Les Cahiers grandissent ! Nos abonnés et lecteurs familiers s’en rendront compte immédiatement, quelque chose a changé. La sensation générale d’abord : le papier est légèrement plus fin, ce qui donne une souplesse plus grande et facilite la manipulation ; le nombre de pages, ensuite, qui passe à quarante. C’est avec une grande fierté que nous procédons à ces améliorations. Le pari de durer est relevé. Les Cahiers sont non seulement bien établis, mais la réaction qu’ils suscitent, les collaborations dont ils bénéficient et le soutien grandissant que leur accordent les commanditaires laissent entrevoir des jours encore meilleurs pour tous les projets que nourrit l’équipe éditoriale.
Les débats qui ont entouré la commission parlementaire sur le prix unique auront au moins permis de faire un constat : l’industrie du livre est fort dynamique et même si des inquiétudes majeures sont justifiées quant à l’avenir de la librairie indépendante, il faut reconnaître que l’horizon n’est pas bouché. L’offre est abondante et diversifiée, d’une fort bonne tenue également. Les ventes ont faibli – un recul de 4 % est un signal sérieux –, mais un redressement est encore possible. Certes, il y a encore trop de lacunes du côté des habitudes de lecture, trop peu de place accordée à la lecture dans le développement des aptitudes de base et des habitudes de travail des étudiants, trop peu d’attention aux livres québécois dans l’univers médiatique et dans le débat public, mais il faut reconnaître et miser sur le dynamisme de l’édition, sur la très grande diversité de la production et sur une qualité globalement fort appréciable de la programmation. Il faut espérer une loi courageuse et imaginative. Mais il faut aussi savoir mesurer ce qu’on peut attendre d’une loi. Elle peut certes être utile pour encadrer la dimension marchande et discipliner les industriels. Pour ce qui est du changement des mentalités, là où se trouve l’essentiel du travail à accomplir pour donner à la lecture et au livre la place qu’ils devraient occuper dans le développement culturel, il faut savoir insuffler un volontarisme plus affirmé.
Un plan lecture audacieux est requis. Il faut des mesures qui sauront dans tous les milieux favoriser et encourager la lecture, en faire un élément essentiel de la participation à la vie civique aussi bien qu’au développement personnel et à la formation professionnelle. Pour y arriver, il faut, entre autres, un effort majeur du côté de la visibilité et de la connaissance de l’actualité du livre et de la lecture. Et cela passe – à peu près personne n’y a fait allusion lors des consultations – par la valorisation des revues, ces laboratoires de la pensée qui se fait, ces bancs d’essai de la réflexion critique et de l’imagination créatrice.
Les revues, pourtant d’un dynamisme impressionnant, sont les parents pauvres de l’édition québécoise. En dépit des efforts louables de la Société de développement des périodiques culturels, elles évoluent dans un univers littéralement confidentiel. Tous leurs artisans le diront : avec les moyens qui sont les leurs, dans le contexte où elles évoluent, elles sont toutes condamnées à recruter un à un leurs lecteurs. C’est toujours un peu le cas en matière de développement des publics. Mais sans une masse critique offerte par un soutien institutionnel approprié la tâche devient littéralement herculéenne. Leurs budgets de promotion sont indigents, la place que leur accordent les librairies est généralement insignifiante, elles sont systématiquement ignorées des grands médias et des commentateurs. Il faut néanmoins saluer l’initiative du Devoir qui chaque mardi leur accorde une demi-page, mais le geste n’en fait que davantage ressortir la marginalité dans laquelle ailleurs elles sont tenues.
Les Cahiers de lecture, comme les autres, élargissent leur lectorat en multipliant les efforts dans les réseaux de leurs collaborateurs, comptant sur le bouche-à-oreille et la complicité bienveillante des auteurs et, de plus en plus, des éditeurs. C’est un chemin tortueux, mais nous avançons. Grâce au dynamisme de l’édition, grâce à la passion de nos collaborateurs. Nous pourrions aller beaucoup plus vite et nous développer autrement mieux si nous pouvions compter sur des interventions institutionnelles structurantes. Il est désormais temps de modifier le type de soutien aux périodiques.
Les mesures d’aide publique jusqu’ici déployées ont surtout porté sur ce que dans le jargon des économistes on appelle le soutien de l’offre. L’aide à l’édition, la subvention pour les frais de fonctionnement, la subvention au tarif postal ont certes leur utilité, mais leur efficacité est limitée. Il faut désormais faire porter les efforts du côté de la structuration de la demande. Le ministre de la Culture doit ouvrir ce modeste chantier qui, pourtant, pourrait faire une grande différence. Un plan lecture audacieux devrait comprendre les mesures requises pour que toutes les bibliothèques publiques du Québec soient abonnées à l’ensemble des revues membres de la Société de développement des périodiques culturels.
Un tel abonnement offrirait une masse critique qui modifierait substantiellement les conditions économiques des revues en plus de leur offrir une formidable vitrine. Sauf erreur, actuellement, aucune revue québécoise ne bénéficie du soutien de toutes les bibliothèques publiques. L’abonnement reste assez aléatoire – sinon même marginal – alors que les bibliothèques devraient avoir pour mission de rendre visible et accessible la production nationale. Ce n’est pas une affaire de chauvinisme, mais bien de transmission culturelle, de construction de la culture nationale. Pour élargir les publics, il faut mettre les institutions à contribution. C’est aussi une question de cohérence dans l’utilisation des fonds publics : subventionner des revues sans prendre les moyens de les rendre accessibles n’est pas la meilleure manière de gérer les fonds. Sur le plan strictement culturel, cela tient de l’automutilation, condamner les revues à des tirages confidentiels, c’est renoncer à tirer tout le profit du dynamisme créatif, c’est se condamner à vivre en état de sous-oxygénation permanente. Personne n’a les moyens d’un tel gaspillage.
Le ministère des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur pourrait également participer en abonnant l’ensemble des délégations du Québec au catalogue complet des périodiques de la SODEP. Le rayonnement culturel en serait enrichi. Il est inexplicable que le travail des revues reste cantonné dans les limites de la province ou à la merci des hasards et des complicités informelles des réseaux dans lesquels elles s’insèrent. Le ministre Pierre Duchesne pourrait aussi contribuer à ce plan en offrant à tous les centres d’études québécoises membres de l’Association internationale des études québécoises le même ensemble d’abonnements. Les revues fournissent un panorama extraordinaire de la vitalité intellectuelle du Québec, elles offrent une perspective remarquable sur tous les domaines de la culture québécoise dont elles permettent de suivre en temps réel, pour ainsi dire, le bouillonnement.
Présence institutionnelle forte et rayonnement externe sont intimement liés. Le Québec doit cesser de considérer le travail d’exploration culturelle de ses revues comme une affaire domestique livrée aux seules forces de leurs artisans.
Robert Laplante
Directeur