Les Canadiens errants

Jean Vaillancourt
Les Canadiens errants
Éditions du Boréal (Boréal compact), 2024, 302 pages

L’un des genres littéraires à faire de rares apparitions dans la littérature québécoise est le roman de guerre. Certes la guerre peut être en toile de fond, comme dans Bonheur d’occasion, mais rares sont les personnages pris au piège au milieu d’une pluie d’obus. Il est vrai qu’il est difficile pour un Québécois de s’intéresser à son histoire militaire. Les conflits armés sur notre territoire sont choses d’un lointain passé et de lourdes défaites nous restent en mémoire, pensons à celle de la Conquête et à celle des Patriotes. Malgré ce passé difficile à regarder en face, il serait possible pour la littérature québécoise de puiser dans l’histoire militaire de la Nouvelle-France qui est un peu plus reluisante, mais ici, c’est le politiquement correct de notre époque qui nous empêcherait de le faire, du fait des affrontements avec les populations autochtones.

Toutes ces raisons font que la culture du héros militaire au Québec est inexistante. Dans les dernières, on a bien voulu donner ses lettres de noblesse à un personnage comme Léo Major en écrivant des livres et en faisant des reportages à son sujet, mais soyons sérieux, ces efforts ne collent pas dans la population générale.

C’est donc dans ce paysage culturel et alors que nous soulignons le quatre-vingtième anniversaire du débarquement de Normandie en juin 2024 que les éditions du Boréal ont eu la brillante idée de republier Les Canadiens errants de Jean Vaillancourt, un roman qui porte sur la participation de jeunes Québécois lors de la Deuxième Guerre mondiale. Ce roman ne s’intéresse toutefois pas du tout au fameux débarquement, il relate plutôt ce qui s’est déroulé après celui-ci alors que les soldats québécois étaient dans la forêt de Reichswald. Il est d’ailleurs intéressant de savoir que l’auteur du livre, Jean Vaillancourt, a lui-même participé à cette guerre. Il s’inscrit donc dans la longue tradition des soldats-écrivains qui ont rapporté ce qu’ils ont vécu.

Dans le récit, on s’intéresse à un groupe de Québécois en suivant particulièrement un protagoniste principal, Richard Lanoue, qui s’est engagé volontairement dans cette guerre. Pourquoi l’a-t-il fait ? Difficile à dire. Il est d’ailleurs frappant qu’à la lecture du récit on ne comprenne pas totalement l’engagement des soldats. Certes, Richard Lanoue souhaite combattre l’Allemagne nazie totalitaire, mais globalement, les discours idéologiques se font rares dans le récit sauf quelques commentaires anticonscriptionnistes ici et là. Leur engagement est donc au-delà de celui politique, les personnages souhaitent en réalité sortir d’un Québec sclérosé, d’une vie intime en cul-de-sac et d’une jeunesse confuse. On peut lire ici Lanoue sur son sentiment d’incongruité dans la vie civile :

On est tous des tramps [vagabond, exclu], Xavier. Qu’est-ce qu’on ferait icitte si on n’était pas des tramps, hein ? Les civils au Canada, qui sont si loin d’être comme ceux d’icitte, avaient peur de nous autres quand ils nous voyaient arriver dans une ville ; c’qui ne les empêchait pas d’écrire dans leurs journaux qu’on allait se battre pour sauver la Chrétienté. Y’en a qui voulaient pas nous voère, malgré leur chrétienté en péril. Y se sauvaient dans leurs églises. – Eh ben, qu’on les aime ou qu’on les aime pas, paraît qu’y en faut, des tramps comme nous autres, Xavier… Des « Canadiens errants », comme dit la chanson de chez nous. De c’te race-là, y’en a toujours eu et y’en aura toujours. Quand ça sera pas pour sauver la Chrétienté, ça sera pour sauver autre chose c’est toute (p. 112-113).

Cet extrait nous amène à dire deux mots de ce titre. Il fait référence à une chanson d’Antoine Gérin-Lajoie qui a été écrite en 1842, quelques années après les rébellions des Patriotes. Dans cette courte chanson, l’auteur parle d’un Canadien errant, banni de sa patrie. La chanson se termine ainsi : « Et ma patrie, hélas ! Je ne la verrai plus ! » Le roman, qu’on peut comprendre en écho à cet extrait, est d’ailleurs dédié à « Ceux qui ne sont pas revenus, et aux autres ». Le livre est en ce sens dédié à tous Canadiens errants, ces Québécois errants, dirions-nous aujourd’hui. On voit ici tout le tragique de la condition de soldat, condition qui transcende les conflits militaires.

C’est d’ailleurs dans la réflexion sur cette condition que le livre est le plus intéressant, car il faut bien le dire, l’intrigue qui est plutôt prévisible et décousue à certains égards. Vaillancourt présente de belle façon les contradictions inhérentes au soldat : « Richard Lanoue sentit sourdre en lui un involontaire espoir : peut-être ne se battraient-ils pas aujourd’hui ? Pourtant, il avait eu une si grande hâte d’aller au front. » (p. 31-32) C’est toute l’ambiguïté de ces combats : « On gardait une nostalgie poignante de la vie dangereuse, grandeur de l’homme. » (p. 88) On veut fuir le combat, mais on sait que le sens de la vie de ces soldats passera par celui-ci afin d’accomplir des actes héroïques.

Tout en cherchant la gloire, les soldats vétérans sont désabusés face à la reconnaissance qu’ils peuvent recevoir et préviennent les jeunes recrues. À plusieurs reprises dans le roman, Vaillancourt explique que les actions héroïques des soldats sont rarement soulignées et qu’on ne peut s’enrôler en espérant gagner des médailles. On doit être à la bonne place au bon moment, se faire voir par un haut gradé et ensuite le convaincre d’aller voir son supérieur pour expliquer l’exploit. Si celui-ci accepte, il n’est pas rare de le voir revenir avec la médaille que méritait le soldat. La guerre est remplie de héros, mais elle est avare de récompenses et de reconnaissances pour les simples soldats.

Finalement, un dernier thème mérite notre attention, c’est celui de la fraternité qui unit les soldats, fraternité qui a été maintes fois rapportée dans divers récits : « Ils étaient, malgré les différences d’âge, unis par la solidarité des compagnons de misère et de devoir. » (p. 90) Une fois que les soldats sont au front, c’est moins pour des enjeux politiques que l’on se bat que pour protéger son confrère à ses côtés. Cette fraternité transparaît aussi dans l’humour noir qui marque la conversation des soldats. Ceux-ci rigolent sans gêne sur les possibilités de mort au combat.

Jean Vaillancourt s’est donné la mort en 1961. Il aura été l’auteur d’un seul roman, un beau roman. Peu de détails sont connus sur les raisons qui ont poussé l’auteur à se suicider, mais en lisant son livre, on ne peut s’empêcher de faire un lien entre la vie de l’auteur et la vie de Richard Lanoue qui éprouve d’importantes difficultés à réintégrer la société civile après la guerre jusqu’à en avoir des pensées suicidaires.

David Santarossa
Enseignant et chroniqueur


Récemment publié