Thomas Laberge. En rupture avec l’État

Thomas Laberge
En rupture avec l’État
Montréal, XYZ, 2021, 235 pages

En rupture avec l’État semble être d’abord être une version remaniée du mémoire de maîtrise de Thomas Laberge, journaliste passé de Radio-Canada aux coops de l’information. Mais ce livre est beaucoup plus que cela. Dès les premières lignes, il est question de la déclaration de Jacques Parizeau du 30 octobre 1995 au sujet de l’argent et du vote ethnique. Puis, l’auteur mentionne que 1995 est aussi l’année d’une rencontre entre Michel Kelly-Gagnon, Pierre Desrochers, Martin Masse, Éric Duhaime et Pierre Lemieux. Lors de cette rencontre, il a été décidé de relancer le mouvement libertarien autour de l’IEDM et du webmagazine Le Québécois libre. Viendront plus tard le Réseau Liberté Québec en 2011, puis le Parti conservateur du Québec qui, après avoir végété de 2013 à 2021, prendra son envol avec l’arrivée à sa tête d’Éric Duhaime. Celui-ci « force les médias à s’intéresser à la formation politique » surtout dans le contexte de la pandémie qui augmente sa popularité. Mais ce n’est pas pour cette raison que Laberge s’intéresse aux libertariens. Non, ce qui l’intéresse, c’est le « rapport ambigu » qu’ils entretiendraient avec la question nationale.

N’empêche, il consacre un premier chapitre à certains concepts, dont celui de libertarianisme, une idéologie d’origine américaine qui prône la liberté des individus de faire ce qu’ils souhaitent, sauf porter atteinte à la vie d’autrui, et pour qui l’État est l’ennemi de la liberté. Le chapitre 2 consacré au libertarianisme québécois raconte qu’il est lié à une réhabilitation de Duplessis sur le plan économique, notamment avec Vincent Geloso et Jean-Luc Migué, et à une volonté non pas de maintenir le poids de l’État en le réorientant au service des entreprises privées comme le prône le néo-libéralisme, mais de le diminuer simplement. Le troisième chapitre attaque ensuite de front la question du rapport ambigu entre libertarianisme et nationalisme. Ce rapport serait ambigu parce que les libertariens seraient parfois contre le nationalisme, parfois pour et parfois divisés à son sujet. Ils seraient contre la loi 101 et la défense de l’identité québécoise en général, et ce, à l’aide d’arguments subtils comme celui de Martin Masse selon qui « il y a des gens qui n’aiment pas le sirop d’érable ou qui n’ont jamais lu Michel Tremblay et qui sont Québécois quand même ». Cependant, ils seraient en général plutôt favorables à la décentralisation au sein du Canada. Et c’est sur l’immigration qu’ils seraient divisés.

Cela dit, ce qui semble intéresser davantage Laberge, c’est le fait que le mouvement souverainiste aurait influencé le Free State Project qui invite les libertariens à s’installer au New Hampshire pour bâtir une société libertarienne ; projet qui aurait commencé à porter fruit, notamment avec une loi permettant le port de couteaux en public.

Le chapitre 4 consacré à la covid est l’occasion de traiter Éric Duhaime et Maxime Bernier de populistes entre autres parce que ce dernier critique Radio-Canada. Il est aussi question du fait que certains libertariens dénoncent l’islamisme et seraient influencés à cet égard par Mathieu Bock-Côté, qui selon Laberge serait « ambigu sur le rapport de l’islamisme à l’islam »… comme si indépendamment de la pensée de Bock-Côté il ne pouvait pas exister, objectivement, des ambiguïtés dans le rapport entre islamisme et islam…

En conclusion, l’auteur évoque pêle-mêle Jordan Peterson, Éric Zemmour, Black Lives Matters, Samuel Patty et Alexandre Bissonnette, avant de souligner que les rapports entre libertarianisme et conservatisme « sont parfois ambigus ». Puis, il termine en disant que le libertarianisme pourrait être de plus en plus influent au Québec dans les prochaines années, entre autres grâce au Parti conservateur du Québec.

Le plus intéressant dans ce livre n’est toutefois pas la conclusion, mais l’épilogue constitué d’un récit de fiction portant sur un Québec libertarien en 2025. Dans ce Québec, où le Parti libertarien a pris le pouvoir en 2022, William, le personnage principal, se promène avec son arme et il est question de privatiser la police, après que soit survenue la privatisation d’Hydro-Québec et des écoles. William se fait alors offrir par un enfant de 11 ans de la « cocaïne québécoise », à laquelle s’ajoutent l’héroïne beauceronne et le LSD des Laurentides, car les drogues et le travail des enfants ont été légalisés. La maltraitance des Autochtones aussi semble l’avoir été puisqu’elle se répand, au point où tous les partis d’opposition accusent le gouvernement de racisme systémique (la CAQ ayant finalement adopté ce terme, précise l’auteur). Puis surviennent des manifestations que le gouvernement réprime à l’aide de mercenaires d’entreprises privées. Dans ce contexte, et dans celui de lutte avec le fédéral et de fin de la péréquation causé par l’enrichissement du Québec, le gouvernement déclenche un référendum sur la souveraineté avec l’appui du PQ et de la CAQ. Face à l’opposition d’Autochtones et d’associations étudiantes de l’UQAM, de Concordia ou de McGill, le gouvernement fait en sorte que des mercenaires privés assurent le « bon déroulement du vote ». Le livre se termine par cette phrase attribuée au premier ministre libertarien après l’annonce des résultats : « Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! ».

Après avoir lu cet épilogue, un constat s’impose. En matière de rapport ambigu, pour reprendre l’expression qu’affectionne l’auteur, on ne pourra pas lui reprocher d’entretenir un tel rapport avec la question nationale…

Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke