Aurélie Lanctôt. Les libéraux n’aiment pas les femmes

 Aurélie Lanctôt
Les libéraux n’aiment pas les femmes, Montréal, Lux éditeur, 128 pages

Les libéraux n’aiment pas les femmes est le premier livre d’Aurélie Lanctôt, jeune vedette du militantisme féministe québécois. L’auteure est chroniqueuse dans plusieurs tribunes, dont le journal Voir, Urbania, la Gazette des femmes et le site Ricochet. Le livre est une attaque contre la politique économique du gouvernement Couillard, décrite comme étant particulièrement nuisible à la condition féminine québécoise. L’ouvrage parvient à déployer un argumentaire souvent habile et incisif qui présente bien les effets nocifs des politiques d’austérité du gouvernement libéral, mais le propos est toutefois diminué par plusieurs failles dans la forme et le fond du texte.

L’essai ne fait que 120 pages et se lit comme un pamphlet. L’auteure ne se gêne pas pour décrire concrètement et en détail plusieurs des dégâts causés par l’austérité néolibérale du gouvernement Couillard. Lanctôt décrit les diminutions et coupes de différents types de soins médicaux ainsi que de services sociaux. Le texte laisse souvent les faits décrits parler d’eux-mêmes et les descriptions fournies tentent rarement d’épargner le lecteur. Par exemple, on peut lire que les réformes dans les services aux aînés amènent un vaste lot de difficultés pour ceux qui donnent ou reçoivent des soins. Ces changements sont issus d’une logique administrative par laquelle les tâches courantes sont calculées selon le temps qu’elles devraient durer ainsi que le nombre de fois qu’elles devraient être effectuées dans un quart de travail. Imaginez, deux minutes pour changer une couche, une pour donner du Jell-O, dix secondes pour donner un gobelet de pilules, puis multipliez selon le nombre d’heures du quart de travail. Lanctôt décrit comment ce processus tend à déshumaniser le travail des infirmières et des préposées, symboliquement réduites à l’état d’ouvrières dociles, confinées à traiter le plus rapidement et fréquemment possible leurs patients, eux-mêmes traités comme des carcasses sur une chaîne de montage. L’auteure utilise un procédé similaire pour dénoncer les coupes dans les services pour élèves en difficulté, ainsi que dans le réseau des ressources communautaires. Si le but principal du livre est de sensibiliser le lecteur aux problèmes causés par les politiques d’austérité, on peut dire que ces passages parviennent à cette fin.

Il faut toutefois noter que cet argumentaire anti-austérité comporte deux faiblesses. La première est que Lanctôt tend à situer son analyse exclusivement dans le cadre provincial. Ainsi, bien que les discours et décisions des gouvernements du PLQ soient durement attaqués, pas un mot n’est dit sur les décisions du PLC et du PCC de diminuer les transferts d’argent destinés aux soins de santé des provinces. Ces décisions ont pourtant eu des effets importants sur le financement du réseau de la santé québécois.

L’autre faiblesse du livre est son ton. Bien que l’ouvrage critique habilement les tares des politiques économiques d’austérité, cette critique est parsemée de phrases dénigrantes lancées contre l’intégrité morale des ministres libéraux. À travers elles, on voit que Lanctôt adopte la posture de celle qui sait face aux imbéciles qui ne savent pas. On peut questionner l’utilité d’une telle attitude. Le but désiré semble être d’adopter un ton pamphlétaire qui choque pour mieux faire réfléchir, mais la cible est ratée. Ces phrases laissent moins l’impression d’une bonne capacité de polémique que celle d’une certaine puérilité. C’est dommage, car elle diminue l’impact du reste de l’argumentaire de l’ouvrage.

Une autre facette importante du livre est la question de la condition féminine. Tel qu’indiqué dans le titre, l’essai défend l’idée selon laquelle l’austérité du gouvernement Couillard nuit principalement aux femmes du Québec. Lanctôt défend cette thèse principalement en montrant que les emplois affectés négativement par l’austérité sont occupés majoritairement par des femmes. Par exemple, elle décrit le contexte de travail de l’enseignement, un domaine où les femmes occupent la majorité des postes. L’auteure décrit l’augmentation constante de la charge de travail, combinée à des salaires stagnants et à une diminution des services d’aide aux élèves en difficultés. Le propos montre bien que les sacrifices imposés par la politique économique libérale sont souvent portés par des femmes.

Or, bien que la démonstration soit efficace, elle comporte trois lacunes. La première est que Lanctôt tend à passer sous silence ou à minimiser les autres acteurs affectés par l’austérité néolibérale. Par exemple, l’auteure affirme que le plan Nord profite principalement aux hommes, car il crée des emplois dans des domaines dominés par une main-d’œuvre masculine. Cette affirmation ne dit rien du fait que ces mêmes domaines sont aussi très souvent faits d’emplois instables avec des taux élevés d’accidents et de maladies de travail. Aussi, Lanctôt décrit que les décrocheurs sont plus nombreux, mais moins fragilisés que les décrocheuses, en indiquant que ces dernières ont un revenu moyen moins élevé. Or, les chiffres montrés indiquent aussi la grande pauvreté financière des deux groupes. Il y a là un certain conflit interne. En dépeignant l’austérité comme un problème pour la condition féminine, on a parfois l’impression que Lanctôt diminue parfois le fait que l’austérité est un problème pour tous. On peut se poser la question suivante. Si l’austérité de Couillard n’affectait pas les femmes, Mme Lanctôt en aurait-elle parlé ?

La deuxième lacune est que l’ouvrage incite le lecteur à éprouver un sentiment d’indignation, mais ne donne pas un exutoire à ce dernier. L’auteure dit que l’austérité fait mal et qu’elle fait surtout mal aux femmes, mais sa réflexion ne va pas plus loin. Cet élément est problématique, car il nourrit peu la pensée du lecteur. Cette critique peut sembler sévère étant donné qu’il s’agit d’un court livre de poche qui cherche à gagner un large public. Or, il est important de la faire, car l’argumentaire habile de cet essai incite à une indignation vive, mais passive, qui ne peut qu’avorter. Il ne donne pas matière à aller au-delà de ce sentiment, aussi légitime soit-il. L’essai tente de mener à un état de colère contre le gouvernement Couillard, mais n’offre pas d’outils pour que cette fulmination devienne ensuite une pensée critique et articulée, capable de produire des actions politiques. On peut postuler que Lanctôt aurait mieux fait de décrire davantage la logique interne de l’austérité néolibérale ou de présenter des moyens concrets de la combattre, plutôt que de cracher son mépris sur elle.

Pour finir, ce livre souffre d’une dernière chose. Il s’agit de l’accueil qu’il a reçu. L’ouvrage fut encensé par plusieurs critiques et il permit à son auteure de recevoir le prix Pierre-Vadeboncoeur 2015, décerné par la CSN. Tout cela est probablement fort encourageant pour Mme Lanctôt, mais le problème est que ce traitement donne à cet essai décent l’aura d’un chef-d’œuvre qu’il n’est pas. Louangé à outrance, un livre globalement modeste dans ses moyens peut encourager une certaine complaisance chez ceux qui tentent de combattre l’austérité néolibérale. Compte tenu de la légitimité de cette cause, il est important d’être lucide par rapport aux forces et faiblesses d’un propos anti-austérité. Il faut ainsi traiter l’essai de Lanctôt avec respect et non avec révérence. Les libéraux n’aiment pas les femmes est une critique parfois habile, parfois puérile et superficielle, de la politique d’austérité du gouvernement Couillard. Cela en fait une lecture utile aux opposants de ce programme néolibéral, mais une lecture rapide, qui devra idéalement être jointe à l’étude d’autres ouvrages, plus élaborés et moins immatures.

Sébastien Bilodeau, candidat à la maîtrise en service social et secrétaire-trésorier de Génération nationale