Pour amorcer le débat, je n’apporterai pas une contribution d’historien, mais davantage le témoignage d’un acteur et d’un témoin qui, avec bien d’autres à l’époque, poursuivaient deux objectifs : l’indépendance et la lutte pour un changement plus global de la société. À l’époque, il était possible chez des jeunes de rêver à une révolution au Québec. On était nombreux à le faire.
Vous savez que j’ai participé à des activités du FLQ, plus précisément dans le réseau du printemps 70 et particulièrement lors de la crise d’Octobre. Après de multiples interrogations sur l’opportunité de raconter mon implication dans ce mouvement, j’ai finalement livré mon récit dans un livre, Mon Octobre 70, la crise et ses suites, publié avec Louis Gill chez VLB. Dans ce livre, j’y relate mes interventions en tant que membre de la cellule Viger. C’est une cellule qui n’a pas joué un rôle central comme les deux autres cellules, Libération et Chénier, mais qui s’est retrouvée à la jonction des deux autres.
Ma présentation d’aujourd’hui n’est pas celle de l’historien même si depuis 50 ans, j’ai incité beaucoup de chercheurs à écrire sur le sujet et aussi contribué à la publication de nombreux écrits sur cette histoire.
Mon parcours d’abord. Jeune adolescent, je suivais, à travers la lecture des journaux tout ce qui concernait le FLQ, dès l’action de son premier réseau en1963. J’avais 18 ans lorsque le FLQ a commencé. J’étais indépendantiste et souhaitais que le Québec devienne un pays. Dès l’âge de 15 ans, au collège Sainte-Marie, j’avais été mis en contact avec l’interprétation indépendantiste par notre professeur d’histoire extraordinaire Noël Vallerand, qui reprenait l’analyse historique de l’historien Maurice Séguin de l’Université de Montréal. J’étais curieux de connaitre pourquoi le Québec n’était pas un pays. J’irai étudier en histoire à l’Université de Montréal en vue d’approfondir la pensée de l’historien Séguin et pour mieux travailler à l’indépendante. Avec lui, je rédigerai mon mémoire de maitrise sur un mouvement séparatiste des années 1936-1938.
À partir de 1962, je militais au RIN, le Rassemblement pour l’indépendance nationale où je partageais ses idées progressistes. J’étais totalement en phase avec l’orientation adoptée vers 67-68 axant l’indépendance pour les travailleurs. Au RIN, on ne manifestait pas seulement pour la langue française, mais également pour soutenir les travailleurs en grèves. On assistait à une expansion du mouvement syndical et à une radicalisation du discours. Les grèves étaient de plus en plus longues, souvent violentes et de plus en plus nombreuses après le retour de l’Union nationale en 1966 et surtout sous le régime de Bertrand. On se battait sur plusieurs fronts.
Peu à peu, j’ai cherché à concilier les deux objectifs que je poursuivais : mon désir de voir le Québec devenir indépendant et mon souci de travailler à l’avancement d’une société plus juste, plus égalitaire, débarrassée des forces anti-ouvrières. Dès 67, j’enseigne au collège Sainte-Marie l’histoire de notre exploitation en présentant notre situation de nation dominée. À partir de 69, j’enseigne l’histoire du mouvement ouvrier et l’histoire du nationalisme à l’UQAM dans un climat de contestation étudiante.
J’ai été catapulté dans le mouvement terroriste lorsqu’un jour un de mes ex-étudiant m’a demandé si je voulais aider le FLQ. J’ai bien expliqué dans mon ouvrage, Mon Octobre 70, comment j’étais heureux qu’un membre du FLQ fasse appel à mes services, et sans avoir une conscience claire où cela m’entraînerait. J’imaginais alors une image d’un FLQ bien structuré, ce qui ne correspondait pas du tout à la réalité. J’ai accepté de m’impliquer à des tâches de soutien, de plus en plus risquées, et j’ai prêté ma plume pour écrire des communiqués. Durant cette période, l’action passait avant la réflexion sur les théories politiques. Avec une connaissance bien sommaire du marxisme, j’essayais de concilier marxisme et terrorisme, ce type d’action étant pourtant condamnée par les marxistes orthodoxes, mais les exemples de guérilla urbaine d’Amérique du Sud et des groupes d’extrême gauche des États-Unis exerçaient chez moi une fascination. Malgré l’échec du Che en 1967, on ne faisait pas le constat de l’échec du guévarisme.
Au FLQ, j’étais convaincu de faire partie d’une organisation dont l’action pourrait nous rapprocher de l’indépendance et du grand projet de création d’une organisation militante révolutionnaire qui serait au service des travailleurs. Je ne décrirai pas ici les nombreuses publications qui abordaient ces deux objectifs que sont l’indépendance du Québec et le socialisme : Parti pris, Révolution québécoise, L’avant-garde, Mobilisation, etc.
Quand le RIN s’est dissout, je voyais le jeune Parti québécois se développer rapidement en insistant sur son préjugé favorable aux travailleurs. J’ai plutôt décidé de m’impliquer au Front d’action politique des salariés de Montréal, particulièrement au comité d’action politique de Saint-Jacques.
Je m’intéressais alors aussi à tous ces exemples de grands partis ouvriers en Europe. J’étais particulièrement curieux de connaitre le Parti communiste italien et sa critique Rossanna Rossanda, de la revue Il Manifesto. Au Cap Saint-Jacques, nous commencions à étudier le fonctionnement de l’exploitation capitaliste que subissaient les travailleurs, l’histoire des classes sociales au Québec et à étudier les stratégies pour le combat. Nous lisions Marx, Lénine, Mao en passant par le Che et même le stratège vietnamien Giap.
En juin 70, en collaborant à l’écriture du deuxième Manifeste du FLQ – peu connu, mais publié dans Québec-Presse – je me souviens d’avoir décrit le grand espoir qui nous portait tous. Je précisais :
Il faut qu’au plus tôt, les représentants des travailleurs remplacent les faux représentants du peuple au parlement. Lorsque le parti des travailleurs sera créé, le Front de Libération du Québec n’aura plus sa raison d’exister.
Je travaillais alors avec quelques militants à la production d’une brochure du CAP Saint-Jacques intitulée Pour la création d’une organisation autonome de la classe ouvrière.
Au début des années 70, tout en étant farouchement indépendantiste, je voyais l’aile gauche des militants du PQ se faire marginaliser, se faire traiter de « purs et durs. ». Je ne comprenais pas alors l’attitude de rejet de Bourgault par la direction du PQ et des premiers indépendantistes d’avant la création du PQ. Pourquoi ce rejet du RIN ? Pourquoi Lévesque ignorait-il ces premiers indépendantistes ? Certains qui avaient parlé d’indépendance et de socialisme à Parti pris en 68 et même à La Cognée, revue du FLQ des débuts et qui avaient transité maintenant au PQ ne parlaient plus d’indépendance, mais de souveraineté avec association. L’autre objectif du socialisme fut rapidement oublié : il fallait d’abord bâtir le Québec par le développement d’une classe d’hommes d’affaires québécois en passant par la social-démocratie.
Une fois que les directions syndicales donnèrent leur appui au Parti québécois, et que furent réalisées ses grandes et importantes réformes, comme la loi sur la santé et sécurité au travail, la loi antiscab, ou la loi 101, ceux qui voulaient aller au delà de ces réformes pour adopter un programme social plus élaboré furent traités d’extrémistes à combattre. Des progressistes quittèrent le PQ comme Burns ou Couture.
Après la crise d’Octobre, j’étais convaincu que si les progressistes et indépendantistes avaient été écrasés par le gouvernement Trudeau et son armée, c’était par manque d’une solide organisation. Je me suis plongé dans la théorie marxiste croyant pouvoir me donner des outils pour mieux analyser la société et mener un combat plus efficacement.
J’ai cru poursuivre mon combat pour l’indépendance du Québec en pensant que mon engagement au FLQ m’aurait permis de poursuivre mes deux objectifs. Ceux qui, au FLQ ou au FRAP, étaient d’abord indépendantistes se rallièrent en grand nombre au PQ qui vit ses troupes grimper jusqu’à 300 000 membres. Au plan électoral, de 23 % en avril 70, le vote atteint 30 % à l’élection de 1973 et 41 % en 76 avec la victoire, 6 ans après seulement la crise d’Octobre. L’habilité de René Lévesque fut de se démarquer de la violence felquiste, tout en montrant la gravité de la situation et en présentant son parti comme la seule solution démocratique.
Il faut dire que les intellectuels Vallières et Gagnon qui avaient appuyé le FLQ ont renoncé rapidement au terrorisme, contrairement à ce qui passait en Europe, particulièrement en Allemagne, en Italie ou en France.
Vallières, après un court séjour en clandestinité rallie en décembre 71 le PQ et Gagnon dès l’été 71 renonce au terrorisme et exprime son projet de travailler à une organisation de travailleurs, organisation socialiste et indépendantiste. Tant dans l’organisation Partisans du Québec libre que dans la publication du bulletin Vaincre, l’objectif indépendantiste était encore présent. Je suivais le cheminement de Charles Gagnon et son équipe qui en vint à créer un journal et une organisation en vue de créer un parti révolutionnaire ouvrier, rejettant le terrorisme et le réformisme.
Ce n’est finalement qu’avec le 1er congrès d’En lutte ! en 1974 qu’une nouvelle orientation fut adoptée sous l’influence d’une organisation marxiste-léniniste rivale, qui poussa la direction d’En lutte ! à adopter une nouvelle stratégie : travailler à l’unité des travailleurs du Canada pour combattre le gouvernement de l’État canadien, bref : ni bourgeoisie canadienne, ni bourgeoisie québécoise ! Adhérent à En Lutte ! au moment où la Chine de Mao était encore populaire, je me retrouvai alors à défendre une position absolument en contradiction avec mon premier objectif et à combattre l’objectif de l’indépendance qui m’avait mobilisé jusque-là.
Rendu au référendum de 80, la contradiction était insoutenable. J’ai du trancher. Je renoncerai à défendre la position d’En Lutte ! qui était l’annulation et j’ai voté oui.
À partir de l’été 1979, je fus appelé à témoigner à la commission d’enquête du PQ sur l’infiltration policière dans le FLQ, dirigé par le commissaire Jean Keable. Il nous apparaissait que trois militants ex-felquistes de l’extrême gauche, Hamer, Séguin et moi, étaient visés. Mon refus de témoigner obligea le commissaire à révéler que mon camarade du FLQ et d’En lutte ! Séguin, était un indicateur et avait pris la relève de l’indicatrice Carole Devault. Et je compris surtout comment le chef de l’escouade anti-terroriste de Montréal avait laissé courir les membres de la cellule Viger du FLQ pour relancer en 71 une activité terroriste contrôlée par ses services. Il décida, avec l’accord des autres corps policiers, d’encourager la réorganisation du FLQ, en utilisant son indicatrice et ses autres indicateurs à relancer de fausses cellules avec de faux communiqués. Il m’est apparu clair que la Loi sur les mesures de guerre du 16 octobre 70 n’avait pas pour but principal d’arrêter les felquistes, mais d’effrayer la population, en particulier les militants du PQ et des groupes populaires. Le gouvernement fédéral prenait prétexte de la violence du FLQ pour discréditer le mouvement souverainiste démocratique. Le gouvernement fédéral a tiré avantage du terrorisme ; il a exagéré sa menace, et a poussé l’odieux jusqu’à inventer la menace d’un coup d’état pour justifier la présence de l’armée et défendre l’unité canadienne et briser l’appui au mouvement souverainiste et populaire.
En conclusion, ce parcours fait de convictions, d’engagement et une part de hasard peut sembler sinueux. J’ai cherché à comprendre la bifurcation dans mon parcours politique : comment indépendantiste convaincu, au cours des années soixante, puis militant au FLQ, j’en suis venu en renonçant au terrorisme à adhérer à une organisation communiste qui me faisait abandonner mon premier objectif : faire du Québec un pays. J’essaie toujours de m’expliquer cette dérive. q
* Historien.
** Tiré du colloque « La violence politique » organisé par la SOPPOQ à l’occasion du 50e anniversaire de l’imposition des mesures de guerre.