Yves Michaud. Des origines modestes

Les enfants d’Yves Michaud, Anne et Luc, m’ont invitée à prendre la parole pour témoigner d’une période peu connue de son parcours, celle des années 1951-62. Comme moi, Yves est Maskoutain, né à Saint-Hyacinthe en 1930, là où tout a commencé pour lui en journalisme et en politique, les deux axes qui structureront sa vie au cours des décennies qui suivront.

Mon premier souvenir remonte à 1951 alors qu’il était chef scout d’une troupe d’Acton Vale qui campait dans la forêt environnante de notre chalet familial au lac Memphrémagog. Il avait 21 ans et moi, 11 ans. Nous chantions autour du feu de camp, Feu, feu, joli feu. C’était un être joyeux, dynamique animateur de son équipe de campeurs. Mes parents connaissaient les parents de Monique qu’il avait épousée cette même année. Après ses études secondaires, il complète un certificat à l’université McGill sur le taylorisme, une nouvelle méthode d’organisation du travail et du contrôle du temps d’exécution de chaque tâche de production. Il travaillera à son implantation dans une usine d’Acton Vale et à Saint-Hyacinthe. Ce fut son gagne-pain pendant quelques années.

En 1953, il se joint à un petit journal récemment créé, Le Mascoutain, dont il est le directeur. En 1954, en pleine crise de la presse hebdomadaire au Québec, Télesphore Damien Bouchard qui est le fondateur et propriétaire du journal Le Clairon depuis 1912 (député libéral de Saint-Hyacinthe et ministre dans les gouvernements Taschereau et Godbout, 1923-1944, puis nommé sénateur en 1944), vend le journal au propriétaire du Mascoutain, monsieur Lagaçé. Celui-ci fusionnera les deux journaux sous le nom Le Clairon Maskoutain et intégrera les employés des deux journaux. Yves en sera le premier directeur et éditorialiste, il n’a que 25 ans. Six ans plus tard, il en est le directeur et gérant, poste qu’il occupera jusqu’à son départ pour Montréal, en août 1962, pour occuper le poste de directeur du journal La Patrie.

Yves amorcera sa carrière de journaliste dans un contexte sociopolitique et journalistique très mouvementé et crucial, particulièrement pour le comté de Saint-Hyacinthe. Il y aura trois élections provinciales en 1956, 1960 et 1962. Les deux principaux journaux sont très partisans et en forte rivalité, ils joueront un rôle-clé dans ces élections : Le Courrier de Saint-Hyacinthe, fondé en 1853, est d’allégeance conservatrice portée au Québec par le parti de l’Union nationale, alors que Le Clairon Maskoutain défend les idées libérales portées par le Parti Libéral du Québec. En 1955, mon père, René Saint-Pierre, sollicité par Georges Émile Lapalme, chef du Parti libéral, et par T.D. Bouchard, sera candidat du Parti libéral aux élections de 1956. La campagne électorale sera très dure, j’en serai témoin. Les éditoriaux sont le fer de lance de cette campagne alors que la violence est dans les rues de notre ville sillonnée par la police provinciale à la solde de Duplessis venue nous intimider, Yves, Monique, son épouse, et moi, au local du Parti libéral, le jour des élections, révolver au poing. Mon père faisait face à Daniel Johnson, député de l’Union nationale dans le comté de Bagot, qui faisait campagne contre lui dans Saint-Hyacinthe ; Yves, faisait face à Harry Bernard, éditorialiste du Courrier de Saint-Hyacinthe et reconnu comme un polémiste virulent. Mon père et Yves partageaient les mêmes idées politiques et les mêmes causes, dont la défense de la langue française, la lutte contre le patronage et contre les injustices sociales.

Lors de mes conversations nombreuses avec Yves à la Résidence Ambiance où il a habité quelques années avec Monique à partir de 2018, j’ai beaucoup appris sur l’homme politique qu’était mon père et sur Yves, le journaliste engagé. Yves m’a dit clairement qu’il avait carte blanche dans l’exercice de sa fonction d’éditorialiste, mon père ne s’étant jamais ingéré dans son travail, ni intervenu pour fixer la ligne politique à suivre. « Ton père », m’a-t-il dit, « a sauvé Le Clairon Maskoutain au bord de la faillite à la fin des années 50 en rachetant le journal, et il m’a sauvé aussi en me gardant comme directeur et me nommant gérant de l’entreprise. Il a été une sorte de second père pour moi. » Son père était décédé alors qu’il n’avait que 15 ans.

Yves a donc fait ses classes en journalisme sur le tas avec brio. Il a relevé la qualité du Clairon Maskoutain au point de gagner en juillet 1958, le grand Prix des Hebdos du meilleur journal de l’Association des Hebdomadaires de langue française au Canada et un autre prix pour la qualité de ses éditoriaux et de ses chroniques féminines. Harry Bernard l’avait souvent traité, et je cite un extrait de l’un de ses éditoriaux, de « journaliste amateur, de jeune freluquet sans expérience, de directeur d’un journal de second ordre ». Yves s’empressait de riposter par la voie du Clairon Maskoutain et de remettre les pendules à l’heure, sur un ton direct et une prose fort à propos.

Dans ce contexte, son style éditorial prendra rapidement la forme d’un journalisme de combat. Ses analyses étaient toujours fondées sur une très bonne connaissance du sujet traité, écrites dans une langue française parfaite, empruntant un ton qui pouvait parfois être cinglant tout en étant farci de métaphores inspirées de ses connaissances littéraires. Son engagement journalistique était aussi politique et cohérent avec son allégeance libérale. C’est pourquoi, en 1960, il va décider de revenir au journal au mois mars, plus rapidement que prévu, alors qu’il faisait des études en journalisme à Strasbourg. Il se disait conscient que ses éditoriaux et sa présence au Clairon pourraient faire une différence dans la campagne locale ; nous connaissons tous le résultat : un gain magistral du Parti libéral dans le comté et à l’échelle du Québec qui formera le gouvernement de la Révolution tranquille.

En 1961, lors du remaniement ministériel, Yves m’a dit qu’il avait suggéré à Jean Lesage de nommer René Saint-Pierre, ministre de Travaux publics, pour succéder à René Lévesque, qui allait être nommé ministre des Ressources naturelles. Ce qui, par ailleurs, fut fait. Il quittera le Clairon Maskoutain quelques mois après les élections de 1962 sur la nationalisation de l’électricité, élection à nouveau gagnée par le Parti libéral dans notre comté de Saint-Hyacinthe et au Québec. À l’élection de 1966, mon père perdra par 17 voix de majorité, alors qu’Yves sera élu député libéral de Gouin.

Ils auraient pu siéger ensemble mais leur chemin se séparera définitivement au décès de mon père en 1972.

Le 13 février, je suis allée avec sa fille Anne, célébrer son anniversaire à la résidence Notre-Dame-de-la-Paix où il habitait, nous lui avions apporté gâteau, petites gâteries et fleurs, ils les aimaient tant. Ne lui ayant pas rendu visite depuis six mois et sa mémoire étant affaiblie, allait-il me reconnaitre ? Il m’a regardé hésitant et lorsque je lui ai dit : « c’est Céline, la fille de René Saint-Pierre », le lien fut recréé immédiatement et il se replongeait dans ses souvenirs lointains. Je l’ai trouvé en paix, de bonne humeur, présent à nous et à Monique. Il aimait regarder la nature à travers sa fenêtre, son quotidien lui était satisfaisant. Il avait probablement rangé loin derrière lui, ce combat perdu des excuses jamais obtenues. Là où il est maintenant, j’ai l’espoir qu’il aura retrouvé les deux René qui ont marqué le parcours de sa vie, chacun à leur manière.

Repose en paix, Yves. 

* Sociologue.

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Hommage à Yves Michaud Grand bretteur et patriote

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