Le journaliste est une sorte d’historiographe du moment, de commis aux petites écritures de la grande histoire des hommes. Il n’a ni le recul ni le temps de réflexion nécessaire pour produire tous les jours ou toutes les semaines une œuvre littéraire de qualité. En revanche, ce qu’il perd en profondeur, il le gagne peut-être en spontanéité.
Yves Michaud
Yves Michaud est surtout connu pour avoir été député, membre de l’opposition circonstancielle en 1969, fondateur du journal Le Jour, ambassadeur du Québec en France et le Robin des banques. Mais ce combattant infatigable a aussi manié la plume pour stimuler la conscience nationale. Dans cet article, je me propose de rappeler les débuts de sa carrière de journaliste et de suivre la formation de sa pensée au fil de ses prises de position.
Mascoutain d’origine, Yves Michaud a suivi les traces d’autres célèbres citoyens de Sainte-Hyacinthe comme Louis-Antoine Dessaules qui fut député libéral, libre-penseur et journaliste à L’Avenir et au Pays, journaux qui s’inscrivaient dans la tradition républicaine et patriote et qui ont combattu la Confédération.
À la fin de ses études secondaires à l’école Girouard de Sainte-Hyacinthe, il entre sur le marché du travail et trouve un emploi à la Chambre de commerce de Montréal où il crée un journal mensuel destiné aux jeunes membres de la Chambre : Le vigilant. En mai 1954, il se fait engager au journal Le Clairon maskoutain par le non moins célèbre et tonitruant Télesphore-Damien Bouchard, autre anticlérical virulent. Député, ministre, président de l’Assemblée législative, chef de l’opposition, Bouchard appartient à la fraction radicale du Parti libéral. On le surnommait « l’enfant terrible de la politique ». Il s’est battu pour l’assainissement des mœurs politiques, la nationalisation de l’électricité et la laïcisation de l’éducation. Dans son journal Le Clairon, il mène une lutte farouche contre l’Union nationale et le cléricalisme. Le Clairon est un journal politiquement engagé comme l’étaient tous les journaux de l’époque. Il lui arrive même de céder sa page éditoriale au chef du Parti libéral du Québec, Georges Émile Lapalme.
Le Clairon maskoutain
Dès ses premiers textes, à l’âge de 24 ans, Michaud fait montre de pugnacité et de progressisme. Il devient rédacteur en chef du Clairon le 28 mai 1954 et il signe son premier éditorial le 4 juin dans lequel il dénonce avec son style percutant les lois anti-ouvrières de Duplessis qui vient de supprimer l’accréditation syndicale de l’Alliance des professeurs catholiques de Montréal :
M. Duplessis est, à l’exemple de quelques industriels arriérés, un « patron » de la vieille école. Il croit en l’absolutisme, au droit inhumain de la force, et se soucie peu des aspirations de l’homme et de son désir de libération. Pourtant, ses préjugés l’aveuglent. L’émancipation de la classe ouvrière est un fait réel et historique, et M. Duplessis, pas plus que les membres de son gouvernement, ne pourra arrêter les progrès du syndicalisme qui, à l’heure actuelle, se situe dans le véritable sens de l’histoire.
Il exprime son ouverture au syndicalisme dans un autre éditorial le 10 décembre 1954 dans lequel il invite les élus municipaux de Sainte-Hyacinthe à se familiariser avec le syndicalisme qui est à ses yeux une force de progrès.
Quelques mois après son arrivée, il est nommé, le 29 juillet 1954, directeur du journal qu’il transforme en bihebdomadaire publié les mardis et vendredis. Il poursuit de plus belle sa croisade contre l’Union nationale. Il en appelle à la fin du duplessisme, régime corrompu et dictatorial qui a perverti le sens de la démocratie et qui se drape dans un autonomisme de façade :
On l’a déjà écrit, M. Duplessis est vieux. Sa politique est celle de 1935. On fera bien de le mettre au rancart d’ici quelques années afin d’éviter que la sclérose, le rhumatisme et la goutte viennent gangrener ce qui nous reste. Nous sommes pour une véritable démocratie purifiée de toutes les saletés d’un régime tuberculeux. Pas une démocratie à deux faces. (Le Clairon maskoutain, 1er juillet 1955, p. 4)
Il s’attaque dans plusieurs éditoriaux à la collusion entre la religion et la politique. Dans un éditorial intitulé « Le goupillon asservi », il s’insurge par exemple contre le qualificatif « gouvernement catholique » que s’attribue l’UN : « La majorité des citoyens du Québec en ont plein le dos de voir l’Union nationale jouer hypocritement à la défense de la foi chrétienne et des valeurs spirituelles […] Les duplessistes ont fait du goupillon une matraque. C’en est trop. » (Le Clairon maskoutain, 23 juillet 1959, p. 4) Il dénonce l’utilisation des autorités religieuses à des fins électorales.
Michaud se préoccupe aussi du développement culturel des Canadiens français et incite le gouvernement à créer des programmes de bourses pour permettre aux jeunes d’aller à l’étranger se former et répandre dans le monde la pensée canadienne-française. Il suggère à l’Union nationale de tripler le nombre de bourses et cela sans nuire aux finances publiques puisqu’il lui suffirait d’économiser sur les pots-de-vin versés aux entrepreneurs et aux parasites du régime (Le Clairon maskoutain, 12 août 1955, p. 4). Il s’engage personnellement sur le plan local dans la création d’une bibliothèque publique à Sainte-Hyacinthe. Il utilise aussi son journal pour mettre en lumière les artistes de sa ville qui se distinguent.
Sur le plan économique et social, Michaud combat le socialisme qui anémie les libertés individuelles et il soutient l’économie capitaliste et la libre entreprise, mais comme on l’a vu plus haut, il défend aussi le droit des travailleurs à se syndiquer à l’occasion de la grève de Murdochville qui a tourné à l’émeute : « Le syndicalisme a acquis droit de cité dans notre vie économique et sociale : refuser à la classe ouvrière ce droit, c’est dénaturer le sens de l’histoire et faire preuve de peu d’intelligence2. » Dans son éditorial sur la grève de Murdochville, il déplore le recours à la violence : « Une chose est certaine, la violence ne mène jamais à rien. »
Mais la majorité de ses éditoriaux sont consacrés à la vie municipale. Il décortique le budget de la ville de St-Hyacinthe, il analyse l’évaluation foncière et les taxes municipales, il aborde des sujets prosaïques comme les travaux de voirie et l’entretien des trottoirs, l’installation de parcomètres, la construction de la Transcanadienne. Il relate les activités de la Chambre de commerce locale, il soutient l’achat local, l’action des Chevaliers de Colomb, et loue le travail des Caisses populaires.
Il couvre occasionnellement les événements sur la scène internationale en dénonçant l’invasion de la Hongrie par l’URSS et en soutenant le Traité de l’Atlantique Nord qui est dit-il « la meilleure assurance que nous puissions posséder sur notre liberté » (Le Clairon maskoutain, 24 août 1956, p. 4).
En 1959, Le Clairon obtient un prix prestigieux. Il est désigné comme le meilleur hebdomadaire du Canada français par l’Association des hebdomadaires du Canada français et Michaud se voit décerner le titre de meilleur éditorialiste. Sur cette lancée, il obtient une bourse de 3000 $ du Conseil des arts du Canada pour aller faire des études en journalisme régional à l’Université de Strasbourg ce qui lui permet aussi de visiter le Royaume-Uni, la Belgique et l’Espagne. Il revient à la fin de son stage pour soutenir les réformes qu’annonce l’élection du Parti libéral.
Michaud fut un ardent défenseur de la presse régionale qui à ses yeux est une école de la démocratie.
À l’occasion du 50e anniversaire du Clairon, il écrit : « À travers la formation indispensable de l’opinion publique, la presse doit se greffer plus profondément sur les exigences de la démocratie. L’hebdomadaire régional placé au cœur de la collectivité doit être le phare qui guide l’opinion, le lieu de rencontre des échanges démocratiques. » (Le Clairon maskoutain, 7 septembre 1961, p. 4)
Il pratique un journalisme engagé qui vise le progrès de la collectivité et l’éveil des consciences aux problèmes, sociaux et politiques et qui mène à l’intelligence du monde. Engagement ne signifie pas partisanerie aveugle. Il préconise un journalisme sans œillères, ouvert à la diversité des opinions, à la tolérance des autres et au dialogue, conditions nécessaires à la diffusion des lumières.
Sa position constitutionnelle : l’autonomisme
La pensée constitutionnelle de Michaud à cette époque s’inscrit dans l’orthodoxie nationaliste qui vise à faire respecter le pacte constitutionnel de 1867 et à défendre l’autonomie de la province de Québec, contre les ingérences du gouvernement fédéral. En 1956, il dénonce, comme François-Albert Anger et Pierre Trudeau, l’ingérence du gouvernement fédéral dans le champ de l’aide aux universités :
Il faut avant tout empêcher les empiètements du gouvernement central dans un domaine réservé aux provinces par le système confédération […] Nous sommes pour le respect de la constitution canadienne et des principes autonomistes comme garanties de la présence de notre groupe ethnique, mais seulement avec un gouvernement provincial responsable, librement élu. Tel n’est pas le cas pour la province de Québec. M. Duplessis gouverne avec un mandat factice. Son autorité, il ne la détient pas du peuple, mais d’une caisse électorale énorme 1956.
Toutefois, contrairement au duplessisme qui préconisait un nationalisme défensif, il revendique un autonomisme positif qui utilisera la récupération des pouvoirs d’Ottawa pour renforcer l’intervention de l’État québécois et faire progresser le Canada français. Il reconnaît que le fédéralisme a nui au développement du Canada français, mais il pense qu’il faut donner une dernière chance à la confédération : « Il n’est pas dit que nous avons épuisé toutes les ressources du système. La Confédération est peut-être autre chose que la stérile autonomie duplessiste3 ». Il se dit prêt à attendre une dizaine d’années pour faire la preuve que la Confédération est un échec. « Si le Canada n’est pas prêt à reconnaître la souveraineté des provinces dans ce laps de temps, il ne restera plus au Québec qu’une seule solution, son retrait de la Confédération canadienne4. »
La Patrie : l’hebdo des Canadiens français
Voulant jouer un rôle dans la construction du Québec nouveau, il quitte Sainte-Hyacinthe pour mettre sa plume au service de La Patrie. Son arrivée à la direction de ce journal lui ouvre de nouveaux horizons. Il peut désormais laisser libre cours à sa verve nationaliste et aborder des sujets qui sortent du cadre étroit de la politique municipale. Il élargit surtout son audience, car le tirage de ce journal atteint 200 000 exemplaires. Ce journal avait été fondé en 1879 par une autre figure marquante du libéralisme radical au Québec Honoré Beaugrand qui était franc-maçon, républicain et anticlérical. Il se proclamait disciple de Papineau et incroyant résolu. Il a aussi été maire de Montréal de 1885 à 1887. Michaud est donc au bon endroit pour promouvoir ses idées avancées sur la démocratie. Il est engagé pour relancer ce journal qui végétait. Il veut en faire un instrument de progrès social et un carrefour d’opinions diversifiées. Il innove aussi en étant le premier à publier les bandes dessinées d’Astérix et Obélix de Gosciny plutôt que les « comic strips » américains qu’on trouvait dans les autres journaux. Il deviendra d’ailleurs homme d’affaires en fondant une maison de distribution pour le compte des Éditions Dargaud.
Dans son premier éditorial, il définit le journal comme « une entreprise “sociale”, au sens le plus généreux du terme, une présence dans la vie de la nation […] Ce journal sera un instrument de progrès social ».(La Patrie, 5 au 11 juillet 1962, p.6) Ce projet éditorial le met au diapason des aspirations aux changements portées par la Révolution tranquille.
Au fil de ses éditoriaux, ses positions nationalistes s’affirment. Il se fait l’ardent défenseur des réformes entreprises par le gouvernement libéral et soutient le projet de nationalisation de l’hydro-électricité. Dans un éditorial intitulé « Un problème électrifiant », il écrit : « Si la solution réside dans la nationalisation des compagnies privées d’électricité, le gouvernement qui est le gardien de l’intérêt public doit agir sans délai […] Pour une fois je suis d’accord avec le leader séparatiste Marcel Chaput et je m’inquiète d’une lenteur qui me semble de fort mauvais augure ». Il approuve le déclenchement d’une élection pour faire adopter ce projet qu’il qualifie d’instrument de relèvement national (La Patrie, 20 au 26 septembre 1962, p.6). Il applaudit aussi à la création du ministère de l’Éducation (La Patrie, 4-10 juillet 1963, p. 12).
Ses idées sur la question nationale prennent aussi de l’ampleur. Il vilipende le mépris manifesté par le président du Canadien National, Walter Gordon, qui avait affirmé que les Canadiens français n’étaient pas assez compétents pour accéder à des postes dirigeants (La Patrie, 20-26 septembre 1962, p. 6). Il accuse aussi les partis politiques d’avoir systématiquement trompé le peuple canadien-français en lui racontant « de belles histoires à papa sur l’unité nationale et la bonne entente et cela se termine toujours mal pour les Canadiens français. » Ils ont été trahis par les partis fédéraux. (La Patrie, 31-janvier au 6 février 1963, p. 12)
Même s’il admire le courage de Marcel Chaput qui a mis sa vie en danger par des grèves de la faim pour défendre ses idées, il n’adhère pas pour autant au projet indépendantiste que celui-ci propose, car il estime que l’indépendance serait prématurée. Le temps des ruptures n’est pas encore venu. Il pense que le Québec n’est pas assez mûr et développé pour relever le défi de l’indépendance : « L’indépendance est peut-être la vocation naturelle du Canada français, mais pas avant d’avoir formé chez nous une ou deux générations de démocrates » (La Patrie, 25 avril-1er mai 1963, p. 14). Il juge que la maturité politique d’un peuple s’évalue à l’usage que ses dirigeants font du pouvoir. Il est encore marqué par l’autoritarisme du régime duplessiste et de l’emprise cléricale sur la société pour faire confiance aux nouvelles générations qui veulent se séparer du Canada.
Toutefois, sa pensée chemine ; il se dit déçu du fédéralisme qui « nous condamne à vivre dans un ghetto culturel, économique et social […] Au cœur des grandes faillites de notre époque, il y a la Confédération canadienne » (La Patrie 13-19 juin 1963, p. 12). Mais il veut donner une dernière chance au régime de se réformer pour reconnaître un statut particulier à un des deux peuples fondateurs. Il croit encore à la théorie du pacte entre les deux nations. Il se montre d’ailleurs ouvert à la position de son ami René Lévesque qui préconisait la thèse des États associés. Il commente en ce sens le discours que celui-ci a tenu au Collège Sainte-Marie, le 9 mai 1964 : « Depuis le temps qu’on nous invite à être des partenaires, des citoyens à part entière, égaux en fait et en droit, n’est-il pas normal que nous envisagions nos rapports avec le Canada anglais sous une forme quelconque d’association » (La Patrie 25 juin-1er juillet 1964, p. 17).
La question linguistique commence à le préoccuper à la suite des conclusions du rapport préliminaire de la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme qui constate que le Canada traverse la plus grave crise de son histoire et que les Canadiens français subissent la discrimination dans le monde du travail aussi bien dans les entreprises privées que dans la fonction publique fédérale. Cette infériorité économique alimente la revendication indépendantiste et les nationalistes fédéralistes cherchent une solution de rechange pour enrayer la colère de la jeunesse qui monte.
Le Parti libéral croit avoir trouvé la parade en proclamant que le français doit être la langue prioritaire au Québec, ce qui impliquerait que le français pourrait s’imposer omme langue de travail. Michaud n’en manifeste pas moins un certain scepticisme. Le concept de langue prioritaire est à ses yeux ambigu et laisse supposer qu’il y a d’autres langues et qu’il faudra aménager la coexistence entre l’anglais et le français. Il voudrait que la loi aille plus loi et n’oblige plus les municipalités à utiliser le bilinguisme dans leurs actes officiels. Déjà en 1965, il se montre ouvert à ce que le Québec se proclame État unilingue : « Nous n’avons pas le choix. Notre langue se corrompt, s’anémie s’enlaidit […] Si le Canada doit survivre, le Québec y aura sa place comme État francophone […] » (La Patrie, 31 octobre 1965, p. 19). Il signe son dernier éditorial le 6 février 1966 dans lequel il dénonce la spéculation foncière. Il ira mener son combat devant les électeurs.
Le journaliste-député : 7 jours
Yves Michaud est élu député de la circonscription de Gouin le 5 juin 1966, mais il se retrouve sur les bancs de l’opposition alors qu’il était entré en politique pour continuer l’œuvre de la Révolution tranquille. Désœuvré, il combine son travail parlementaire et sa vocation journalistique en publiant une chronique hebdomadaire dans le magazine 7 jours qui pouvait se comparer au Maclean’s. Le jeune député au franc-parler profite de son lieu d’observation pour commenter de façon acerbe les vices de la démocratie parlementaire. Il emploie des mots très forts pour caractériser le système parlementaire qu’il qualifie de « tombeau de l’intelligence. » ou « d’ingénieux dispositif de tricherie et de ruse » qui sert à museler les députés. Il utilise des titres qui font image pour décrire les députés : « Le retour des croulants », « Les bedeaux » ou « Le temps des eunuques ». Il profite de sa tribune pour tirer à boulets rouges sur Daniel Jonhson et l’Union nationale qui avaient fait mordre la poussière aux libéraux en obtenant seulement 41 % des votes contre 45 %.
Au fil de ses chroniques, il réclame une réforme du financement des partis politiques (7 jours, 19 novembre 1966), une réforme des commissions parlementaires qui revaloriserait le rôle des députés (7 jours, 21 janvier 1967). Il en vient même à faire l’éloge du système présidentiel qui correspond mieux à ses yeux aux exigences d’un État moderne : « À tout prendre, il vaut mieux que le régime parlementaire dans lequel le député n’est rien » (7 jours, 8 avril 1967).
Dans une chronique du 8 juillet 1967, à l’occasion des fêtes du centenaire de la Confédération, il se montre critique envers la Confédération canadienne et clarifie sa position constitutionnelle :
Nous n’avons pas le monopole du patriotisme. Mais peut-on nous tenir rigueur d’accorder notre première fidélité au Québec ? Or nous vivons dans l’étau constitutionnel suffoqués par les interdits et paralysés par les interprétations. Il apparaît clairement que l’avenir immédiat du Québec passe par un remaniement constitutionnel en profondeur. Cela veut dire récupération de certains pouvoirs et l’obtention de nouveaux pouvoirs. Le Québec doit rapatrier sa sécurité sociale. Il doit avoir le droit de planifier ses politiques en matière d’immigration. Il doit jouir de compétences exclusives pour tout ce qui touche à la diffusion de la culture et obtenir de facto la reconnaissance de sa personnalité internationale dans ses champs de compétence. (7 jours, 8 juillet 1967, p. 88)
Il conclut en souhaitant que le Québec pourra négocier les conditions « d’une nouvelle alliance ».
Au fil des ans, l’amertume et la déception s’amplifient et Michaud prend de plus en plus ses distances du Parti libéral qui, après la démission de René Lévesque au congrès de 1967, s’est éloigné de la position sur le statut particulier préconisée par Paul Gérin-Lajoie qui était son mentor constitutionnel. Michaud avait toujours conçu le fédéralisme comme un équilibre des pouvoirs. L’arrivée au pouvoir de Pierre Trudeau en 1968 et son offensive centralisatrice renforçaient son désenchantement. Le 22 janvier 1969, il publie un livre intitulé Je conteste qui rassemble ses chroniques publiées dans 7 jours et qui annonce en filigrane son éventuel passage au Parti québécois.
Mais ce changement de cap mettra encore quelques années à se réaliser. Même si René Lévesque est son ami depuis 1954, époque où il collaborait au Clairon de Sainte-Hyacinthe, il ne le suit pas lorsqu’il quitte le Parti libéral pour fonder le Parti québécois. Il choisit plutôt de faire confiance à Robert Bourassa en 1970 et rentre au bercail libéral, car il pense que la situation économique du Québec n’était pas propice à un changement radical de régime politique.
Michaud en viendra progressivement à soutenir le projet de souveraineté-association après sa défaite aux élections de 1970, élection qu’il perd par douze votes aux mains du péquiste Guy Joron. Il refuse de contester le résultat pour ne pas priver le jeune PQ d’un siège. La crise d’octobre et la crise syndicale de 1972 achèveront de l’éloigner du Parti libéral. Le 30 septembre 1973, il annonce dans Québec Presse qu’il quitte la fonction publique où il occupait le poste de commissaire général à la coopération internationale pour se joindre au Parti québécois. Il explique qu’il est un fédéraliste déçu de l’imposture que représente le fédéralisme au Canada qui « réduit le Québec une sorte de sous-préfecture tranquillement soumise aux instructions téléphoniques ou autres qui lui viennent d’Ottawa ». Il a vu au fil des ans les pouvoirs du Québec être érodés au profit du gouvernement central. Il dit s’être rendu compte au terme d’un itinéraire compliqué et déchirant que l’État du Québec en particulier sur la scène internationale prenait le forme d’une administration régionale. Il dit avoir cru jusqu’à la limite croyable que le fédéralisme pouvait fonctionner et que ses espérances ayant été démenties par les faits, il devait en tirer les conséquences :
Vouloir un pays, ce n’est pas se replier, c’est s’ouvrir. C’est apporter au rendez-vous universel du donner et du recevoir la richesse de sa propre identité. On ne peut en même temps être soi-même et l’autre. Fractionné comme il est, emprisonné dans un système qui le nie, l’homme québécois ne sera jamais qu’une demi-mesure. Une demi-mesure d’homme. Une demi-mesure de ce qu’il pourrait être. Le jour où il s’assumera complètement, sans tutelle et sans peur, ce jour-là marquera le commencement de sa contribution à la richesse du monde (p. 4.)
Il se présente pour le Parti québécois aux élections du 29 octobre 1973 dans le comté de Bourassa où il subit une seconde défaite. Par la suite, il reviendra au journalisme en fondant avec Jacques Parizeau et René Lévesque le journal Le Jour : « Un journal indépendantiste, social-démocrate, national et libre. » (Le Jour, 28 février 1974, p. 4)
Bibliographie :
Yves Michaud, Je conteste, Montréal, Éditions du jour, 1969.
Yves Michaud, Paroles d’un homme libre, Montréal, VLB éditeur, 2000.
Yves Michaud, Les raisons de la colère, Montréal, Fides, 2005.
Jacques Lanctot, Yves Michaud, un diable d’homme, Montréal, VLB éditeur, 2013.
1 Yves Michaud, Je conteste ! Chroniques de la politique québécoise 1966 – 1968, Montréal, Éditions du jour 1969, p. 9.
2 Yves Michaud, « La leçon de Murdochville », Les raisons de la colère, Montréal, Fides, 2005, p. 83.
3 Ibid, p. 103.
4 Ibid,
* Politologue.
Avril-Mai 2024
Hommage à Yves Michaud Grand bretteur et patriote




