Les errements du Conseil de presse du Québec ou le procès d’intention

Comme il est rapporté par la journaliste du Devoir, Annabelle Caillou, dans un article récemment paru (9 mai 2024), le Conseil de presse du Québec (CPQ) vient d’adresser un blâme professionnel au quotidien et à son chroniqueur Christian Rioux. En faisant sienne l’accusation de « discrimination entretenant les préjugés » portée par un quidam contre les deux intimés à propos d’un article paru le 14 juillet 2023, le jugement du CPQ n’est rien d’autre qu’un procès d’intention à leur encontre. Cela procède d’un esprit conforme au « politiquement correct » d’une certaine idéologie du « ressenti », de « l’offense » ou du « vécu », des concepts fumeux en passe d’exercer une tyrannie sur l’interprétation des lois.

En résumé, il est déclaré que « Les membres [du CPQ]estiment à la majorité que le chroniqueur a manqué à son devoir de prudence en n’évitant pas les préjugés envers les jeunes des banlieues issus de l’immigration sur la base de leur origine ethnique. » Ce faisant, le CPQ adhère à la thèse du plaignant, un certain François Gosselin Couillard, en retenant fidèlement ses propos voulant qu’il y a eu « amalgame entre l’image du jeune de banlieue et les terroristes islamistes. » Il précise en outre : « Le chroniqueur aurait dû s’abstenir d’utiliser des termes qui peuvent entretenir les préjugés en associant les Arabes et les musulmans à des terroristes. » Je considère néanmoins que le CPQ a erré parce que son jugement n’est pas établi sur les faits. J’explique.

Premièrement, en aucun temps, l’article de Christian Rioux ne mentionne l’expression « jeunes des banlieues ». Le mot « jeune » n’apparaît que dans l’expression consacrée « jeunes hommes » pour faire mention de certains traits culturels d’un monde parallèle. Précision : un jeune homme n’est pas nécessaire « un jeune », fût-il de la banlieue. Il faut conclure que le CPQ a imaginé un groupe présumément discriminé, c.-à-d. « jeunes de banlieues », lequel n’est jamais mentionné ni mis en cause par le journaliste. Ce qui est mis en cause, et c’est son droit, ce sont des « populations (noter le pluriel) issues de l’immigration de masse ». Le fait migratoire ne constitue pas en soi un objet de discrimination, même s’il peut être objet de préjugés, de déni ou de louange. On ne saurait assimiler une « population » à des « jeunes de banlieues ». Une telle inférence procède d’un préjugé nourri par la prose du plaignant en reprenant les termes qu’il a utilisés dans la formulation de sa plainte, et non de propos réellement tenus par le journaliste dans son article.

Deuxièmement, en aucun temps cet article ne mentionne-t-il une race particulière avec des mots comme « arabe/arabo », « personnes arabes », ni une religion particulière se référant au mot « musulman ». Ces mots sont introuvables dans l’article de Rioux. Or le CPQ statue que : « Le chroniqueur aurait dû s’abstenir d’utiliser des termes qui peuvent entretenir les préjugés en associant les Arabes et les musulmans à des terroristes. » Comment cette présumée association que le journaliste aurait faite pourrait-elle se vérifier puisque de tels termes sont absents de son texte ? Il faut en conclure que le CPQ, subjugué par la thèse du plaignant, se complaît dans ses propres amalgames. Le procès d’intention s’étale au grand jour.

Troisièmement, nulle part dans son article le chroniqueur ne mentionne-t-il le mot « islamiste », ni même le mot « terroriste », à propos d’une population d’immigrants particulière. À une seule occasion, il parle « d’attaque islamiste au camion-bélier », un fait avéré qui fait référence à l’attentat de Nice en 2016. Une attaque n’est pas un groupe.

Or, c’est avec les mots qui ont été employés qu’on doit établir les faits d’un propos. Le CPQ attribue à monsieur Rioux des mots qu’il n’a jamais employés dans son texte. Lorsque le CPQ prétend que « le chroniqueur fait un amalgame entre les djihadistes et les jeunes arabes des banlieues », il procède lui-même à des inférences lexicales injustifiées pour construire des groupes imaginaires exposés à une soi-disant discrimination. Le mot « vandales » s’applique, à juste titre, à des émeutiers que le journaliste associe plus loin à des « bandes de voyous ». Jamais Christian Rioux ne désigne-t-il ces émeutiers comme des djihadistes, des terroristes ou des jeunes arabo-musulmans des banlieues. Inférer que cette immigration des banlieues serait uniquement le fait d’une jeunesse arabo-musulmane démontre le biais cognitif du CPQ qui fait abstraction des Black-Blocks, des anarchistes de gauche comme de droite, des activistes russo-africains et des malfrats du banditisme est-européen.

Quant à la locution « de visu », que le CPQ semble tenir pour l’expression d’un délit de profilage racial dont Christian Rioux serait coupable, elle s’applique à la réalité médiatique de la télévision grâce à laquelle des milliers de Français ont pu suivre sur le petit écran le déferlement des violences de rue jour après jour. Elle ne s’applique pas à la reconnaissance faciale ciblée sur un individu, ni même sur un groupe particulier dont les visages sont masqués ou encapuchonnés.

En conclusion, le CPQ n’est pas un directeur de conscience sensé dicter quels « rapprochements » ou « association » un lecteur ou une lectrice est en droit de faire à la lecture de l’article d’un chroniqueur. Il adhère ici sans discernement à l’attitude du plaignant qui avoue lui-même que ce qui est reproché à Christian Rioux « n’est pas inscrit littéralement » dans son texte. En outre, certaines expressions utilisées dans le libellé du jugement de cette instance d’autorité publique, telles que « en juxtaposant », « comparer implicitement » ou « comme si », trahissent le procès d’intention qui est devenu de nos jours l’arme favorite du mouvement woke.

Il est donc faux que le chroniqueur du Devoir a « utilisé des termes qui peuvent entretenir les préjugés ». Pour absence de preuves basées sur les faits, le blâme professionnel de « discrimination entretenant les préjugés » est une véritable injustice commise à l’endroit du chroniqueur Christian Rioux. C’est une honte.

* Linguiste, professeur retraité de l’UQAM pheb2000@hotmail.com

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