Une politique nationale de population pour guider l’avenir du Québec

L’idée d’adopter une véritable politique nationale de population au Québec n’est pas récente. Dès 1975, alors que le Québec commençait à sentir l’effet d’une fécondité sous le seuil de remplacement, le démographe Jacques Henripin[1] recommandait au gouvernement du Québec l’élaboration, avec une participation citoyenne, d’une telle politique. L’idée derrière cette recommandation était de bien agencer les actions gouvernementales pour faire face aux nouveaux défis engendrés par la transformation des comportements démographiques.

Henripin définit une politique nationale de population comme étant « un ensemble de mesures législatives, de programmes administratifs ou d’interventions gouvernementales destinés à contrôler et orienter les tendances démographiques actuelles en vue d’atteindre un développement optimum » (p. 87). Le démographe a cherché à faire avancer l’idée, notamment en publiant un livre sur la question en 2004[2], mais, fidèle à lui-même, le gouvernement a malheureusement fait la sourde oreille. Nous avons la conviction plus que jamais que le gouvernement du Québec devrait se doter d’une telle politique pour guider son avenir.

Le cycle de vie des boomers

En se dotant d’un plan de développement précis, l’un des principaux intérêts d’une politique de population est d’assurer la cohérence entre les diverses interventions gouvernementales. En étudiant le passé, on peut constater que l’absence de politique de population a généré des incohérences dont les impacts fiscaux et sociaux se font encore sentir. Le démographe Jacques Légaré en rapporte un exemple concret[3]. Durant les années 1950, alors que le Québec était en plein cœur du baby-boom, entre 120 000 et 145 000 naissances étaient enregistrées chaque année, autant de naissances qui ont contribué massivement à peupler les écoles quelques années plus tard. Or, dès les années 1960, une chute constante et soutenue des naissances était observée et les niveaux se retrouvaient à osciller entre 75 000 et 90 000 quelques décennies plus tard.

Lorsque les boomers, beaucoup plus nombreux que les générations suivantes, ont quitté le système scolaire, on aurait pu s’attendre à une diminution des budgets en éducation. Or, ce ne fut pas le cas : la part du budget est restée la même et l’argent s’est noyé dans le système et dans la bureaucratie. Une politique de population aurait permis de suivre l’évolution démographique et d’adapter les programmes. Selon Légaré, le surplus qui aurait dû se dégager au ministère de l’Éducation aurait pu être transféré au ministère de la Famille, ce qui aurait permis de mettre en place un système universel et gratuit de garderie.

Si le Québec a raté le coup lors du passage des boomers du système scolaire au marché du travail, il n’est pas trop tard pour prévoir la suite, rappelle Légaré. Au cours des prochaines années, lorsque les boomers quitteront massivement le marché du travail, une cohorte très nombreuse arrivera dans le rang des personnes âgées, engendrant une forte augmentation des coûts et des besoins en infrastructures pour répondre à leurs besoins. On peut par exemple penser à la multiplication des CHSLD. Or, les gens issus du baby-boom ne sont pas éternels. Lorsqu’ils s’éteindront et seront remplacés par les générations suivantes, beaucoup moins nombreuses, il faut prévoir le coup de manière à assurer une saine réallocation des ressources pour éviter un surplus de lits en CHSLD. Si nous n’avons pas su gérer de manière très efficiente les perturbations occasionnées dans le passé par cette cohorte particulièrement nombreuse, la mise en place dès maintenant d’une politique nationale de population permettrait de gérer adéquatement le vieillissement à venir. Les défis sont nombreux, puisqu’il faut assurer une qualité de vie décente aux futurs aînés tout en restreignant les iniquités intergénérationnelles.

L’immigration et l’intégration à la culture francophone majoritaire

Outre l’aspect d’un meilleur suivi des besoins des générations au fil de leur cycle de vie, l’élaboration d’une politique de population est d’un intérêt primordial pour une société en lutte pour sa survie. Depuis le début des années 1990, le Québec s’est doté d’une politique d’immigration visant officiellement à « contribuer au redressement démographique, à la pérennité du fait français, à la prospérité économique et à l’ouverture du Québec sur le monde »[4]. De forts contingents d’immigrants sont depuis arrivés au Québec, faisant de la province l’une des régions au monde accueillant le plus d’immigrants au prorata de sa population. Les objectifs sont louables en soi – qui oserait s’opposer au redressement démographique, à la prospérité économique et à l’ouverture sur le monde ? Mais ces retombées sont-elles bien réelles ?

Concernant l’impact démographique, nombre d’études ont déjà démontré que l’impact de l’immigration sur le vieillissement démographique est positif, certes, mais très faible[5]. En somme, il est inutile de compter sur l’immigration pour un redressement concret et durable du bilan démographique. Tout au plus, l’immigration permet de retarder le vieillissement de quelques années, et ce, de manière conjoncturelle. Or, les principales préoccupations du vieillissement de la population concernent notamment l’augmentation du fardeau social et fiscal reposant sur les épaules des travailleurs. Ainsi, il ne suffit pas d’un impact légèrement favorable sur la structure par âge pour avoir un effet concret et positif sur le vieillissement : il faut que ce faible rajeunissement se traduise par une augmentation des taux d’activité, des taux d’emploi et plus concrètement, du revenu moyen. Les immigrants étant en moyenne un peu plus jeunes que la moyenne québécoise, certains font le calcul simpliste que l’impact sera forcément positif sur la proportion de personnes en emploi. Or, compte tenu des difficultés d’intégration économique des immigrants, situation qui s’est par ailleurs nettement détériorée depuis les années 1980, malgré l’amélioration théorique des critères de sélection, tout indique que les attentes stipulées par les politiques d’immigration ne sauront être comblées. L’écart entre les revenus des immigrants et des natifs est en effet si important que l’impact légèrement favorable de l’immigration sur la structure par âge pourrait être annulé, voire inversé. Quoi qu’il en soit, même advenant une intégration économique parfaite, qui ne s’observe d’ailleurs nulle part en Occident, l’impact global de l’immigration sur les conséquences du vieillissement de la population serait limité. Ce faible impact sur la structure par âge se répercute sur l’impact économique plus général de l’immigration. Les études scientifiques sur la question convergent généralement vers un consensus : l’effet de l’immigration sur des indicateurs comme le PIB par personne ou les salaires est insignifiant[6]. Il est donc peu vraisemblable que l’immigration ait un impact important, sur la prospérité économique du Québec, comme le souhaite le gouvernement du Québec.

Nous voyons là une situation qui pourrait être mieux contrôlée par l’adoption d’une politique nationale de population. Actuellement, les efforts du ministère de l’Immigration sont concentrés sur l’atteinte des niveaux d’immigration décidés lors de la planification. Certes, les discours officiels soulignent l’importance de bien intégrer économiquement les nouveaux arrivants, mais dans les faits, bien peu est fait à cet égard. Le ministère n’a en effet mis en place aucune enquête de suivi visant à valider, par exemple, la pertinence des critères de sélection, pas plus qu’il n’y a de suivi de l’efficacité des divers programmes visant à accompagner les immigrants dans leur intégration économique et linguistique. Des sommes sont investies ici et là, sans cohérence et sans savoir si l’investissement en vaut la peine. Qui plus est, les budgets accordés aux divers programmes d’intégration ne concordent pas nécessairement avec les volumes d’immigration. Les programmes sont même parfois gérés de manière indépendante entre les différents ministères. Pensons aux cours de francisation, dont certains sont octroyés par le ministère de l’Éducation et d’autres par le ministère de l’Immigration.

L’idée que l’immigration puisse assurer la pérennité du français est quant à elle complètement loufoque, du moins, dans les conditions actuelles. Certes, le nombre absolu de locuteurs francophones peut augmenter avec l’immigration : il suffit qu’un seul immigrant parle français. Mais à coup sûr, l’impact direct de l’immigration sur la place du français se traduit par la perte relative de la prépondérance de cette langue au Québec. Des points sur la connaissance du français sont accordés dans la grille de sélection des travailleurs qualifiés immigrants, mais d’un côté, la proportion de candidats répondant parfaitement à ce critère est trop faible et de l’autre, le simple fait de connaître le français n’est pas garant d’une intégration linguistique à la majorité francophone. Pour prendre un exemple concret : le premier ministre du Canada, Stephen Harper, connaît le français, mais il serait fort étonnant qu’il s’identifie d’abord à la culture francophone. Pour éviter cette conséquence et répondre à l’objectif établi par l’énoncé de politique en matière d’immigration, il faudrait que chez les immigrants et leurs descendants, la proportion de francophones ou de personnes s’intégrant culturellement à la majorité francophone soit supérieure à la proportion de francophones chez les Québécois natifs. Ce n’est pas le cas et on imagine difficilement comment cela pourrait le devenir. Peu importe l’indicateur d’intégration linguistique étudié, que ce soit la connaissance du français, l’utilisation du français à la maison ou l’utilisation du français dans la sphère publique, la langue officielle de la Belle Province est moins prisée par les immigrants que par les natifs. Par exemple, si on regarde la langue de travail rapportée par le recensement de 2006, un peu plus de la moitié des immigrants utilise le plus souvent le français. Certes, c’est la majorité, mais c’est loin d’être suffisant, car chez les non-immigrants, le chiffre correspondant approche les 90 %. La conséquence directe de cette situation est donc la diminution relative du poids du français au Québec.

Par ailleurs, la nation québécoise ne se caractérise pas uniquement par sa langue, mais également par ses traditions, sa culture et son histoire. À cet égard, l’immigration peut également influencer la composition socioculturelle de la province. De récentes projections effectuées par Statistique Canada montrent, par exemple, que les prochaines années seront caractérisées par une diminution constante de la population se définissant comme catholique au profit des personnes se réclamant d’une autre religion[7]. En somme, selon les données de l’enquête sur la diversité ethnique réalisée également par Statistique Canada, moins de 5 % des immigrants s’identifient au moins partiellement à la culture « québécoise » ou « canadienne-française ». Bref, pour assurer la pérennité de la nation québécoise, il ne suffit pas d’une intégration linguistique réussie, mais également d’une intégration culturelle réussie, intégration qui passe en premier lieu par un fort sentiment d’appartenance envers la société d’accueil.

Soulignons ensuite que la répartition géographique de l’immigration est très inégale : près de 85 % d’entre eux s’installent dans la région métropolitaine de Montréal. Du coup, la transformation de la composition socioculturelle de la population se fait à grande vitesse dans cette partie du Québec, alors que le reste de la province demeure peu affecté. Montréal est de plus en plus multiethnique, multiconfessionnelle et polyglotte, alors que le reste du Québec demeure francophone de descendance française et de tradition catholique. Un enjeu important peut être soulevé face à ce constat : puisque la très grande majorité des immigrants s’installent à Montréal, comment assurer l’intégration des immigrants à la culture majoritaire québécoise, alors que les grandes tendances démographiques éloignent de plus en plus cette ville du reste du Québec ? Cette prépondérance de l’immigration à Montréal soulève un autre enjeu, d’ordre politique cette fois-ci : la perte relative du poids des autres régions du Québec, qui se répercutera ultimement sur la répartition des sièges à l’Assemblée nationale.

Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt les immigrants. Il serait malhonnête de leur jeter le blâme pour les difficultés d’intégration culturelle et linguistique qu’ils éprouvent et dont ils sont souvent les principales victimes. En somme, il s’agit d’une situation normale pour une province ayant une telle politique d’immigration et dont la culture est minoritaire dans un ensemble plus vaste. Cette situation normale découle d’une décision politique dont les conséquences à cet égard n’ont simplement pas été mesurées. Étant donné l’absence d’une politique nationale de population, le ministère de l’Immigration n’a jamais cherché à évaluer l’impact de ses décisions sur la place du français au Québec, sur la culture québécoise plus généralement et sur la répartition géographique de la population. Et même s’il cherchait à le faire, est-ce vraiment au ministère de l’Immigration de décider de la composition culturelle, linguistique et géographique future du Québec ? Non, évidemment. De telles décisions, lourdes de conséquences, dépassent largement son mandat. Cette décision devrait en être une prise collectivement et démocratiquement dans le cadre d’une politique de population.

La nécessité d’indicateurs populationnels fiables

Les sujets abordés jusqu’à présent nous rappellent l’importance d’avoir des indicateurs populationnels fiables. Il est impératif de suivre avec rigueur les comportements actuels et passés de la population afin de bien évaluer les conséquences de tout ordre des politiques telles que celles reliées à l’immigration et ainsi d’assurer une gouvernance soucieuse d’un développement optimal, suivant les aspirations des Québécois.

Jusqu’à récemment, ce suivi aurait pu être techniquement possible, bien qu’il n’ait souvent pas eu lieu. Depuis la décision du gouvernement canadien d’abolir le questionnaire long du recensement, la tâche se complique. Pour les non-initiés, rappelons que la plupart des questions permettant le suivi de l’intégration économique et professionnelle des immigrants trouvaient leur source dans cette partie du recensement. Certes, une nouvelle enquête sur les ménages reprend l’essentiel des questions du recensement long, mais le caractère non obligatoire de celle-ci rend les résultats beaucoup moins fiables. Des pans de la population présentant des caractéristiques particulières pourraient être exclus ou sous-représentés, sans possibilité de corriger adéquatement les chiffres. Du coup, on se prive de la possibilité de faire des séries chronologiques fiables. La comparaison temporelle d’un indicateur comme le revenu des immigrants ne pourra être révélatrice d’une tendance réelle, puisqu’il sera impossible de déterminer si les fluctuations observées sont le fruit d’une réelle évolution de la situation ou d’un biais de collecte à la source. Le suivi historique d’indicateurs collectés depuis plusieurs années s’achève donc avec l’abolition du recensement long. Il deviendra alors très difficile dans de telles conditions de mesurer adéquatement l’intégration économique ou linguistique des immigrants et d’évaluer les tendances réellement en cours.

Certes, des enquêtes populationnelles peuvent être menées de manière indépendante par le gouvernement du Québec, notamment par son organe statistique officiel, l’Institut de la statistique du Québec. Toutefois, il faut comprendre que, pour être fiables et représentatives de la population qu’elles cherchent à étudier, ces enquêtes doivent nécessairement se baser sur une description exhaustive de la population afin de calibrer les résultats. Or, en l’absence du questionnaire long du recensement, cette description exhaustive de la population n’existera plus. Du coup, la décision du gouvernement canadien a un impact direct sur les enquêtes mises sur pieds par le gouvernement du Québec pour répondre à ses besoins. Elle prive nos institutions nationales d’un outil précieux pour l’élaboration de ses politiques.

Le Québec subit la volonté du reste du Canada. Un Québec indépendant se doterait assurément d’un recensement exhaustif, mais même un Québec dépendant devrait envisager de sortir du processus censitaire canadien pour mener son propre comptage de la population, ne serait-ce que parce que plusieurs questions concernent des sujets de compétences provinciales. L’intérêt d’une telle mesure est double. D’abord, les questions choisies répondraient spécifiquement aux besoins du Québec pour ses enjeux de société et pour l’élaboration de ses politiques publiques. Dans le cas d’un recensement pancanadien, ce n’est pas nécessairement le cas, puisque les intérêts particuliers des provinces et territoires entrent parfois en conflit et des concessions doivent être faites. Qu’on s’entende : les préoccupations de la Colombie-Britannique ou de la Saskatchewan, par exemple, divergent en plusieurs points de celles du Québec. Ensuite, en faisant son propre recensement, le Québec n’aura plus à être à la merci des décisions prises par le gouvernement fédéral. Quoi qu’en pense le reste du Canada, il pourrait ainsi rétablir sa propre version du questionnaire long du recensement, mettre en place des indicateurs pertinents pour assurer une bonne gouvernance et parallèlement, du moins, c’est notre souhait, se doter d’une véritable politique nationale de population pour assurer la cohérence des divers programmes avec un objectif national collectivement déterminé.

Un objectif populationnel à notre portée

Les Québécois doivent se poser la question : à quoi le Québec de demain devrait-il ressembler ? Doit-on viser une croissance soutenue de la population ? Peut-on accepter un déclin ? Devrait-on plutôt opter pour une stationnarité de la population ? Si oui, à quel niveau ? Concernant la place du français, vers quel pourcentage de francophones doit-on tendre ? Et la disparité géographique ? Souhaitons-nous une concentration géographique de la population dans la métropole et ses agglomérations satellites ou une répartition territoriale plus homogène ? Une politique nationale de population donnerait une réponse claire à ces questions et orienterait les autres politiques publiques pour tendre vers les objectifs souhaités.

Nous croyons qu’une croissance soutenue ne peut être envisageable, surtout dans un contexte de faible fécondité. Tôt ou tard, un plafond doit être atteint. Selon le démographe Anatole Romaniuk[8], la stationnarité de la population est une réponse optimale pour les enjeux reliés au développement durable, à l’économie, à l’identité nationale, à la cohésion sociale, voire même à la paix dans le monde. Selon nous, le Québec doit ainsi tendre vers la stationnarité de sa population à un niveau similaire à celui d’aujourd’hui. Dans un contexte de faible fécondité, il existe deux moyens d’y parvenir.

Le premier moyen consiste à compenser par l’immigration les naissances manquantes pour le remplacement des générations. Avec la fécondité actuelle – 1,7 enfant par femme –, il faudrait que le Québec reçoive environ 40 000 immigrants par an pour maintenir sa population aux alentours de 8 millions d’habitants. Ce niveau d’immigration est nettement inférieur au niveau actuel (50 000), mais demeurerait tout de même considérablement élevé si l’on se compare à la moyenne des pays occidentaux. Dans le contexte d’intégration actuelle, la conséquence directe d’une telle méthode pour parvenir à la stationnarité de la population serait un fort déclin relatif de la plupart des régions du Québec à l’exception de la grande région de Montréal et une marginalisation du français, particulièrement dans la métropole. À terme, les descendants des Québécois seraient progressivement substitués par les descendants des nouveaux arrivants : c’est ce que l’on appelle la migration de remplacement. La distinction de la culture québécoise pourrait néanmoins persister, mais pour y parvenir, une très bonne intégration culturelle et linguistique des immigrants et de leurs enfants devrait avoir lieu. Comme nous l’avons vu, la situation actuelle devrait donc être améliorée. Si ce moyen devait être privilégié, le ministère de l’Immigration ne serait plus maître de cérémonie en ce qui a trait au niveau d’immigration choisi : ce ne serait plus son rôle. Il deviendrait l’un des leviers du gouvernement pour atteindre les objectifs déterminés collectivement dans le cadre de la politique nationale de population.

Le deuxième moyen pour obtenir une population stationnaire consiste à se doter d’une véritable politique nataliste visant à rehausser la fécondité à environ 2,1 enfants par femme, soit le seuil de remplacement de la population. Cet objectif est ambitieux, mais atteignable. Certains pays d’Europe comme la France, la Suède et la Norvège ont réussi à rehausser leur indice de fécondité au cours des dernières décennies pour le rapprocher de ce seuil. Même au Québec, certaines régions comme l’Abitibi-Témiscamingue et Chaudière-Appalaches affichent, selon les derniers chiffres officiels (en 2011), une fécondité d’environ deux enfants par femme. Une politique nataliste viserait à ce que ces exceptions n’en soient plus. Ce moyen présente également un avantage indéniable : toutes les régions du Québec profiteraient d’une politique nataliste, contrairement à la politique d’immigration qui n’affecte que la grande région de Montréal.

Une politique nataliste peut intégrer plusieurs types de programmes : allocations familiales, campagne de sensibilisation, meilleure conciliation travail-famille, réforme du système électoral pour prendre en compte le poids populationnel des enfants, etc. Certes, certains programmes actuellement en place ont peut-être déjà un impact sur la dynamique de la population. On peut citer notamment le régime québécois d’assurance parental, le système de garderie à 7 $ ou la couverture par la Régie de l’assurance maladie de la procréation assistée. Ces mesures ont sans doute contribué à la récente hausse de la fécondité au Québec, qui dépasse dorénavant celle du reste du Canada. Toutefois, à la base, ces programmes n’ont pas été mis en place à cette fin. La hausse de la fécondité qui en découle peut alors être considérée comme un effet secondaire collatéral. Une politique nataliste mettrait en place des mesures dont l’objectif clair et défini est d’augmenter la fécondité.

Évidemment, ce moyen pour atteindre la stationnarité de la population n’implique pas l’arrêt de l’immigration. Celle-ci servirait simplement d’autres fins que les enjeux reliés à la démographie, par exemple, pour des raisons humanitaires ou morales. Lorsque la population se perpétue d’elle-même, l’immigration n’est plus une mesure de remplacement. Du coup, la survie de la nation québécoise s’en trouverait beaucoup moins menacée, puisque le transfert intergénérationnel de la culture et de la langue est d’une efficacité incontestable lorsque la descendance est suffisamment nombreuse pour assurer la cohésion nationale.

Dans le contexte actuel, les principales orientations d’une politique nationale de population devraient se pencher sur deux volets qui sont au cœur des enjeux sociétaux du Québec. D’un côté, les questions reliées à la gestion du vieillissement inéluctable de la population, qui concernent tous les pays occidentaux et qui doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie pour éviter de trop grandes iniquités intergénérationnelles. De l’autre, les questions reliées à la taille et à la composition future de la population, puisque ces questions sont intrinsèquement reliées à la survie de la culture québécoise. Si les débats référendaires semblent depuis un certain temps susciter moins d’enthousiasme au sein de la population, ceux reliés à la langue et à la culture touchent encore la sensibilité des Québécois. La composition future de la population est au cœur des préoccupations de la nation. Un parti politique ayant une fibre nationaliste a donc un intérêt incontestable à inclure une politique nationale de population dans son programme et à en faire un enjeu électoral de premier ordre.

 

 

 


 

[1] Henripin, Jacques (1975). « Pour une politique nationale de population », Cahiers québécois de démographie, Vol. 4, No. 3, pp. 78-101

[2] Henripin, Jacques (2004). Pour une politique de population, Les Éditions Varia, collection « Sur le vif », 121 p.

[3] Légaré, Jacques (2008). « Pour une politique de population » dans Godbout, Luc et Suzie St-Cerny, Le Québec, un paradis pour les familles ? Regards sur la famille et la fiscalité, Québec, les Presses de l’Université Laval, p 19-23

[4] Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration du Québec (1990). Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, Gouvernement du Québec, 104 p.

[5] Marois, Guillaume (2008). « La “migration de remplacement” : un exercice méthodologique en rapport aux enjeux démographiques du Québec », Cahiers québécois de démographie, Vol. 37, No. 2, 2008, p. 237–261

[6] Termote, Marc (2002). « La mesure de l’impact économique de l’immigration internationale. Problèmes méthodologiques et résultats empiriques », Cahiers québécois de démographie, Vol. 31, No. 1, p. 63.

[7] Statistique Canada (2010), Projections de la diversité de la population canadienne, 2006 à 2031, Division de la démographie, 71 p.

[8] Romaniuk, Anatole (2012). « Stationary Population as a Policy Vision, Optimum Online », Vol. 42, Issue 1