Lettre à Yves Michaud

Mon cher Yves,

Je ne sais pas où tu te trouves aujourd’hui, mais j’ose espérer qu’un bon samaritain te fera prendre connaissance des mots que je te transmets aujourd’hui en toute amitié. Tout d’abord te dire mon admiration pour le long parcours de ta vie sur notre planète, presque un siècle, jalonné de joies et de peines, d’échecs et de succès : ta vie publique fut hors de l’ordinaire.

Dès les années cinquante, tu fais tes débuts comme journaliste au Clairon de St-Hyacinthe. Ta plume vive et acérée attire déjà l’attention, à un point tel que tu deviens boursier du Conseil des Arts pour un stage en journalisme à Strasbourg en 1959. Tu reprends ton boulot avec Le Clairon, journal de combat appuyant le Parti libéral pendant la campagne de 1960. Un peu plus tard, on te retrouve à « La Patrie » de Montréal, dont tu deviens rapidement rédacteur en chef. Bien sûr déjà tu connais René Lévesque, jeune et brillant ministre des Ressources naturelles dès l’âge de 37 ans en 1960, et grand vainqueur de la campagne de la nationalisation des compagnies privées d’électricité en 1962. Je ne sais qui ou quoi t’a influencé le plus pour que tu quittes le journal La Patrie pour être candidat libéral en 1966 avec « l’quipe du tonnerre » de Jean Lesage dans le comté de Gouin. Tu es élu, René Lévesque aussi, mais tous deux vous vous retrouvez dans l’Opposition. Daniel Johnson devient premier ministre avec une majorité de sièges, mais une minorité de voix.

Vos liens se resserrent lors du débat contre la loi 63 du ministre Cardinal, une recrue de l’Union nationale. Vous combattez ensemble « le libre choix » des parents pour l’école de leurs enfants. Ensemble vous traversez la crise de Saint-Léonard, avec son lot de violences, d’émeutes et d’interventions policières. Vous vous liez alors d’une indéfectible amitié.

Durant cette période René Lévesque termine une longue réflexion, quitte le Parti libéral lors du Congrès de 1967 et lance « Option Québec ». Cela t’intéresse au plus haut point, mais tes liens d’amitié sont partagés entre René Lévesque et ta loyauté au Parti libéral. Toujours ardent nationaliste et défenseur de la langue française, tu te portes à nouveau candidat libéral dans ton comté en 1970 estimant que René Lévesque va trop vite et que ta réélection te permettrait de mieux influencer les orientations du Parti libéral et son nouveau chef de 36 ans, Robert Bourassa.

Tes espoirs sont déçus, tu perds ton comté par quelques voix, Guy Joron (PQ) est élu. Quelques mois plus tard, tu deviens Haut-Commissaire à la Coopération, attaché au ministère des Affaires intergouvernementales. Tu y seras trois ans, tu quittes alors cet important poste de l’administration pour joindre le Parti québécois et être candidat dans le comté de Bourassa. Tu es défait par Lise Bacon, libérale. Quelque temps plus tard avec l’appui de René Lévesque, Jacques Parizeau et de nombreux volontaires et bénévoles, vous lancez le journal Le Jour seul quotidien résolument souverainiste. Ce journal dure plusieurs années sous ta direction et contribue à l’élection du premier gouvernement souverainiste de l’histoire en 1976. Après l’élection tu deviens conseiller spécial au cabinet politique de René Lévesque, affecté aux affaires internationales. Vous vous côtoyez très régulièrement, ta propre maison devient souvent la sienne.

Vos conjointes, Monique et Corinne, deviennent aussi très intimes. Vous prenez vos vacances estivales en couples sur les plages de la Nouvelle-Angleterre. Vous partagez cette passion pour le Québec, son histoire, sa culture, sa langue, son besoin de liberté. Vous êtes comme deux inséparables frères. En 1979, c’est sans surprise que René Lévesque te nomme Délégué général du Québec à Paris, soit le poste le plus important et le plus prestigieux de notre jeune diplomatie. Durant des années, en deux occasions en particulier, j’ai eu recours à tes services ; la première fois, pour me faciliter une rencontre avec Samuel Pisar, et la seconde, ton assistance à faire la promotion à Paris du projet de l’aluminerie de Bécancour dans ma région : un investissement (partagé entre Péchiney fraichement nationalisée et notre SGF) de quatre milliards cinq cents millions en dollars 23-24. Encore aujourd’hui, comme depuis quarante ans, cette aluminerie emploie plus de 1000 travailleurs et cadres très bien payés. Merci encore !

Cinq ans plus tard, de retour au Québec, René Lévesque te confie le Palais des Congrès de Montréal et tu contribues largement à en faire la promotion ici, au Canada, aux USA, et à travers le monde avec grand succès.

Ton engagement en politique active et ton appartenance à de hautes fonctions dans l’administration du gouvernement du Québec sont marqués par ce lien de confiance et d’amitié avec René Lévesque, ce que tous savaient hier et savent encore aujourd’hui.

Enfin, tu retournes à la vie civile et tu entreprends une nouvelle carrière dans le commerce des vins, tu fais de l’import seulement. Même que tu publies pour nous initier La Folie du Vin chez Libre Expression, c’est l’utile à l’agréable. Pour les plus jeunes, ta renommée se poursuit avec ce surnom bien mérité de « Robin des Banques ». Ton entreprise force les institutions financières, surtout les banques, à plus de transparence, à dévoiler les rémunérations des hauts dirigeants, et davantage d’infos sur leurs gestions, etc. Ce mouvement te survit sous le nom de MEDAC et reste très utile à tous, surtout aux petits investisseurs et actionnaires.

À la surprise générale, les élus de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2000 t’ont fait reproche en déclarant inacceptables des propos que tu n’as jamais prononcés concernant les minorités du Québec et en particulier la communauté juive. Étrangement, à l’abri de l’immunité parlementaire, au moment de l’adoption unanime d’un blâme sévère à ton endroit, aucun député ne connait exactement la teneur de tes déclarations, et encore moins 24 ans plus tard. Tous tes efforts demandant excuses et réparations sont demeurés vains. C’est très dommage. Mais, j’aime mieux ta franchise, ta dignité, ton honneur et ton amitié qui vont bien au-delà de ce jour si sombre de l’Assemblée nationale. /

* Député et ministre du Parti québécois entre 1976 et 1985. Il ne s’est pas représenté en 1985.

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