Une pensée économique québécoise traverse le siècle

 Professeur de droit, Université de Sherbrooke

logo100eBLEU150Le XXe siècle a vu le monde des idées être traversé par un nombre incalculable de modes, pour le pire plus souvent que pour le meilleur. Par hypothèse, une revue qui dure un siècle peut présenter l’avantage de donner un espace à des auteurs moins soucieux de suivre les modes que de s’inscrire dans une tradition de pensée solidement ancrée.

 

Pour tester la validité de cette hypothèse, nous nous attardons à la pensée principalement économique développée, notamment dans les pages de notre revue, par un disciple de Lionel Groulx nommé Esdras Minville et à des articles parus un demi-siècle plus tard dans cette même revue. Le développement de cette pensée étant survenu au cours de la crise des années 1930, il s’agira de voir si elle a été remobilisée à partir des années 1980, soit au moment où l’Occident en général et les régions du Québec en particulier connaissaient une autre crise économique.

La pensée de Minville : la nation et les décentralisations

À la base, la pensée d’Esdras Minville s’inscrit dans la foulée de celle de Lionel Groulx. Même si le premier est économiste et le second historien, ils sont d’accord sur l’essentiel : la définition de la nation et la place de l’État, qui doit être ni trop réduite, ni trop grande, d’où leur penchant pour la décentralisation.

Selon Groulx, « Une nation est une société politique historiquement constituée par une certaine communauté d’origine, de langue, de traditions, d’aspirations, d’intérêts, et animée de sentiments communs résultant de la vie collective1 ». Ailleurs, il précise sa pensée de la manière suivante :

La nationalité n’est pas la race, simple résultat physiologique, fondé sur le mythe du sang. Entité plutôt psychologique ou spirituelle, deux éléments la constituent : en premier lieu, des similitudes culturelles, un patrimoine commun d’histoire, d’épreuves et de gloire, de traditions et d’aspirations ; puis, à cause de ces traits de ressemblance, un vouloir-vivre collectif, la détermination d’un groupe humain à se perpétuer dans sa figure morale, dans une âme héréditaire, en contact intime avec les sources de sa vie spirituelle. Retenez qu’à ce second élément, plus encore qu’au premier, se révèle et se définit la nationalité2.

De même, et cette fois précisément au sujet de l’identité canadienne-française, Groulx affirme « il y a une telle chose, en Amérique du Nord, que la nationalité canadienne-française : nationalité véritable qui n’est pas seulement une entité ethnique et historique dûment caractérisée, mais aussi et tout autant une réalité juridique et politique3. »

Logiquement, Groulx est l’un des premiers à réclamer pour la nation canadienne-française un « État français ». Bien qu’elle s’inscrive dans une vision selon laquelle les Canadiens français doivent se prendre en mains et ne plus dépendre des Anglo-Protestants, cette notion demeure assez vague. Groulx reste méfiant envers l’État qui pour lui n’est jamais à la hauteur de la nation. C’est dans cette logique qu’en 1931 il dénonce : « Un peu partout, et le Québec n’y fait pas exception, sévit […] la centralisation administrative, ambition tentaculaire d’un socialisme d’État qui, pour s’ignorer, n’en est pas moins envahissant4 ». Mais il se montre plus tard davantage favorable à une intervention de l’État dans le domaine de l’économie5. À cette nuance près, et en précisant que Groulx a rompu avec la pensée de Maurras après la condamnation de certaines de ses idées par le Vatican, nous sommes d’accord avec l’auteur Simon Chavarie pour qui, sur le plan de l’organisation sociale et politique, « la pensée de Groulx présente également de nombreuses similitudes avec celles de Barrès et Maurras […] Groulx privilégiait une nation axée sur la terre et le monde rural […] il préconisait une décentralisation et un régionalisme qui impliquait un certain effacement de l’État6 ».

De manière comparable, pour Minville : « Une nation n’est donc ni un fait économique ni, en dépit de l’opinion courante, un fait politique. C’est un fait sociologique, une communauté de culture. […] Tout citoyen doit avoir le culte de l’histoire : histoire de son pays, histoire de sa nation, l’une en regard de l’autre7. » Il distingue donc son pays légal, le Canada, de sa patrie ou sa nation réelle, le Québec8. Encore plus clairement que Groulx, il prend toutefois soin de récuser « des théoriciens du nationalisme comme Barrès [pour qui] l’individu n’est rien en soi qu’une sorte d’automate dont l’hérédité a réglé d’avance tous les mouvements et jusqu’aux moindres réflexes9 ». Sa conception de la nation évite donc à la fois un nationalisme niant l’individualité et un libéralisme niant la nation culturelle10.

Cet humanisme et cette conception de la nation expliquent pourquoi Minville s’oppose autant à la prolétarisation qu’à la dénationalisation des Canadiens français11. Et comme ces deux phénomènes sont accélérés par la concentration de la population et la centralisation autour de Montréal, où les Canadiens français ne possèdent pas les entreprises, il s’oppose aussi à ces deux phénomènes. Ces raisonnements illustrent que Groulx avait raison de voir dans l’interdépendance des aspects de la vie collective une des idées directrices de l’œuvre de son collègue économiste12.

Pour changer cet état de fait et trouver des solutions face à la crise économique des années 1930, Minville élabore un programme de réformes et de revalorisation du monde rural que l’historien Dominique Foisy-Geoffroy résume ainsi :

[…] un projet de développement économique rationnel et planifié, dans le but d’assurer et le bien commun de la société tout entière et l’épanouissement de la nationalité canadienne-française. L’essentiel de ce programme de réformes économiques consiste en une triple décentralisation : premièrement, une décentralisation démographique, deuxièmement, une décentralisation de l’activité économique, et troisièmement, une décentralisation sociale et étatique13.

Concernant la décentralisation démographique, il s’agit essentiellement de poursuivre la colonisation des régions. Pour lui, la colonisation, comme le développement économique en général, doit être organisée avec beaucoup de soin, notamment par l’État. Minville va jusqu’à proposer la création d’un Conseil technique d’études économiques devant réaliser des recherches dans ce domaine14. Il entreprend lui-même de réaliser un inventaire économique des comtés du Québec. Et il est un des premiers sinon le premier à promouvoir l’idée d’une planification et d’un aménagement régional du territoire, et à parler des changements de structures mentales nécessaires à cette fin15. Ainsi, il écrit :

Chaque région doit être traitée selon son potentiel propre, ses particularités physiques et économiques, de façon à obtenir de ses ressources le maximum de rendement humain […] industries locales et régionales, au besoin liées les unes aux autres, coordonnées en vue de la plus complète utilisation des richesses naturelles et de la plus grande satisfaction16.

C’est dans ce contexte qu’il propose la création de conseils économiques régionaux.

Au sujet de la décentralisation démographique et économique, bien qu’il fasse de l’agriculture une priorité parce qu’elle « permettrait à la nation de prendre possession du sol », il insiste aussi sur l’importance de la combiner avec une activité forestière17. Autant que possible, cela devrait se faire grâce à des PME régionales qui, notamment en favorisant la consommation ou la transformation de ressources naturelles sur place, auraient « le potentiel de revitaliser les régions sur le plan économique, et non de les saigner de leur population et de leurs ressources comme le ferait la grande entreprise », pour reprendre les termes de Foisy-Geoffroy18. C’est que Minville est soucieux de préserver la qualité de vie des travailleurs et celle de leur environnement. À Grande-Vallée, en Gaspésie, il est à l’origine d’une forme durable d’exploitation de la forêt, puisqu’il y prévoit du reboisement, et d’un syndicat forestier coopératif19. C’est là l’autre grand axe de sa pensée économique : sa préférence accordée à la formule coopérative qui permet de faire participer les travailleurs au profit et de démocratiser la gestion de l’entreprise20.

Cette démocratisation est d’autant plus pertinente pour lui considérant qu’il a une confiance limitée dans la démocratie des partis ; d’où son idée d’y adjoindre des corporations, soit des regroupements d’associations correspondant à des branches d’activité (finance, agriculture, artisanats, etc.)21. D’où également son préjugé en faveur de la décentralisation sociale et étatique, et plus précisément du principe de subsidiarité. Minville prône un État ayant un rôle réel, mais restreint, celui d’arbitre chargé de maintenir la solidarité organique des différentes corporations. Et il est en général plus favorable aux interventions des municipalités qu’à celles de l’État, sans toutefois être complètement réfractaire à ces dernières, pour autant qu’elles émanent de l’État québécois et non de l’État canadien. Par exemple, il ne s’oppose pas à l’idée d’un programme d’aide aux chômeurs, mais précise qu’il devrait relever des municipalités et du gouvernement du Québec22.

La pensée de Minville laissa des traces durables sur le Québec. Outre son influence sur diverses mesures d’aide aux colons pendant la crise des années 1930, des conseils économiques régionaux et un conseil d’orientation économique national inspirés de ses idées sont créés pendant l’après-guerre23. De même, un aménagement du territoire régional quelque peu décentralisé voit le jour avec la création des MRC à la fin des années 1970. Toutes ces instances d’inspiration minvillienne sont utiles lorsque survient une autre crise économique.

Face à la crise des années 1970-1990 : des analyses proches de celle de Minville

La crise économique qui débute dans les années 1970 est marquée par une forte inflation et une hausse du chômage qui affecte particulièrement certaines régions. Elle fait suite à des chocs pétroliers et est rendue plus difficile à surmonter par le mauvais état des finances publiques. Dans ce contexte, il nous apparaît pertinent de nous attarder à des articles parus dans L’Action nationale au cours de cette crise et portant sur des régions ou des localités précises. En plus de mettre en valeur ce type d’articles qui a toujours eu sa place dans la revue, l’objectif est de vérifier si les sujets choisis et les solutions proposées dans ces articles font écho à ceux que l’on retrouvait chez Minville un demi-siècle plus tôt. Ces articles concernent respectivement l’Estrie, Alma et le Lac-Saint-Jean Est, Saint-Clément dans le Bas-du-Fleuve et l’Abitibi.

À la une du numéro de novembre 1982 de la revue se retrouve une photo de Sherbrooke qui annonce un article sur le visage coopératif de l’Estrie24. L’auteur, Marcel Laflamme, qui est alors directeur de l’Institut de recherche et d’éducation pour les coopératives et les mutuelles de l’Université de Sherbrooke, débute par un portrait économique de la région en insistant sur l’agriculture, l’amiante, le milieu d’affaire dynamique, les institutions culturelles, religieuses, d’éducation ou de santé et le tourisme. Il note toutefois une stagnation dans le secteur privé, traditionnellement choyé par le capital étranger, et une régression du secteur public après des années de boom suite à la construction du CHUS. Dans ce contexte, il pense que les Estriens doivent se prendre en mains grâce à des coopératives en tous genres.

Il faut dire que le secteur coopératif est alors déjà très présent en Estrie : 80 caisses populaires, de nombreuses mutuelles locales, 9 coopératives agricoles regroupant plus de 2000 producteurs, deux groupes de coopératives alimentaires, les Cooprix et les clubs de consommation, 28 coopératives d’habitation, 8 coopératives de services, 4 de production, 2 écoles coopératives et 4 coopératives étudiantes. Certains secteurs comme celui des caisses populaires sont en forte croissance et d’autres occupent déjà une part importante du marché. L’auteur donne l’exemple de la coopérative funéraire de Sherbrooke qui après seulement huit ans d’existence détient 25 % du marché local. Il note aussi certaines lacunes, comme la concentration des coopératives agricoles dans des fonctions d’approvisionnement à la ferme et leur faible présence en matière de vente ou de distribution.

Dans une section consacrée à la perspective du développement socioéconomique, Laflamme insiste sur de nouveaux défis, des orientations de reconversion de l’économie ou des objectifs pour le mouvement coopératif. Il mentionne notamment le reboisement de terrains à vocation forestière, les parcs d’engraissement de bovins et la mise en valeur de produits laitiers caprins, l’augmentation de la conscience régionale en matière de développement, l’émergence d’un entrepreneuriat francophone, la participation des travailleurs à la gestion et l’avoir des entreprises, la création d’un Conseil régional d’intercoopération, l’essor rapide de la coopérative des producteurs de viandes et le déploiement du secteur de l’horticulture visant à accroître l’autosuffisance régionale en agriculture.

Il ne fait pas de doute que cette analyse de Marcel Laflamme est en harmonie avec la pensée économique d’Esdras Minville. Comme ce dernier, Laflamme insiste moins sur l’importance de l’État que sur celle de l’agriculture, de l’exploitation durable de la forêt, du rôle économique des entrepreneurs francophones, de la participation des travailleurs, de la création d’un conseil régional et surtout du secteur coopératif. Il faut dire que l’article porte sur ce secteur précis. D’où la pertinence de vérifier si l’on retrouve une telle harmonie dans un autre article paru dans la revue à la même époque, mais portant cette fois sur l’étude de l’économie d’une région plus largement.

À la une du numéro de décembre 1985 de L’Action nationale, on retrouve cette fois une photo d’Alma qui annonce une étude socioéconomique portant sur le Lac-Saint-Jean Est, un territoire correspondant à la MRC du même nom25. L’auteure, Johane Lépine, débute par quelques considérations sur la géographie et la population. Elle rappelle qu’Alma est située assez loin des grands centres et « jouit » d’un climat plus froid, mais pas trop humide. Sur la population, outre le fait que contrairement à la légende il n’y a pas quatre femmes pour un homme, on y apprend que malgré une certaine croissance de l’emploi il y a un fort taux de disponibilité de main-d’œuvre. Puis, l’auteure aborde le secteur primaire, soit l’agriculture, l’énergie, la forêt, les mines, où est active la Soquem, et l’aluminium. C’est l’occasion de souligner l’existence d’une coopérative de mise en marché des produits agricoles ayant un chiffre d’affaires de 100 millions par année… et le fait qu’il faut cinq et non pas quatre bleuets pour faire une tarte ! Pour ce qui est du secteur secondaire, il est question des 117 entreprises manufacturières, dont l’immense majorité est formée de PME, et des 36 établissements du parc industriel d’Alma. Quant au secteur tertiaire, il est marqué par des infrastructures et des services, dont un système d’institutions coopératives, des communications, des sports et loisirs, en grande partie municipalisés, et de l’enseignement, avec en plus des écoles une option universitaire offerte en collaboration avec l’UQÀC.

Plus pertinent encore, l’auteure expose le rôle du Conseil économique d’Alma et Lac-Saint-Jean Est. Ce conseil, qui relève du commissariat industriel de la région, mène des actions favorisant entre autres la concertation micro et macro régionale, la formation, l’analyse du potentiel de PME à servir ou à travailler pour de grandes compagnies et l’organisation du Salon de l’agriculture.

Ici aussi, les parallèles à faire avec la pensée économique de Minville sont nombreux, bien qu’il y ait des différences mineures. Comme lui, Lépine insiste sur l’agriculture, la forêt, les coopératives, les PME et l’importance d’un conseil économique régional. Le Conseil économique d’Alma et Lac-Saint-Jean Est semble toutefois faire moins dans la recherche et la planification que dans l’animation, ce qui le différencie quelque peu de la vision de Minville. Chez l’auteure davantage que chez ce dernier, le rôle du monde municipal apparaît central. Quant à celui de l’État, sans être survalorisé il est souligné positivement, ce qui rapproche les deux auteurs. Surtout que l’on parle de l’État québécois et non de l’État fédéral…

Dans le numéro d’avril 1993 de la revue, Clermont Dugas publie quant à lui un article portant sur les services de Postes Canada en milieu rural, plus particulièrement à Saint-Clément dans le Bas-du-Fleuve26. L’auteur y évoque la décroissance démographique de ce village passé en 30 ans de 1 231 habitants à 580, et plus largement celle de la MRC des Basques qui est encore plus accélérée. Dans ce contexte, la décision de Postes Canada de fermer son bureau de poste de St-Clément pour le remplacer par un comptoir postal dans un dépanneur lui semble inopportune. Pour Dugas, le bureau de poste, situé au cœur de chaque communauté, est une des institutions publiques les plus importantes, au même titre que l’église, le centre communautaire ou l’école. Cette décision serait donc contraire aux politiques des gouvernements visant à favoriser le développement régional et la décentralisation. Plus largement, il déplore que les sociétés d’État entreprennent des actions qui vont à l’encontre de ces politiques et contredisent le principe de l’État « accompagnateur du développement » cher au gouvernement du Québec. De plus, selon lui « les citoyens de St-Clément payent des taxes comme tout le monde et ont droit aux mêmes services essentiels que tous les autres Canadiens », et ce, « au nom de la solidarité nationale ». Dans une perspective de développement régional, de cohérence gouvernementale et de solidarité nationale, il propose donc comme alternative, plutôt que de fermer le bureau de poste, d’ajouter à la tâche de son employé d’autres services gouvernementaux.

L’opinion de Dugas n’est pas sans présenter certaines analogies avec la pensée de Minville. Dans les deux cas, il s’agit de défendre le monde rural, le développement régional et le rôle de l’État comme accompagnateur de ce développement. Dugas s’écarte toutefois de cette pensée en associant la solidarité nationale à l’État canadien, alors que pour Minville la nation est culturelle et la patrie québécoise. Quant à la proposition alternative de Dugas, aux yeux de Minville elle présenterait sans doute le désavantage de faire dépendre la communauté de l’État canadien. Dans une perspective minvilienne, serait préférable une solution impliquant davantage la communauté, par exemple le rachat de l’immeuble abritant le bureau de poste, afin d’y maintenir le service postal, mais aussi d’en faire un centre multiservice géré par une coopérative. Il faut donc chercher ailleurs pour trouver un article traduisant une pensée vraiment proche de celle de Minville en ce milieu des années 1990.

Robert Laplante s’attarde à la coopération forestière et au développement de l’Abitibi dans le numéro de janvier 1994 de L’Action nationale27. Il constate d’abord la détérioration de l’économie de cette région causée par les déboires du secteur forestier dus aux « choix de nos politiciens [qui] l’ont condamné à dépendre des compagnies ». Les solutions qu’ils proposent passent par le mouvement coopératif forestier. Laplante est donc proche de Minville en ce qu’il insiste sur la forêt et les coopératives, en plus de se méfier des politiciens.

Ce rapprochement est d’autant plus évident que Laplante se réfère ensuite longuement et explicitement à Minville, pour prôner de bonnes conditions de travail pour les bûcherons, le respect de la nature ou une vision globale du développement régional. Ses solutions vont dans le même sens : restructuration du monde rural par le mouvement coopératif et ses partenaires (gouvernement, municipalités, commissions scolaires, services publics), notamment pour associer la population à qui il faut redonner confiance en l’industrie forestière, exploitation responsable à l’aide de recyclage et de technologies vertes et restauration du potentiel forestier, entre autres grâce à la recherche et la création de réseaux de fermes forestières gérées par des petits producteurs ou des coopératives. Surtout, dans une logique rappelant l’interdépendance des aspects de la vie collective chère à Minville, selon Laplante il faut penser le secteur forestier comme faisant partie du développement communautaire et local plus large. C’est dans cet esprit qu’il propose aux industries du secteur d’investir dans la vie culturelle en soutenant des bibliothèques. Enfin, il clôt son article par un appel à l’audace ainsi qu’à une plus grande collaboration entre le monde coopératif et le monde municipal pour faire face à la crise.

Notre brève étude permet de conclure que des années 1930 aux années 1990, il a existé au sein de L’Action nationale une tradition de pensée économique proprement québécoise qui s’est perpétuée. Cette tradition s’articule autour des principaux axes de la pensée d’Esdras Minville : un nationalisme culturel qui débouche sur un nationalisme économique caractérisé par une attention particulière aux régions et à leur développement qui passe par la décentralisation et la participation, notamment au sein de coopératives et de PME dans des secteurs clés comme l’agriculture et la forêt28. Cette tradition de pensée a été élaborée, puis réactualisée, entre autres avec une plus forte insistance sur le monde municipal, lors de périodes de crise.

Reste maintenant à voir si cette tradition continuera de vivre et d’évoluer au cours des prochaines décennies, qui ne manqueront pas d’être marquées par d’autres crises du capitalisme. Chose certaine, si elle le fait, L’Action nationale sera là pour en témoigner et c’est tout à son honneur. 

 

 


1 Lionel Groulx. Une anthologie, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1998, à la p. 75.

2 Lionel Groulx, ibid, aux p. 77-78.

3 Lionel Groulx, ibid, à la p. 79.

4 Lionel Groulx, L’enseignement français au Canada. Dans le Québec, t. IV, Montréal-Paris, Éditions Leméac, Éditions d’Aujourd’hui, 1931, à la p. 167.

5 Lionel Groulx, Mes mémoires, tome IV, Montréal, Fides, 1974, à la p. 357.

6 Simon Chavarie, « La nation organique : Maurras, Barrès et Groulx – Partie 2 », Le Panoptique, 1er novembre 2008, en ligne : http://www.lepanoptique.net/sections/histoire/la-nation-organique-maurras-barres-et-groulx- – – partie-2/.

7 Esdras Minville, « Éducation nationale et sociale », La Jeunesse, 23e session des Semaines sociales du Canada, Saint-Hyacinthe, Montréal, Secrétariat des Semaines sociales du Canada, École sociale populaire, 1946, p. 269.

8 Sous le pseudonyme de Jacques Dumont, « Méditation pour jeunes politiques », L’Action française, janvier 1927, p. 30.

9 Esdras Minville, « Les chocs en retour de l’anglomanie », d’abord paru dans L’Action nationale, 1er semestre 1934 et reproduit dans les Œuvres complètes, v. 9 : p. 398.

10 Pierre Trépanier, « Esdras Minville (1896-1975) et le traditionalisme canadien-français », Les Cahiers des dix, no 50, 1995, p. 259-260.

11 Esdras Minville, « Le capital étranger », L’Action française, juin 1924, p. 341.

12 Lionel Groulx, « L’œuvre d’Esdras Minville », L’Action nationale, janvier 1945, p. 11.

13 Dominique Foisy-Geoffroy, « Esdras Minville et le nationalisme économique, 1923-1939 », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, vol. 1, no 1, 2000, p. 60.

14 Fernand Harvey, « La question régionale au Québec », Revue d’études canadiennes, (1980) 15, no 2, à la p. 75.

15 François-Albert Angers, « La pensée économique d’Esdras Minville » L’Actualité économique, (1996) 72, no 4, 375.

16 Cité dans Jean-Jacques Simard, La longue marche des technocrates, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979, à la p. 81.

17 Dominique Foisy-Geoffroy, « Esdras Minville et le nationalisme économique, 1923-1939 », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, vol. 1, no 1, 2000, p. 62.

18 Dominique Foisy-Geoffroy, « Esdras Minville et l’idée de décentralisation », communication prononcée le 26 octobre 2001, dans le cadre du 54e congrès de l’Institut d’histoire de l’Amérique française.

19 Esdras Minville, « Un maître en nationalisme canadien-français », RC, juin-juillet 2006, p. 1-6, en ligne : http://crc-canada.net/nationalisme-canadien-francais/esdras-minville/maitre-nationalisme-can-fr/

20 Dominique Foisy-Geoffroy, « Esdras Minville et le nationalisme économique, 1923-1939 », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, vol. 1, no 1, 2000, p. 62.

21 Dominique Foisy-Geoffroy, ibid, p. 63.

22 Esdras Minville, Syndicalisme, législation ouvrière et régime social au Québec avant 1940, Montréal, Fides, 1986, recensé par Jacques Rouillard, R.H.A.F., (1988) 41, no 4, à la p. 625.

23 Fernand Harvey, « La question régionale au Québec » Revue d’études canadiennes, (1980) 15, no 2, à la p. 75.

24 Marcel Laflamme, « Le visage coopératif de l’Estrie », L’Action nationale, novembre 1982, p. 225.

25 Johane Lépine, « Alma et Lac-Saint-Jean Est », L’Action nationale, décembre 1985, p. 335.

26 Clermont Dugas, « Le service postal en milieu rural : le cas de St-Clément », L’Action nationale, avril 1993, p. 475.

27 Robert Laplante, « La coopération forestière et le développement de l’Abitibi », L’Action nationale, janvier 1994, p. 43.

28 Dominique Foisy-Geoffroy, « Esdras Minville et le nationalisme économique, 1923-1939 », Mens : revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française, vol. 1, no 1, 2000, p. 51-68.