Alexandre Faucher
De l’Or… et des putes ?, Rouyn-Noranda, Éditions du Quartz, Collection Mémoire vive, 2014, 115 pages
Paru en 2014, le livre d’Alexandre Faucher, De l’Or… et des putes ?, est tiré d’un mémoire de maitrise produit à l’Université de Montréal et déposé à l’été 2013. L’ouvrage est publié dans la collection « Mémoire vive » aux Éditions du Quartz, une coopérative d’édition établie en Abitibi-Témiscamingue.
Cette monographie s’intéresse à un village de squatteurs affublé d’un terrible sobriquet « Putainville » qui en dit long sur sa réputation. Ce village, érigé en 1936, disparaît en 1943 par décret du gouvernement provincial qui veut mettre de l’ordre dans les agglomérations minières de l’Abitibi en éliminant les différents camps de squatteurs. L’objectif de recherche de Faucher est de comprendre les raisons qui ont poussé le gouvernement à détruire un village d’abord relativement toléré malgré une réputation peu enviable.
L’auteur commence par une mise en contexte sociohistorique de l’installation des agglomérations minières le long de la Faille de Cadillac, une riche formation géologique s’étendant du Nord-Ouest québécois au Nord-Est ontarien. Faucher explique que les villes minières de cette région s’érigent généralement selon un même schéma de dédoublement des zones urbaines.
Les mines installent ordinairement des quartiers ouvriers autour de la mine pour y loger les employés. Ce sont des villes fermées où l’accès à la propriété, à la location d’une maison ou même d’un simple lit dans une bunk-house, est généralement conditionnel à une embauche à la mine. Par ailleurs, des camps de squatteurs émergent spontanément en périphérie des terrains appartenant à la mine. Ces derniers sont généralement incorporés quelques années plus tard. C’est le cas notamment de Rouyn, installée en périphérie de Noranda, et de Val-d’Or en périphérie de Bourlamaque. Cependant, d’autres, tels que Putainville (également appelé Roc d’Or), Hollywood, Petit-Canada, Paris-la-Nuit seront détruits. Décrivant ce modèle dont Faucher brosse d’abord un portrait général du modèle qui permet de mieux comprendre pourquoi des communautés se forment sur des terres qu’elles ne possèdent pas.
Par la suite, un portrait physique de Putainville et de ses habitants est produit. Véritable œuvre d’histoire sociale rigoureuse, cette section décrit la réalité matérielle du village, les origines ethniques de ses habitants, le taux de masculinité, le statut socio-économique des habitants, leurs professions et… les différents établissements réservés aux vices.
Alexandre Faucher cherche à séparer ce qui relève des faits de ce qui relève de la réputation du village. Il distingue ce qui appartient vraiment à l’histoire de ce qui se retrouve dans la mémoire collective. Ainsi, il analyse rigoureusement comment s’exerce le contrôle judiciaire de l’époque sur le village en même temps qu’il décrit la réalité sociale du monde interlope qui s’y trouve. Cette mémoire collective a retenu que ce sont les mœurs légères qui ont mené le village de Roc d’Or à sa perte. L’historien s’affaire à vérifier si cette croyance est réellement fondée dans la réalité sociale.
Ce que le chercheur démontre, c’est que le terrible sobriquet de Putainville n’est pas spécifiquement mérité et que la situation sociale qu’il décrit n’est pas objectivement plus effervescente que dans le reste des agglomérations ouvertes de l’Abitibi minière. Grand nombre de camps de squatteurs furent incorporés en municipalités par la suite et il n’a pas été nécessaire de les démolir pour les pacifier. Ainsi, les véritables motifs de la destruction du village seraient davantage d’ordre financier et politique. Pour transformer en municipalité plusieurs des camps de squatteurs qui sont sans infrastructures, il aurait fallu débourser des sommes considérables.
L’exemple des aqueducs et des égouts démontre les limites du projet d’incorporation. À Roc d’Or, on évacue les eaux souillées par des fossés en bordure de la route et on se débarrasse des excréments d’une manière qui menace l’hygiène publique, en particulier en ce qui concerne la contamination des puits qui approvisionnent les foyers du village. Les investissements à réaliser pour instaurer de réels systèmes d’aqueduc et d’égout sont trop considérables pour les moyens de la population du campement de Roc d’Or. Le gouvernement n’ayant pas la volonté d’investir dans une telle entreprise, la décision de détruire le village semble, à l’époque la plus éclairée.
Fait cocasse, Roc d’Or existait avant la naissance de Malartic, mais c’est plutôt sur cette agglomération qu’on misa pour développer le secteur. Ironie du sort, l’emplacement où se trouvait le campement aurait été épargné par le récent déplacement du quartier de la ville de Malartic afin d’y installer le mégaprojet d’Osisko.
L’ouvrage est une contribution rigoureuse à l’histoire sociale de la région. Le travail d’Alexandre Faucher enrichit de belle manière ce domaine de recherche encore peu développé en Abitibi-Témiscamingue et il répond à un véritable appétit de connaissance non pas seulement chez les chercheurs, mais également dans le grand public. L’ouvrage, en effet, s’est vendu à quelques milliers d’exemplaires, un succès régional notable.
Jean-Philippe Rioux-Blanchette
Étudiant à la maîtrise en sociologie, UQAM