en matière de francisation[3].

Cette condescendance à l’endroit des majoritaires tranche avec la complaisance dont Bouchard et Taylor font preuve à l’endroit des minoritaires. Les immigrants sont décrits comme des personnes aux conditions de vie difficiles, qui peinent à faire reconnaître leurs droits, qui vivent une « réalité dure et difficile, faite de privations et d’angoisses, où affleure parfois la détresse [4]». On dit aussi des immigrants qu’ils désirent s’intégrer, mais que l’exclusion et la discrimination dont ils sont victimes nuiraient à leur intégration. Parmi les témoignages qu’ils ont entendus au cours des audiences de la commission, Bouchard et Taylor vantent en particulier ceux des immigrants et se réjouissent que la commission leur ait permis de se faire entendre. Bref, que du positif, lorsqu’il s’agit des immigrants.

Cette complaisance est particulièrement manifeste à l’endroit des musulmans, dont on souligne l’instruction, la volonté d’intégration, la connaissance du français et l’attachement au Québec. On insiste également sur les multiples injustices dont ils seraient victimes et on les félicite pour la dignité et le respect qui ont marqué leurs témoignages devant la commission.

La bienveillance des coprésidents à l’endroit des musulmans, et surtout des musulmanes, a également été remarquée par Valérie Dufour, du Journal de Montréal, et Jeff Heinrich, de la Gazette. Dans leur livre Circus Quebecus, les journalistes affirment que les commissaires ont traité les féministes majoritaires de « façon méprisante », en leur faisant subir des « interrogatoires » et des réprimandes « cuisantes ». À l’inverse, en présence de femmes portant le foulard islamique, les commissaires écoutaient attentivement et présumaient de leur « bonne foi [5]». Ce double standard montre bien que l’écoute des commissaires était biaisée par leurs préjugés favorables à l’endroit des musulmanes, notamment des lobbys pro-hijab qui ont participé en masse aux audiences.

Pour ajouter à la liste des minorités présentées comme des victimes de la crispation identitaire majoritaire, ajoutons les anglophones qui, malgré l’affaiblissement de leur poids démographique et politique, se sont montrés très ouverts aux pratiques d’accommodements. Autrement dit, si les anglophones, même minoritaires, ne se sentent pas menacés, il n’y a aucune raison pour que les francophones, majoritaires, soient inquiets.

On le voit bien, les majoritaires sont présentés comme des bourreaux et les minoritaires, comme des victimes. Une question demeure toutefois : comment expliquer cette « crispation identitaire » ? Cette question embête Bouchard et Taylor, puisque, selon eux, on ne peut pas être contre les accommodements, comme on ne peut pas être contre la vertu. Cette conviction est affirmée à maintes reprises dans le rapport, sous la forme d’énoncés sans appel quant aux « impératifs du pluralisme » et aux « exigences de la démocratie libérale ». À titre indicatif, dans le rapport, le terme impératif(s) revient 11 fois, exigence(s), 39 fois, pluralisme, 50 fois et diversité, 164 fois.

Selon Bouchard et Taylor, un « processus de réaménagement identitaire » serait « commandé par la diversification croissante du paysage ethnoculturel [6]». Le principe des accommodements raisonnables et plus largement des adaptations à la diversité religieuse, serait « inhérent à la vie d’une société diversifiée et pluraliste [7]». Ces pratiques ne peuvent pas être abandonnées puisque « ce sont des droits individuels fondamentaux qui sont en cause [8]». Au sujet de la laïcité, Bouchard et Taylor mentionnent que « dans une société libre comme la nôtre, la religion ne peut tout simplement pas être contenue à l’intérieur des strictes limites du domicile et des lieux de culte [9].». Toutes les propositions défavorables aux accommodements religieux sont donc écartées d’emblée, en raison de leur incompatibilité avec les principes que Bouchard et Taylor ont érigés en dogmes. Les arguments entendus à la commission sont d’ailleurs tous rejetés un après l’autre dans une annexe intitulée « les pratiques d’accommodements : réponse aux objections courantes », dans laquelle Bouchard et Taylor jouent aux professeurs pour nous expliquer que nous sommes dans le tort.

Il importe de préciser que notre critique de la posture adoptée par Bouchard et Taylor ne représente en rien un rejet des droits et libertés individuels, comme le laissent entendre les commissaires dans leur représentation ethniciste de l’idéal républicain. Il ne saurait être question d’envoyer une « police de la culture » dans les foyers pour imposer des pratiques aux individus au nom de l’intérêt national ! La liberté de conscience et de religion, tout comme l’égalité des citoyens devant la loi, représentent des acquis indéniables de la modernité. Toutefois, nous rejetons l’interprétation idéologique de ces droits et libertés offerte par les tribunaux québécois et canadiens, qui outrepassent leur fonction en traduisant dans les termes du droit toute question controversée, la soustrayant ainsi à la volonté populaire[10]. En transformant les choix collectifs en droits individuels à l’aide des grilles d’analyse héritées de Trudeau, les tribunaux ont réduit le champ de l’action démocratique. Bouchard et Taylor, en souscrivant à cette interprétation, ne pouvaient conclure autrement qu’en invitant la population à accepter docilement cette toute-puissance du judiciaire.

Ils sont à ce point convaincus que les principes qui sous-tendent l’obligation d’accommodement sont intouchables, qu’ils refusent d’admettre que la contestation populaire soit réelle. Selon leurs observations, les oppositions aux accommodements se sont surtout exprimées « de façon conditionnelle, sans en rejeter vraiment le principe [11]». Mais comment expliquer que la crise ait pris une telle ampleur, si elle ne repose pas sur une opposition de principe ? La réponse des commissaires est la suivante :

Disons d’abord qu’une partie des réactions hostiles aux accommodements et aux ajustements est due à des désaccords sur le fond. Certains citoyens ont une conception particulière de ce que devraient être les rapports interculturels et la façon de gérer la diversité, en particulier la diversité religieuse. Mais, visiblement, les opinions […] se sont également nourries de la version stéréotypée des événements [celle qui a été rapportée dans les médias][12].

Traduisons : certains Québécois sont assez intolérants pour rejeter le sacro-saint principe du pluralisme. Quant aux autres, ils ont été bernés par une couverture médiatique tendancieuse.

Une « crise des perceptions »

Pour nous convaincre que la crise des accommodements n’était qu’une « crise des perceptions » alimentée par les médias, Bouchard et Taylor s’appuient sur deux des « rapports d’experts » qu’ils ont commandés et que l’on retrouve sur leur site web : celui de Maryse Potvin, qui consiste en une analyse du discours médiatique sur les accommodements raisonnables, et celui de Marc Rioux, qui compare la couverture médiatique de certains cas d’accommodements, avec les résultats de ses propres enquêtes auprès des personnes concernées.

Maryse Potvin adresse une série de critiques aux médias. Elle dénonce notamment l’ampleur de la couverture médiatique, en faisant remarquer qu’il y a eu un crescendo d’un mois à l’autre et un phénomène de mimétisme entre les différents médias, ce qui aurait créé un « effet consensuel, multiplicateur et grossissant [13]». Or, s’il y a eu crescendo et mimétisme, c’est bien en raison de la réaction suscitée par les articles et les reportages précédents. La plupart des observateurs s’entendent sur le fait que l’élément déclencheur de la controverse fut le cas du kirpan. Puisque cette affaire a fait l’objet d’un jugement de la Cour suprême, il est normal que les médias en aient parlé. Or, Potvin l’admet elle-même, les journaux « disent avoir reçu des milliers de lettres et de courriels de lecteurs [14]» suite à ce jugement. Ce ne sont donc pas les médias qui ont enclenché la surenchère, mais la réaction populaire qui a incité les médias à s’intéresser davantage à ces questions, afin de répondre aux préoccupations de leur public, une réaction légitime en contexte de liberté de presse et de libre marché.

Potvin reproche également aux médias d’avoir confondu des « faits anecdotiques » avec de « véritables cas d’accommodements raisonnables ». Quelle importance que les pratiques controversées s’appellent « accommodement » ou « ajustement », si au bout du compte, elles sont déraisonnables et s’appuient sur des principes contestables ? Cette question purement sémantique n’a rien à voir avec le débat de fond.

Potvin reproche aussi aux médias certains de leurs choix éditoriaux, comme celui d’avoir insisté sur les cas d’accommodements conflictuels, plutôt que sur les pratiques qui « fonctionnent ». D’abord, le conflit a toujours fait davantage la nouvelle que la bonne entente. On peut difficilement reprocher aux médias d’avoir appliqué cette règle aux accommodements raisonnables. Ensuite, il importe de rappeler que plusieurs journaux ont publié des articles sur les accommodements supposément « réussis ». Pensons aux nombreux dossiers spéciaux de La Presse sur les accommodements dans les écoles, les hôpitaux et les CPE. Chaque fois, les intervenants ont affirmé que tout allait bien. Ils l’ont même répété devant la commission Bouchard-Taylor et leurs propos ont été rapportés dans tous les médias. La vérité, c’est que le fait de rapporter ces accommodements « réussis » ne dissipe pas la grogne. Au contraire, cela prouve que nos institutions se sont toutes pliées à l’obligation d’accommodement et que la crainte de l’effet boule de neige n’a rien de paranoïaque.

Une série de reproches concerne le caractère sensationnaliste de la couverture médiatique, soit les photos, les titres, les sondages, le « cadre dramatique », etc. Or, le sensationnalisme est un phénomène généralisé. Tous les événements sont présentés de la manière la plus sensationnaliste possible, des algues bleues aux accidents de voiture en passant par les déboires sentimentaux des lofteurs. Pourquoi, dans le cas des accommodements, les réactions ont-elles été aussi vives ? Le rapport Potvin ne permet pas de répondre à cette question.

Toutes ces accusations négligent une part importante de la couverture médiatique : les chroniques et les éditoriaux. Beaucoup plus que les articles d’information, ce sont les articles d’opinion qui sont les plus susceptibles d’influencer les lecteurs, puisqu’on y présente un point de vue. Or, l’analyse de Maryse Potvin le prouve : les éditorialistes, chroniqueurs et intellectuels qui se sont exprimés dans les pages éditoriales des journaux étaient nettement plus favorables aux accommodements que les lecteurs qui se sont exprimés sous la forme de lettres ouvertes. Ainsi, s’il y a eu influence des journalistes, celle-ci aurait dû s’exercer en faveur des accommodements.

Le rapport Potvin fournit quelques données révélatrices à cet égard. Parmi les textes signés par des éditorialistes, chroniqueurs et intellectuels, aucun n’exprimait une opinion favorable aux normes de vie de Hérouxville, alors que 57 % des lettres de lecteurs témoignaient d’un appui à la municipalité mauricienne. De plus, 60 % des éditorialistes, chroniqueurs et intellectuels qui se sont exprimés sur le port du hijab au soccer étaient favorables à l’autorisation du foulard, alors que 70 % des lettres de lecteurs préconisaient son interdiction. Peut-on sérieusement parler de manipulation médiatique anti-accommodements en présence de tels écarts ?

Alors qu’elle reproche aux journaux d’avoir accordé trop d’espace médiatique aux prises de position de Mario Dumont[15], Potvin reconnaît que malgré quelques appuis, Dumont a été « largement critiqué » par les éditorialistes et chroniqueurs[16]. Comment peut-elle affirmer que les médias ont aidé la cause de Dumont, alors que presque tous ceux qui ont commenté ses propos les ont condamnés ? La vérité, c’est que pour Potvin, condamner n’est pas suffisant : il aurait fallu faire taire Mario Dumont qui, « a constamment, mais implicitement, légitimé un certain discours populiste, voire racisant, au sein de l’opinion publique [17]». Ce rapprochement entre populisme et racisme est d’ailleurs récurrent dans le rapport.

En ce qui concerne les recommandations contenues dans le rapport, Potvin propose d’offrir aux médias « une éducation aux droits humains, à la « diversité », à la citoyenneté (et même à l’analyse critique des médias), mais aussi à la gestion « éthique » de la diversité, des accommodements et des conflits ». Le lavage de cerveau n’étant pas suffisant, des mécanismes de censure et de sanctions devraient être placés entre les mains du Conseil de presse et du CRTC, afin que les médias puissent assurer leur rôle de « formateurs » et leur « mission éducative et civique [18]». Lysiane Gagnon, une chroniqueuse pourtant très favorables aux accommodements, a qualifié à juste titre ces recommandations de « conclusion[s] qui vous fait dresser les cheveux sur la tête », de « propositions qui évoquent ce qui se passe dans les régimes totalitaires [19]».

Le deuxième rapport de recherche sur les médias sur lequel Bouchard et Taylor s’appuient pour réduire la crise des accommodements à une « crise des perceptions » est celui de Marc Rioux, qui a comparé les résultats de ses propres enquêtes avec la couverture médiatique de certains cas d’accommodements. Bien que le rapport lui-même repose sur un travail de terrain qui a été fait selon les règles de l’art, les conclusions que Bouchard et Taylor en ont tiré posent problème. Selon eux, les écarts entre la couverture médiatique et la réalité ont été suffisants pour induire la population en erreur et susciter des réactions injustifiées.

Une des erreurs les plus fréquentes aurait été de laisser entendre qu’un accommodement a été accordé suite à la demande d’un groupe religieux, alors que bien souvent, les institutions ont anticipé les demandes. Ce serait notamment le cas du sapin de Noël transformé en « arbre de vie » par l’administration Bourque et de l’autorisation du vote voilé par le DGE. Il s’agit effectivement d’erreurs journalistiques, mais cela ne rend pas l’accommodement acceptable pour autant. Tout ce que cela nous indique, c’est qu’il faut éviter de condamner trop vite les minorités et blâmer plutôt la Charte des droits, le multiculturalisme et les Québécois qui ont tellement peur de passer pour intolérants qu’ils accordent des accommodements que personne n’a jamais demandés.

Une autre erreur commise par les journalistes aurait été de confondre « directives » et « suggestions », notamment dans les cas de la « fiche culturelle » qui recommandait aux policières de céder la place à leurs collègues masculins dans leurs rapports avec les hassidiques et du « guide d’accommodement » de la SAAQ qui suggérait de permettre aux minorités religieuses de passer leur examen de conduite avec un évaluateur du même sexe. Bouchard et Taylor voudraient ainsi nous faire croire que si les médias avaient parlé de « suggestions » plutôt que de « directives », ces cas n’auraient suscité aucune controverse. Il est permis d’en douter.

Le cas des cours prénataux du CLSC Parc-Extension a particulièrement attiré notre attention, puisqu’on le présente comme une controverse créée de toutes pièces par le Journal de Montréal, puis reprise par les autres médias. Or, il s’agit à notre avis de bon journalisme. Le journaliste a téléphoné au CLSC en se faisant passer pour un futur père voulant suivre un cours prénatal et il s’est fait répondre que les cours étaient réservés aux femmes afin d’accommoder les femmes musulmanes, hindoues et sikhes. Dans son article, le journaliste a rapporté fidèlement les propos de son interlocutrice.

Le CLSC a ensuite publié un communiqué pour indiquer que cela était faux, que les « services prénataux » étaient accessibles à tous mais qu’effectivement, les cours traditionnels avaient été remplacés par des groupes de discussion, offerts de jour, théoriquement ouverts à tous, mais fréquentés uniquement par des femmes. Le CLSC a également reconnu que cette formule avait été choisie pour accommoder sa clientèle immigrée.

Lorsque l’on compare les deux versions des faits, on voit mal quelle différence cela peut bien faire pour les couples de Parc-Extension qui veulent suivre de vrais cours prénataux et qui se font dire d’aller à Côte-des-Neiges. On voit mal également en quoi ces « groupes de discussion » sans hommes sont plus acceptables que des cours prénataux sans hommes. Finalement, on voit mal pourquoi toutes les personnes qui considèrent importante l’implication du père dans la grossesse devraient se sentir rassurées par la « version documentée » de cette controverse.

Le journaliste Djibril Diallo a été sévèrement critiqué, alors que son article s’appuyait sur un témoignage censé être fiable, soit celui de l’infirmière du CLSC Parc-Extension avec laquelle il avait discuté au téléphone. En guise d’explication, la direction du CLSC a soutenu que l’infirmière en question aurait été mal interprétée parce qu’elle a de la difficulté à s’exprimer en français. Bref, notre système de santé public embauche des infirmières incapables de s’exprimer clairement en français, et pour cette raison, les journalistes devraient s’abstenir de rapporter leurs propos, afin d’éviter de créer de fausses controverses !

Conclusion

Il n’y a rien, tant dans le rapport Potvin que dans le rapport Rioux, qui justifie la conclusion de Bouchard et Taylor à l’effet que la crise des accommodements ne serait qu’une « crise des perceptions ». Les médias ne servent que d’excuse facile pour éviter d’admettre qu’il y a une réelle opposition de principe aux accommodements raisonnables dans la population. Bouchard et Taylor ont donc posé un mauvais diagnostic et en ont tiré de mauvaises conclusions. Il reste maintenant à savoir quelles seront les suites.

Les deux recommandations principales, soit l’adoption de documents officiels sur l’interculturalisme et la laïcité, n’ont pas semblé plaire au gouvernement Charest, visiblement mal à l’aise avec les questions identitaires. D’autres recommandations comme l’attribution de « distinctions à l’excellence » pour les employeurs accommodants, seront certainement écartées. D’autres devront être surveillées de plus près. Le rapport suggère notamment de promouvoir le nouveau cours d’Éthique et culture religieuse qui est entré en vigueur en septembre 2008 et qui consiste en un véritable lavage de cerveau multiculturaliste auquel les enfants auront droit de leur entrée à l’école primaire jusqu’à leur sortie de l’école secondaire. Ce combat est sans doute le plus urgent à mener.

Au-delà de cet enjeu à court terme, il faudra bien admettre que les véritables solutions à la crise des accommodements exigent des changements importants dans la pratique du droit et que, dans le cadre politique actuel, ces changements sont inconstitutionnels. L’obligation d’accommodement est une création de la Cour suprême du Canada. Elle s’appuie sur une charte qui inclut une clause interprétative multiculturaliste et qui fait partie d’une constitution que le Québec n’a jamais signée. Malheureusement, ni les autonomistes, ni les souverainistes ne semblent prêts à mener cette bataille contre le fédéral.

 

 


 

[1] Québec. Ministère des communautés culturelles et de l’immigration. Autant de façons d’être Québécois : plan d’action du gouvernement du Québec à l’intention des communautés culturelles. Montréal : Ministère des communautés culturelles et de l’immigration, 1983. Ce document ministériel souligne l’apport des « communautés culturelles québécoises » au développement du Québec, tout en affirmant que « la culture québécoise doit être d’abord de tradition française » et que cette culture doit agir à titre de « foyer de convergence des autres traditions culturelles ».

[2] Bouchard, Gérard et Charles Taylor. Fonder l’avenir : le temps de la conciliation. Québec : Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008, p. 189

3] Ibid., p.212

4] Ibid., p.224
5] Heinrich, Jeff et Valérie Dufour. Circus quebecus : sous le chapiteau de la commission Bouchard-Taylor. Montréal : Boréal, 2008, p.82-83
 6] Bouchard, G. et C. Taylor. Op. Cit., p.39. Dans ce paragraphe, nous avons mis en italiques certains termes afin de souligner leur fatalisme. Ils apparaissent en caractères normaux dans le rapport.

 7] Ibid., p.65

[8] Ibid., p.89

 ] Ibid., p.143

0] Rappelons que l’obligation d’accomodement n’est inscrite dans aucun texte adopté par des élus, mais qu’elle s’applique tant aux entreprises privées qu’aux institutions publiques, depuis que la Cour suprême du Canada a interprété le « droit à l’égalité » comme étant le corollaire de l’« interdiction de la discrimination indirecte ». Les juges conclurent que des mesures d’exception devaient être accordées en présence de règles jugées « indirectement discriminatoires » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985], 2 R.C.S. 536). Quant à la liberté de religion, elle fut définie par les juges de la Cour suprême comme « le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. » (R c. Big M Drug Mart [1985] I.R.S.C.). Ces deux jugements, qui ont modifié radicalement la gestion de la diversité religieuse au Canada, ont été rendus en 1985, soit trois ans à peine après le rapatriement de la Constitution qui donna un statut constitutionnel à la Charte canadienne des droits et libertés.

[11] Ibid., p.67

[12] Ibid., p.74

[13] Potvin, Maryse et al. Les médias écrits et les accommodements raisonnables : l’invention d’un débat. Rapport remis à M. Gérard Bouchard et M. Charles Taylor. Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, janvier 2008, p.199

[14] Ibid., p.54

[15] Ibid., p.201

[16] Ibid., p.59

[17] Ibid., p.201

[18] Ibid., p.213-214

[19] Gagnon, Lysiane. « L’affaire Couillard », La Presse, 31 mai 2008, p.A31