Une victoire douce-amère

Le 4 septembre au soir, les Québécois ont élu un gouvernement péquiste minoritaire beaucoup plus faible que prévu avec 54 sièges, contre 50 pour le PLQ, une surprise de taille, 19 pour la CAQ et 2 pour QS. Le fort taux de participation de 74,50 % montre que ce n’est pas un hasard. Il aurait fallu 64 sièges au PQ pour former un gouvernement majoritaire capable de réaliser son programme et de concrétiser ses engagements.

C’est une victoire pour le Parti québécois, certes, mais une courte victoire, heureuse en ce sens qu’elle porte, pour la première fois dans l’histoire du Québec, une femme au poste de première ministre, une femme tenace et expérimentée, madame Pauline Marois, amère en ce sens qu’elle ne pourra pas mettre en œuvre sa « gouvernance souverainiste » dont nous avons déjà critiqué le principe même.

Ce gouvernement minoritaire devra constamment négocier des ententes sectorielles ponctuelles avec Québec solidaire dont l’appui est insuffisant, mais surtout avec la CAQ dont l’ambiguïté permet d’espérer une certaine souplesse. Sur les enjeux importants, il aura « les mains liées » et pourrait être facilement défait par une alliance CAQ-PLQ.

Cette alliance recueillerait vraisemblablement l’appui des conservateurs fédéraux, de Bay Street et de Charles Sirois, cofondateur de la CAQ, président du c.a. de la Banque canadienne impériale du commerce liée au Parti conservateur, pour s’attaquer aux acquis de la Révolution tranquille et du mouvement syndical. Un tel scénario plongerait évidemment le Québec dans une crise qui précipiterait une autre élection à court terme. Qui en paierait le prix électoral ? L’histoire politique nous enseigne que les partis minoritaires sont très souvent réélus à l’élection suivante.

La politique n’étant pas l’art de favoriser la pire des politiques, il est loin d’être certain que les partis d’opposition prendraient le risque odieux et très coûteux de nous retourner en élection à court terme, à moins d’un cas extrême, une crise économique et financière majeure, un conflit social nécessitant l’intervention de l’armée, voire une entrée en guerre.

L’avenir du Québec au lendemain du 4 septembre

L’élection d’un gouvernement souverainiste même minoritaire revêt toutefois une importance considérable. Le premier ministre du Canada la redoutait avec raison. C’est un changement dans la donne constitutionnelle et dans les rapports de force entre le Québec, état provincial, et l’État canadien.

Comment se présente le paysage politique du Québec le 5 septembre 2012 ? : une courte victoire douce-amère pour le PQ, deux petits partis consolidés, QS et OQ, une résilience étonnante du Parti libéral, malgré la défaite de son chef, et la déception relative de la CAQ qui malgré une bonne campagne électorale n’atteint pas les résultats escomptés. Pas de risque de référendum ! Les Québécois peuvent être rassurés.

Le PQ devra se satisfaire d’être un bon gouvernement progressiste, à l’écoute des familles, des aînés et des défavorisés sans compromettre l’avenir économique.

Devra-t-il attendre un autre mandat avant de reconvertir la taxe santé, d’abolir la loi 78, de donner une place en garderie à chaque enfant, de revoir la Loi sur les sociétés minières, de consolider la loi 101, de revitaliser la question nationale ? Il aura le temps de réfléchir sur les référendums d’initiative populaire, les élections à date fixe, et la limitation de l’exercice du pouvoir à deux mandats. Il devra changer le discours d’opposition en discours de conciliation, même avec le PLQ qui devra élire un nouveau chef et traverser l’épreuve de la commission Charbonneau sur la corruption. Les 100 premiers jours ne seront certainement pas de tout repos. L’exercice, extrêmement périlleux, permettra d’évaluer la solidité de l’équipe et de voir émerger de nouvelles personnalités.

Même minoritaire, le gouvernement pourra honorer son engagement de mettre sur pied un Sommet sur l’éducation pour résoudre le conflit étudiant toujours latent, et assainir le financement de l’enseignement universitaire. Y seront conviés tous les intervenants en cette matière, fonctionnaires, professeurs, syndicats et étudiants. C’est un engagement formel et incontournable du Parti québécois qui devrait normalement aboutir à une solution satisfaisante et durable. Voilà le genre d’engagement qui pourrait établir un premier consensus au Québec.

À plus long terme, des tensions avec le gouvernement fédéral pourraient être aggravées par une fin brutale de non-recevoir du gouvernement Harper, ce qui ouvrirait toute grande la porte du Québec au NPD de Thomas Mulcair qui lorgne une place sur la scène provinciale. Un parti de plus au Québec serait difficile à absorber.

En comparant les différents scénarios qui auraient pu résulter de cette élection, PQ majoritaire, PLQ majoritaire, ce qui a bien failli se produire, PLQ ou CAQ minoritaire, on serait tenté de conclure que cette victoire douce-amère est peut-être une difficile étape nécessaire pour donner au Québec le temps d’assimiler la mutation sociale et politique qu’il est en train de traverser.