Avec qui faudra-t-il recommencer ?

Il faudra donc attendre jusqu’au début de juin pour voir clair dans ce qui se joue en creux dans le récit médiatique de la crise qui secoue le Bloc québécois. D’ici là, les commentaires vont se distribuer dans un espace politicien radicalement dépolitisé par une mise en récit de la résignation. Comment diable peut-on tenir des mois à palabrer sur une fausse opposition, sur une pseudo-polémique qui oppose la promotion de l’indépendance à la défense des intérêts du Québec ? Comment ? Sinon qu’en refusant d’affirmer et de reconnaitre un argument de base du combat national : il faut sortir du Canada parce que chaque jour qui passe nous aspire dans des choix et orientations contraires à nos intérêts nationaux.

Certes le Canada n’est pas le goulag, pour reprendre la formule tristement célèbre de René Lévesque, mais il est à coup sûr un régime qui nous enferme toujours davantage dans le consentement à la minorisation. On peut certes s’y endurer en continuant de prétendre qu’un jour il sera bon d’en sortir, mais c’est se payer de mots. Se battre pour les intérêts du Québec c’est se battre pour l’indépendance. C’est pourtant évident : chaque compromis arraché de haute lutte ou accordé avec condescendance n’est jamais qu’une manifestation supplémentaire de la victoire de l’intérêt canadian et de notre enfermement dans le régime. Quand ce n’est pas le cas, Ottawa ne cède rien.

Prétendre que l’indépendance divise alors qu’elle doit rassembler, c’est fondamentalement tenir la place et le point de vue de l’adversaire. En politique, et à plus forte raison dans un combat contre la minorisation, seul l’intérêt national peut unir et unifier. Et il ne peut y avoir deux versions de l’intérêt national dans un même Canada. On peut certes penser ruser en arrachant des lambeaux de revendications, mais à terme, c’est Ottawa qui tranche. Dans le cas québécois comme dans les autres. Il faut entendre et croire Trudeau quand il affirme que le pipeline Kinder Morgan est la bonne solution. Le Canada est un pétro-État et son intérêt national a pour socle les ressources fossiles.

Ce qui est vrai du pétrole l’est pour le reste : le financement des universités, la politique économique, le financement de la culture, la fiscalité, etc. Les vertueux qui vantent les mérites du compromis grignoté sur l’ordre canadian ne défendent pas le Québec, ils le transforment en bonne pâte, en matériau pour les intérêts des autres. Opposer intérêt du Québec et promotion de l’indépendance ne sert qu’à brouiller les motifs de lutte et la conscience de l’intérêt national. C’est contribuer à sa propre instrumentalisation.

Après plus de vingt ans de silence et de censure sur ce que pourrait être une lutte indépendantiste, la culture politique du mouvement indépendantiste est en lambeaux, appauvrie et amnésique. Nombre de militants et citoyens ne savent plus lire ni la conjoncture ni notre place dans le Canada réel. Il ne reste plus dans l’espace médiatique et, hélas, chez l’immense majorité des politiciens qu’une vague rhétorique décatie pour dire la condition politique du Québec dans le Canada. Certains jurent la main sur le cœur qu’ils seront indépendantistes le jour d’un éventuel référendum, d’autres s’imaginent qu’aucune perte ne sera jamais assez grande pour entamer notre dynamisme vital, plusieurs se perdent en devinettes pour retrouver le titre de la mélodie jouée sur le pont du Titanic. Toute une génération a été socialisée sur un discours de restriction mentale qui tentait de faire croire qu’un combat avance mieux quand on ne le mène pas, qu’une proposition devient plus convaincante quand on n’en parle pas.

L’indépendance est une conquête de tous les instants qui se mène sur tous les fronts. Une conquête qui passe par la capacité de nommer correctement les choses. Depuis trop longtemps la rhétorique empoisonne notre vie collective. C’est à cette seule aune qu’est abordé le réel. Pas étonnant que le discours d’indépendance ait été interprété et reçu comme le retour d’une vieille rengaine. Il n’y a d’incantations que pour qui s’engonce dans l’impuissance. Telle est la logique perverse du consentement à la minorisation, il y a toujours un argumentaire pour se justifier de penser qu’il y a moyen de moyenner en attendant un moment qu’on ne fixe pas et qui pourtant servira d’argument butoir : le référendum qui ne murira qu’au même rythme que le fruit constitutionnel…

Ce qui se jouera au référendum du Bloc québécois c’est le retour ou la relégation d’un cadre de pensée, d’un programme d’action nommés dans un langage qui ne sacrifie rien aux incantations ou qui s’y enferme. Il y en aura sans doute plusieurs pour penser qu’une défaite sera une victoire, que la décision d’opposer ce que notre intérêt national et notre dignité devraient réunir dégagera le paysage. Ceux-là goûteront le confort temporaire de la soumission, confondant pragmatisme et résignation. Un Bloc tourné vers la défense des intérêts du Québec en attendant qu’un référendum surgisse d’on ne sait quelle manœuvre politicienne ne fera qu’entonner l’hymne des fossoyeurs. C’est vrai qu’il restera toujours à se redire qu’avec encore un peu plus de mesures dilatoires la politique nous éviterait bien des chicanes. Et en prime elle pourrait faire les beaux jours des aspirants gérants d’une dépendance qui poussera les acteurs politiques dans une insignifiance folklorique.

On a beau dire, on a beau faire, un peuple se gouverne ou il est gouverné. Si quelques-uns peuvent penser s’en tirer, l’histoire enseigne que les vaincus n’habitent leur malheur que dans les mots des autres. Rosaire Morin disait : pour avoir une idée de l’avenir, il faut avoir de l’avenir dans les idées. Pour faire l’indépendance dans les faits il faut qu’il y ait une idée de la liberté dans ce qu’il faut avoir le courage d’entreprendre.

Nous saurons en début juin où logeront le courage et le dur désir de durer. Et avec qui il faudra recommencer. Car toujours l’indépendance restera à faire tant qu’elle ne sera pas faite.

Robert Laplante
Directeur – L’Action nationale