Le 4 août 2010, au moment d’annoncer la tenue de l’Université d’été des jeunes souverainistes, organisée par le Forum jeunesse du Bloc québécois, le président du Parti québécois Jonathan Valois disait craindre la « folklorisation de la souveraineté ». Reprenant son diagnostic de 2004, alors qu’il avait piloté la tournée des « mousquetaires » destinée à renouveler le projet souverainiste à « l’heure de la mondialisation », il en arrivait à la même conclusion : le souverainisme doit désormais prendre la forme d’un projet de société « progressiste », associé à la recherche d’une société verte formulant un modèle original de développement durable, ce qui lui permettrait de se raccrocher aux exigences de la jeunesse militante, celle qui s’investit aujourd’hui dans les nombreuses causes de l’humanitarisme mondialisé.
Ils seront peu nombreux, évidemment, à être surpris d’une telle affirmation, symptomatique du progressisme bon chic bon genre hégémonique dans les milieux associés au souverainisme officiel. On croirait même y retrouver les banalités d’usage qui ont défini le discours politique post-référendaire, principalement voué à dénationaliser la lutte pour l’indépendance, pour mieux en faire la poursuite du progressisme par d’autres moyens. Le souverainisme prenait alors la manie de la repentance à travers une valorisation ostentatoire du pluralisme identitaire. On s’en souvient, c’est dans cette période marquée par une déconstruction explicite de l’identité nationale que Jonathan Valois pouvait écrire que « rattachée à la survie de la langue et du peuple québécois, on voit mal en quoi la souveraineté peut être une réponse aux problèmes sociaux qui se vivent au jour le jour[1] ».
Personne ne contestera que le souverainisme soit en crise, enfoncé dans une impasse, bien plus profonde, que celle des années 1980. Depuis 2008, avec l’annonce du Plan Marois, le Parti québécois s’est délié de toute obligation référendaire – ce qu’on ne saurait lui reprocher vu les minces chances d’une victoire référendaire à court ou moyen terme. Le Bloc québécois, quant à lui, en est venu à se définir exclusivement dans les paramètres du parlementarisme canadien. Aux yeux des Québécois, et même d’un nombre considérable de souverainistes, la résolution de la question nationale ne semble plus impérieuse et on envisage sa mise entre parenthèses pour une période indéfinie, quand on ne souhaite pas explicitement sa neutralisation. La commémoration des quinze ans du référendum de 1995 permet d’ailleurs de prendre conscience de la régression contemporaine de la question nationale et devrait susciter dans la mouvance souverainiste une réflexion en profondeur sur l’avenir de l’idée d’indépendance.
Mais on connaît l’adage de Bossuet : Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Le dépérissement du souverainisme s’explique par des raisons inverses à celles avancées par Jonathan Valois. Ce n’est pas parce qu’il s’est déchargé de son contenu progressiste que le souverainisme a l’allure d’une idée fanée servant de supplément d’âme à la génération boomer, à la manière du dernier « rêve » d’une époque qui a souhaité mettre l’imagination au pouvoir. Ce n’est pas non plus parce qu’il se serait insuffisamment approprié la sensibilité diversitaire, écologiste et altermondialiste. Bien plutôt, il faut faire l’hypothèse que c’est parce qu’il s’est éloigné de ses principes les plus fondamentaux en plus de s’enfermer dans un ghetto électoral de moins en moins fréquenté, associé à la base sociale du modèle québécois, que le souverainisme connaît aujourd’hui une crise beaucoup moins conjoncturelle que structurelle. Et les grandes figures du souverainisme officiel devraient se questionner sur leur responsabilité dans la débâcle de l’idée dont ils sont les mandataires.
Genèse du souverainisme officiel
Pour comprendre la crise du souverainisme, il faut revenir sur sa genèse et voir en quoi elle n’est pas sans lien avec certaines contradictions portées par la Révolution tranquille. Car la crise actuelle du souverainisme est moins conjoncturelle que structurelle.
On pourrait définir le souverainisme comme l’expression moderniste, progressiste et technocratique du nationalisme québécois tel qu’il s’est métamorphosé à partir de la fin des années 1960, et tel qu’il fut principalement porté par le Parti québécois. Si la génération des fondateurs du Parti québécois n’était pas étrangère au vieux nationalisme québécois, et s’en est pour cela toujours tenue à une définition historique et existentielle de la nation, comme on peut le voir à la relecture des premières pages d’Option Québec, celle de ses premiers ralliés, dont la formation politique était pétrie du mythe de l’émancipation radicale associé à la deuxième vague de la Révolution tranquille, a vite associé le projet souverainiste à un modernisme technocratique et libertaire caractéristique du climat idéologique des années 1970. Pour cette dernière, l’appartenance au Québec a d’abord pris la forme d’une appartenance à la modernité québécoise. Ceux qui assimilent aujourd’hui l’identité québécoise et la social-démocratie sont les héritiers de cette perspective.
La création du Parti québécois en 1968 était en cela annonciatrice de son ambiguïté doctrinale, à la fois héritier du vieux nationalisme d’inspiration groulxienne tel que relayé par l’école de Montréal, et porteur d’un projet de modernisation sociale plus ou moins radical qui l’amènera à situer la poursuite de la souveraineté dans la réalisation d’un projet de société progressiste. Cette vision du projet souverainiste ne sera pas exclusive au courant « socialisme et indépendance », mais caractérisera aussi la mouvance dominante du souverainisme, qui a confondu dans un même projet l’émancipation nationale du Québec et sa modernisation sociale et culturelle (et souvent contre-culturelle). D’ailleurs, le Parti québécois attirera les jeunes élites modernisatrices qui trouveront dans la poursuite de la souveraineté et la construction du modèle québécois à la fois un moyen de promotion sociale et une manière de redéfinir le nationalisme en le désinvestissant de ses contenus traditionnels. On trouve probablement là une des causes lointaines de la crise actuelle de la conscience historique québécoise.
La chose s’explique en bonne partie par l’acceptation de l’imaginaire de la Grande Noirceur par les souverainistes, et plus encore, par leur intériorisation d’un certain utopisme qui les amenait à radicaliser la rupture avec l’expérience historique canadienne-française. Pour bien des souverainistes, il s’agissait non seulement d’affranchir le peuple québécois de la subordination politique, mais aussi de l’affranchir de sa propre culture aliénante, une perspective qui sera renforcée par la diffusion du paradigme de la décolonisation. Ceux qui situent la naissance de l’idée souverainiste en 1960 marquent bien leur volonté de la délier du vieux nationalisme historique qui n’était pourtant pas étranger à l’indépendance[2]. En faisant du RIN le pionnier de l’indépendantisme moderne, on oblitère la présence d’un vieux désir d’indépendance qui traverse l’histoire du Québec. Surtout, on enferme l’idée d’indépendance dans les paramètres exclusifs de la modernisation québécoise en dissociant radicalement le nationalisme « québécois » et le nationalisme « canadien-français », comme si le premier ne devait rien devoir au second.
Il faut dire toutefois à sa décharge que si le souverainisme a pris dès sa naissance un pli progressiste, il n’était pas exclusivement à gauche. Au moment de la fondation du PQ, René Lévesque a préféré faire alliance avec le nationalisme conservateur et régional du Ralliement national de Gilles Grégoire plutôt qu’avec l’indépendantisme gauchiste du RIN version 1968, avec Pierre Bourgault à sa tête. À travers cette alliance, c’est un nationalisme plus traditionnel qui se voyait réhabilité et reconduit dans l’espace politique mis en place par la Révolution tranquille, un nationalisme inscrivant l’indépendance dans une certaine continuité québécoise, qui l’associait aussi davantage à un imaginaire de l’enracinement plutôt qu’à un imaginaire de la rupture radicale, tourné tout à la fois contre le Canada anglais et contre le Canada français. De la même manière, durant son premier mandat, René Lévesque n’a pas hésité à restaurer et rendre publique la statue de Maurice Duplessis, non plus qu’à rendre hommage au chanoine Lionel Groulx, ce que peinent à admettre aujourd’hui ceux qui ont transformé le fondateur du PQ en icône d’un nationalisme civique ne devant absolument rien aux vieilles luttes canadiennes-françaises, certains jouant même une version épurée de sa mémoire contre la réaffirmation du nationalisme « identitaire » depuis la crise des accommodements raisonnables – comme l’a fait Lucien Bouchard en février 2010[3].
Mais la tendance lourde est pourtant là : le souverainisme a pris dès sa naissance un pli progressiste, d’autant plus que ses nombreux passages au gouvernement l’ont amené à promouvoir une nouvelle classe technocratique assurant son ascension sociale à travers la mise en place et le pilotage du modèle québécois[4]. Cela n’est pas sans effet sur la définition de la question nationale. L’attachement des souverainistes au modèle québécois est tel qu’ils ont souvent assimilé sa remise en question à une tentative de déconstruction intérieure de la société québécoise, les « valeurs québécoises » étant apparemment assimilables à une forme d’égalitarisme économique et social dont la social-démocratie serait la meilleure gardienne.
On peine à s’en souvenir, mais en 1999, dans le contexte politique post-référendaire, où les souverainistes cherchaient à affranchir leur argumentaire des références identitaires traditionnelles, même Lucien Bouchard avait présenté les adversaires du modèle québécois comme des ennemis du Québec. Cette conviction est répandue chez les souverainistes et a servi à plus d’une reprise à contester la légitimité nationaliste de l’ADQ, même si ce parti, à tout le moins sous la gouverne de Mario Dumont, s’est réclamé constamment du Québec d’abord. Parce qu’il n’était pas à gauche, Mario Dumont n’était apparemment pas vraiment Québécois. D’ailleurs, dans le discours souverainiste, la « droite » sera souvent présentée comme une référence étrangère, propre à un conservatisme anglo-saxon aussi matérialiste que borné, l’imaginaire de la Grande Noirceur disqualifiant toute référence au conservatisme dans l’espace public[5].
Avec la mutation du progressisme occidental dans les années 1990, une bonne partie du milieu souverainiste, particulièrement actif dans les milieux intellectuels, médiatiques et technocratiques, s’est convertie au multiculturalisme et aux différentes causes associées à l’idéologie diversitaire, le Bloc québécois sous la direction de Gilles Duceppe représentant l’exemple le plus radical de ce néo-souverainisme définitivement affranchi du nationalisme historique, ce qu’on reconnu certains ses partisans les plus déclarés dans un ouvrage récent qui reconnaissait au Bloc québécois le rôle historique d’avoir dépris le souverainisme des liens qui l’accrochaient encore au vieux nationalisme québécois[6]. Sous la direction de Gilles Duceppe, le Bloc a ainsi joué le rôle d’un vecteur de désubstantialisation d’un nationalisme québécois qui était apparemment encore trop accroché à son substrat historique, à la majorité française. Le parcours intellectuel de Gérard Bouchard, de La nation québécoise au futur et au passé jusqu’au rapport Bouchard-Taylor est exemplaire de cette mutation idéologique du souverainisme qui s’est engagé depuis une quinzaine d’années dans la multiculturalisation de l’identité nationale.
On pourrait ainsi parler de la mutation soixante-huitarde du souverainisme qui déclasse les formes les plus traditionnelles du sentiment national. L’utopisme modernitaire hérité de la Révolution tranquille s’est radicalisé sous la figure de la « diversité », à travers le passage aujourd’hui bien documenté d’un nationalisme « ethnique » fantasmatique à un nationalisme « civique » rédempteur. Pour le souverainisme officiel, l’imaginaire diversitaire remplace moins l’imaginaire moderniste qu’il ne le radicalise en liquidant la référence même au substrat historique à partir duquel devrait prendre forme l’identité québécoise. La Révolution tranquille est réinterprétée dans le paradigme diversitaire et la conversion du Québec à l’inter/multiculturalisme en représente son point d’aboutissement. C’était à tout le moins la relecture de la Révolution tranquille que proposait récemment le rapport Bouchard-Taylor. La Charte des droits de 1975 en est même venue à représenter le texte fondateur d’une société recadrée dans l’idéologie diversitaire, même si ce texte ne dispose pas d’une force symbolique particulièrement forte dans la conscience nationale. La référence à la Charte de 1975 a surtout une valeur stratégique : elle vient déculpabiliser la reconstruction pluraliste de l’identité québécoise en la dissociant officiellement du multiculturalisme canadien – elle lui serait même antérieure. Par cette astuce stratégique, la modernisation pluraliste de l’identité québécoise trouve ainsi sa légitimité dans le cadre politique québécois[7].
La chose n’est pas sans conséquence : le souverainisme officiel parvient de plus en plus mal à exprimer politiquement le sentiment national. Ses intellectuels fournissent une définition de la nation correspondant à une construction idéologique déréalisée. Michel Venne, une figure majeure du souverainisme officiel, écrivait ainsi il y a quelques années que « les Québécois partagent des valeurs qui fondent des lois. Les libertés fondamentales, les droits individuels et collectifs sont énoncés dans la Charte québécoise des droits de la personne depuis 1975. La Charte de la langue française, les déclarations adoptées par notre Assemblée nationale contre le racisme ou reconnaissant les nations autochtones balisent les rapports entre majorité et minorités[8] ». Et même lorsque le souverainisme officiel cherche à en revenir à un « discours identitaire » axé sur la majorité francophone, ses supporteurs parviennent au mieux à ressaisir partiellement l’identité québécoise telle qu’elle fut reformatée dans la matrice de la Révolution tranquille, à travers une synthèse de nationalisme linguistique et de laïcité plus ou moins militante. Le souverainisme officiel ne semble plus capable d’interpeller le patriotisme ordinaire des Québécois. Malgré le virage identitaire de 2007-2008, qui relevait surtout d’une stratégie de survie dans le cadre de la crise des accommodements raisonnables, le souverainisme officiel ne semble plus capable d’exprimer le sentiment national des Québécois.
Un souverainisme neutralisé
Résumons la chose ainsi : le souverainisme n’a jamais été un mouvement faisant exclusivement la promotion de l’indépendance du Québec. C’est une mouvance beaucoup plus vaste qui a en bonne partie transformé le nationalisme en instrument de consolidation de l’État social-thérapeutique. Ce n’est qu’en ayant à l’esprit cette genèse du souverainisme qu’il nous est possible de comprendre la culture politique qui lui est aujourd’hui associée et qui génère un malaise indéniable dans une portion croissante de la société québécoise. Le souverainisme québécois n’est pas seulement « social-démocrate » au sens classique du terme. Il n’est pas seulement à gauche économiquement, mais il l’est tout autant socialement et culturellement, ce qui explique son ralliement au multiculturalisme de 1995 à 2007. Et l’émergence de plus en plus massive des enjeux culturels, sociaux et identitaires liés à la mutation thérapeutique de l’État social vient confirmer ce diagnostic.
Par exemple, la chose est visible dans l’attachement du Parti québécois à la réforme scolaire et plus généralement, à une forme d’égalitarisme radical soutenu par l’expertocratie pédagogique du ministère de l’Éducation. On peut aussi la remarquer avec son soutien constant à la discrimination positive et aux programmes « d’accès à l’égalité », le souverainisme officiel reconnaissant la validité théorique et technocratique de la sociologie victimaire et de l’idéologie « antidiscriminatoire » dont elle est l’expression. Il ne viendrait jamais à l’esprit des leaders du souverainisme officiel de contester les nombreux discours portant sur la « discrimination systémique » dont seraient « victimes » certains « groupes minoritaires ». D’ailleurs, on ne compte plus le nombre d’experts-en-diversité qui ont colonisé les instances du souverainisme officiel. Il viendrait encore moins à l’idée du souverainisme officiel de remettre en question la bureaucratie de la diversité de la CDPDJ et les nombreux lobbies identitaires qui gravitent autour d’elle. Non seulement ils se laissent aisément intimider par les théoriciens de la gauche multiculturelle – ils sont normalement d’accord avec eux. Le souverainisme officiel n’envisage pas d’avenir pour le Québec en dehors d’un modèle québécois en pleine mutation thérapeutique.
Le souverainisme officiel accouche évidemment d’un souverainisme hygiénique que la seule accusation de « dérive droitière » suffit à neutraliser, ce qui l’amène souvent à se détourner de ses propres intérêts électoraux. On l’a vu au moment de la controverse entourant la publication du rapport Quérin en décembre 2009, qui dévoilait l’orientation multiculturaliste du cours Éthique et culture religieuse – un cours qui de l’aveu même de ses concepteurs, se présente comme une thérapie pluraliste administrée à la société québécoise. Après que Pierre Curzi, à ce moment responsable du dossier, en ait conséquemment appelé à l’abolition du cours ECR, une proposition qui aurait du aller de soi dans un parti vraiment nationaliste, Pauline Marois l’a poliment rappelé à l’ordre, d’autant plus que les concepteurs du programme, associés au moins partiellement au Parti québécois, multiplièrent les démarches pour amener la direction du PQ à condamner un député qui n’avait pas encore une connaissance intime des usages et des interdits du souverainisme officiel. L’événement était révélateur de la pesanteur de certaines alliances au sein du souverainisme officiel, et surtout de la puissance d’un dispositif inhibiteur l’empêchant de sortir des paramètres du progressisme sans avoir immédiatement l’impression de transgresser son propre catéchisme.
Le Parti québécois a pleinement intériorisé les prescriptions de la rectitude politique et s’interdit plus ou moins consciemment de s’aventurer sur les questions piégées par le système médiatique. Sa remise en question du multiculturalisme est strictement rhétorique, le souverainisme officiel ne voulant pas en assumer les conséquences. Et depuis le battage médiatique qui a entouré la présentation du projet de loi 195 qui proposait la création d’une citoyenneté québécoise, on devine bien que les souverainistes ne se risqueront pas de sitôt à une revalorisation de la « question identitaire ». Les gesticulations sur la souveraineté sont là pour servir d’alibi. Autrement dit, le discours identitaire tourne à vide. L’appel sans cesse relancé au « pays » est le dernier résidu nationaliste du souverainisme officiel, l’enveloppe qui reste quand la substance n’est plus là.
On le voit de manière particulièrement radicale à Ottawa où le Bloc québécois a cessé depuis longtemps de défendre l’autonomie constitutionnelle du Québec pour se convertir à la promotion des « valeurs québécoises », ce qui l’a amené, en décembre 2008, à soutenir le projet de coalition qui aurait entraîné une centralisation politique à Ottawa dans une dynamique de crise économique. Mais il fallait coûte que coûte bloquer le Parti conservateur de Stephen Harper, même s’il se montrait généralement plus favorable que les partis de la coalition envers l’autonomie des provinces et la réduction de l’État fédéral. D’ailleurs, comme l’a noté Chantale Hébert au moment de la célébration des vingt ans de carrière politique fédérale de Gilles Duceppe, le Bloc en est venu à s’institutionnaliser dans les paramètres du parlementarisme canadien, où il fait valoir un programme progressiste qui l’amène la plupart du temps à s’aligner sur le Parti libéral du Canada et sur le Nouveau Parti démocratique[9]. Le BQ représente certainement la forme achevée d’un souverainisme neutralisé, où la contradiction fondamentale entre le nationalisme et le progressisme s’est soldée au bénéfice du second.
Par ailleurs, l’exemple le plus caricatural de ce préjugé progressiste électoralement contre-productif du leadership souverainiste se trouve dans la complaisance affichée pour Québec solidaire. En continuant à chercher les bonnes grâces de Québec solidaire plutôt que celles d’un électorat conservateur passé du PQ à l’ADQ puis à l’abstention, les souverainistes nous rappellent qu’ils préfèrent désormais perdre cent votes à droite plutôt qu’un vote à gauche. Il faudrait pourtant se rappeler que Québec solidaire est un phénomène groupusculaire qui n’existerait pas sans l’amplificateur radio-canadien, alors que la mouvance conservatrice est un courant populaire significatif susceptible d’entraîner une dynamique de réalignement politique dans la société québécoise. Mais une bonne partie de l’élite souverainiste fréquente des milieux où Québec solidaire est considéré comme une référence politique sérieuse, à tout le moins, comme un interlocuteur légitime dans le débat public. Dans ces mêmes milieux, on hésite peu à assimiler l’ADQ sous Mario Dumont à une mouvance semblable à la droite populiste à l’européenne.
La question du nationalisme « conservateur »
Il ne faut donc pas confondre le souverainisme tel qu’il est devenu et l’idée d’indépendance qu’il est parvenu à confisquer. Mais chose certaine, le souverainisme moderne tel qu’il existe comme courant social est de plus en plus indissociable d’un modèle québécois dont il est finalement devenu une des composantes. Tout cela porte à conséquence dans les lignes de polarisation politique, qui se déplacent. En fait, c’est un nouvel axe idéologique qui semble se dévoiler dans l’espace politique québécois. Si le clivage entre le souverainisme et le fédéralisme n’est évidemment pas effacé, il s’est toutefois considérablement relativisé. Il encombre davantage l’espace public davantage qu’il me structure une polarité réelle dans le Québec actuel. Quand le président du Parti québécois dit que « notre adversaire, c’est le fédéralisme », on devrait l’amener à nuancer son propos. Son adversaire, c’est cette synthèse de fédéralisme et de conservatisme qu’il assimile à la « droite ». Pourtant, depuis le rapport Alarie, commandé par le Bloc en 2006 pour faire la lumière sur la percée conservatrice dans la région de Québec, les souverainistes ne peuvent plus faire semblant de ne pas savoir qu’une frange significative de l’électorat nationaliste les boude et les boudera longtemps[10]. L’élection de mars 2007 a confirmé cette tendance, et surtout, a démontré que le décrochage entre le souverainisme officiel et l’électorat ne se limitait pas à la région de la capitale nationale. La question du conservatisme resurgit dans le Québec actuel. Et elle devrait naturellement interpeller le nationalisme québécois.
Cet électorat conservateur cultive sa méfiance envers le souverainisme officiel, non pas parce qu’il est « frileux » ou « fermé au changement », encore moins parce qu’il est « fédéraliste », mais tout simplement parce qu’il en est venu à développer une aversion pour un consensus progressiste auquel le souverainisme est identifié. Cet électorat ne rejette pas le Québec en rejetant les souverainistes, mais rejette ce que les souverainistes veulent faire du Québec – et il ne faut pas d’abord penser ici à la souveraineté. Cet électorat ne renie pas son appartenance au Québec, mais ne se reconnaît certainement pas dans la version très idéologisée de l’identité québécoise que formule le souverainisme officiel, dans sa synthèse d’écologisme, de multiculturalisme et de social-démocratie – une vision de l’identité québécoise qui est souvent déchargée, faut-il le dire, de tout substrat occidental et qui n’a plus qu’un vague rapport avec le sentiment national ordinaire que ressentent naturellement une majorité de citoyens, qui s’identifient au Québec comme à leur patrie naturelle sans avoir le besoin de s’identifier à tout ce que la gauche officielle cherche à investir de force dans l’identité québécoise[11].
Dans la situation politique actuelle, marquée par la relativisation de la question du statut politique, l’éloignement de tout horizon référendaire et la résurgence de plus en plus évidente du clivage « gauche-droite », il est naturel, et même normal, que l’électorat conservateur reprenne ses billes et cherche à se déprendre de la fausse adéquation proposée par le souverainisme officiel entre l’identité québécoise et le « modèle québécois ». Pourtant, cet électorat, le souverainisme officiel exprime un certain dédain à l’idée de le regagner. Le courtiser relèverait d’un populisme en contradiction avec la démocratie pluraliste. Il y aurait même là un flirt avec l’inacceptable, la chose n’étant pas sans surprendre quand on sait qu’une bonne partie de cet électorat conservateur était historiquement affilié au camp national. Et lorsque la raison électorale amène le souverainisme officiel à chercher certaines formules rhétoriques pour ramener chez lui ceux qu’on présente de plus en plus comme des nationalistes conservateurs, il entretient alors avec eux un rapport qui varie entre l’instrumentalisation et le mépris.
On le voit notamment lorsque les leaders souverainistes mettent de l’avant la question de la laïcité, qu’ils ne semblent pas capables d’accoupler avec l’héritage catholique du Québec. Il n’est pas rare de les entendre confier à micro fermé leur malheur d’avoir à reconnaître certains symboles associés à l’héritage catholique du Québec auxquels ils n’accordent une considération minimale que pour éviter d’avoir à subir le désaveu d’une population manifestement attachée aux symboles chrétiens dans la définition de son identité, d’autant plus qu’ils en sont venus à représenter la dimension plus traditionnelle d’une culture nationale irréductible aux seuls paramètres de la Révolution tranquille. Ce malaise est particulièrement visible dans le débat entourant la place du crucifix à l’Assemblée nationale.
Pourtant, le fait dominant de la politique québécoise contemporaine est la réactivation, à travers la « question identitaire », d’un certain nationalisme conservateur. Pendant des décennies, la question du conservatisme québécois a été passée sous silence. Le Québec progressiste ne pouvait tolérer l’hypothèse de la reconstitution d’un conservatisme moderne, reconnaissant l’héritage de la Révolution tranquille, mais souhaitant le désinvestir de son utopisme technocratique. L’espace public, surtout, ne pouvait accueillir la manifestation d’un conservatisme cherchant moins à restaurer « l’ancien régime » qu’à poser un regard critique sur la modernité québécoise. Désormais, si les progressistes prennent la peine de nommer le conservatisme, c’est pour mieux assurer son exclusion délibérée de l’espace public, en traçant autour de lui un cordon sanitaire, en le présentant comme une reproduction de la droite populiste à l’européenne, qui investirait dans le débat public une charge « xénophobe » associée au « repli identitaire ».
Pour cela, la gauche multiculturelle plaide explicitement pour la reconstitution de l’espace public contre le nationalisme conservateur et plus généralement, contre toutes les manifestations politiques d’un sentiment national plus traditionnel et moins idéologisé. Le nationalisme conservateur exprime le malaise d’un nombre considérable de Québécois, désormais en rupture avec les grands partis. Ce malaise témoigne confusément d’un refus de poursuivre la rééducation thérapeutique de la société québécoise, dans des domaines aussi variés que l’éducation, la « gestion de la diversité » ou la reconstruction des pratiques sociales traditionnelles. Le « nationalisme conservateur » cherche à exprimer une réalité de plus en plus évidente : l’identité québécoise n’est plus exclusivement menacée par le cadre canadien, mais aussi par le système idéologique qui domine chez les élites québécoises et qui s’est retourné principalement contre la majorité historique québécoise.
Le nationalisme conservateur prend forme ainsi, non pas seulement contre le multiculturalisme canadien qui diffère bien peu pratiquement de l’interculturalisme québécois, mais contre la mutation postnationale du Québec officiel, auquel le souverainisme officiel participe. Autrement dit, le nationalisme conservateur représente l’altérité la plus manifeste à l’État multiculturel. On « comprend » la gauche multiculturelle dans sa tentative de censure politique, et même juridique : elle reconnaît dans le nationalisme conservateur non pas une force qui cherche à s’insérer dans le débat public, mais bien une mouvance qui cherche à reconfigurer en profondeur l’espace politique québécois. En cela, le nationalisme conservateur est un nationalisme de rupture avec le système idéologique dominant.
On pourrait assimiler le nationalisme conservateur à une forme de patriotisme occidental trouvant dans le Québec son cadre d’expression politique. En fait, la vieille identité canadienne-française se renouvelle aujourd’hui dans une mise en scène de l’identité occidentale du Québec. Ce n’est que de ce point de vue qu’on peut comprendre la réactivation d’un vieil héritage identitaire qui précède la Révolution tranquille et auquel les Québécois accèdent aujourd’hui par la revalorisation des symboles religieux associés à leur héritage catholique. Et ce n’est pas sans raison que se déclenche chaque année une controverse sur le « Joyeux Noël » ou que l’opinion s’est crispée lorsque la ministre Courchesne a proposé de vider le calendrier scolaire de toute référence identitaire au christianisme au nom d’une école sans discrimination. Ce vieil héritage n’est pas joué contre celui de la Révolution tranquille, aujourd’hui fixé sur la poursuite de la laïcité, mais cherche plutôt à s’accoupler avec elle, comme si le nationalisme conservateur était porteur d’une tentative de synthèse identitaire appelée à transcender la fracture radicale de 1960 en reconstruisant une conscience historique de la continuité québécoise.
Pour une portion significative des Québécois, la philosophie de l’accommodement raisonnable a l’allure d’une démission identitaire qui consacre l’inversion du devoir d’intégration, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une pédagogie pluraliste du vivre-ensemble qui relève de la propagande d’État. La gauche multiculturelle entend ainsi privatiser la culture nationale, la refouler dans les marges de l’espace public et fabriquer de toutes pièces un nouveau peuple, que l’on nommera « québécois » par convenance, mais qui sera manifestement étranger à l’expérience historique québécoise. Le nationalisme conservateur exprime un profond malaise qui tient à une certaine déliquescence du lien social québécois, au sentiment d’enraiement des mécanismes de transmission culturelle ainsi qu’à celui d’une neutralisation de la souveraineté populaire par de nouveaux pouvoirs post-démocratiques. Il surgit par ailleurs dans un vacuum politique qui rend l’espace politique disponible pour une recomposition en profondeur.
Évidemment, le malaise québécois révélé par l’émergence du nationalisme conservateur n’est pas réductible à sa seule dimension identitaire. Il s’alimente aussi d’un sentiment d’exaspération devant les ratés de la social-technocratie, de la bureaucratisation de la société, de la crise des finances publiques et du sentiment de plus en plus exacerbé d’un blocage politique causé en bonne partie par une collusion bureaucratique et syndicale au cœur même du modèle québécois. Pourtant, la question identitaire est fondamentale dans la mesure où elle permet à ce courant de se manifester politiquement, de s’exprimer, de se coaguler et de s’investir dans le domaine public. La question identitaire permet au nationalisme conservateur de se cristalliser, de passer du statut de sensibilité diffuse à celui de courant politique[12]. Et c’est la vertu de la crise des accommodements raisonnables d’avoir dévoilé la fragilité du système partisan québécois et la disponibilité électorale indéniable d’un électorat susceptible de répondre à une offre politique bien articulée, se plaçant en contradiction avec le système idéologique dominant. La formation politique qui parviendra à récupérer ce nationalisme conservateur en l’intégrant dans sa coalition sera durablement le parti majoritaire dans la politique québécoise.
L’effondrement de l’ADQ rend ce courant à nouveau disponible électoralement et les rumeurs entourant la création d’un nouveau parti autour de François Legault témoignent bien de l’inadéquation actuelle entre l’offre et la demande politiques au Québec. Mais on l’a vu, le souverainisme officiel peut difficilement envisager une stratégie d’ouverture « à droite » – on parlerait plus exactement d’une stratégie de rassemblement national, ou de recomposition de la coalition nationaliste au centre-droit. Il aurait pourtant tout à gagner à envisager une politique de polarisation qui permettrait de briser certaines alliances devenues pesantes, d’en nouer de nouvelles, et surtout, d’en finir avec le climat d’impuissance politique qui noie la société québécoise dans le culte des valeurs molles. Ce sont les termes du débat public qui doivent être changés, ce sont les paramètres de la respectabilité idéologique qui doivent se métamorphoser. On sous-estime la valeur de la transgression idéologique en tant que stratégie politique dans les sociétés qui subissent la censure de la rectitude politique.
Recomposer l’espace politique québécois
C’est un bilan du souverainisme officiel qui s’impose aujourd’hui. Le souverainisme québécois est en fin de cycle politique. Il semble prisonnier de la conjoncture historique qui l’a engendré et modèle de société auquel il s’est accroché. La crise du souverainisme est l’expression politique la plus radicale d’un certain « malaise dans la modernité » québécoise, d’une crise des institutions héritées de la Révolution tranquille et de la conscience historique dont elles étaient investies. Ajoutons que si l’idée d’indépendance se retrouve aujourd’hui dans une telle impasse, c’est en bonne partie parce que le souverainisme l’a mal servie. Si l’idée d’indépendance demeure l’expression la plus fondamentale de notre appartenance au Québec, il faut néanmoins convenir que le souverainisme officiel tel qu’on le connait la sert bien mal. En fait, l’idée d’indépendance ne parvient plus à se traduire en projet politique crédible susceptible de rassembler une majorité de Québécois.
De la même manière, il faut enregistrer leur mutation idéologique sur le plan de la défense de l’identité nationale. Les souverainistes ne parviennent plus aujourd’hui à mettre en forme politiquement l’identité québécoise telle qu’elle semble se recomposer à travers la réactivation de son substrat culturel occidental. Poser la question identitaire dans les termes exclusifs de la relation Canada-Québec est devenu anachronique. Cela ne veut pas dire que la question nationale soit entrée dans une phase de dislocation objective. Mais si les indépendantistes ne parviennent pas à voir de quelle manière la mutilation de l’identité nationale est un problème en bonne partie interne à la société québécoise, ils ne parviendront jamais à réactiver le sentiment national et à le charger des contenus nécessaires pour reprendre la lutte pour la souveraineté.
Évidemment, ce diagnostic ne préjuge pas de la stratégie à poursuivre pour les nationalistes québécois d’autant plus qu’on trouve certainement dans les grands partis un nombre significatif de militants, de cadres et de députés qui travaillent ardemment à la promotion de l’indépendance dans la mesure où malgré leurs imperfections, ces formations sont les seules présentes sur le marché politique. La présentation du projet de loi 195 à l’automne 2007 montre ainsi qu’il est possible de manière circonstancielle de permettre au courant national de se manifester dans les instances du souverainisme officiel. Et il n’est pas impossible que l’on assiste, lors d’une éventuelle course à la direction dans un des deux grands partis souverainistes, à un réaménagement interne si profond qu’il s’accompagnerait alors d’une véritable refondation idéologique du mouvement national. C’est d’ailleurs ce qu’ont compris les conservateurs canadiens pendant leur traversée du désert au long des années 1990 : il leur était nécessaire de transformer leur parti pour transformer leur pays.
Mais il faut aussi admettre les limites de l’action politique dans la configuration politico-idéologique actuelle. Et de la même manière qu’il fut nécessaire, au moment de la Révolution tranquille, de désinvestir le nationalisme d’un traditionalisme désuet qui l’entravait, il est nécessaire aujourd’hui de le dissocier du progressisme thérapeutique qui l’a détourné et dénaturé. Si le souverainisme ne se transforme pas radicalement, il ne parviendra jamais à mener les Québécois à l’indépendance.
[1] Jonathan Valois, Stéphan Tremblay et Alexandre Bourdeau, La tournée des mousquetaires, Juin 2004.
[2] Sur les origines « prérévolutionnaires » de l’idée d’indépendance, on consultera de Charles-Philippe Courtois, Robert Comeau et Denis Monière (dir.), Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, Montréal, VLB éditeur, 2010.
[3] Sur la sympathie manifeste de René Lévesque pour le nationalisme traditionnel, on consultera les textes de Xavier Gélinas et d’Éric Bédard dans Alexandre Stefanescu (dir.), René Lévesque. Mythes et réalités, Montréal, VLB éditeur, 2008, p. 37-49 et p. 147-159.
[4] Il suffit d’ailleurs d’inspecter un organigramme des grands partis souverainistes pour s’en convaincre, le Parti québécois correspondant à la voie de promotion politique pour les milieux traditionnellement bénéficiaire du modèle québécois, la chose étant encore plus vraie pour le Bloc québécois, avec une note syndicale encore plus vive, le journaliste Normand Lester l’ayant d’ailleurs qualifié de « sénat de la CSN », une formule appropriée qui nous rappelle d’ailleurs que le Bloc québécois a servi à la promotion sociale dans le milieu souverainiste d’une bonne partie de l’extrême-gauche des années 1970, qui a conservé de ses années militantes un internationalisme intransigeant, souvent révolutionnaire, et qui a d’ailleurs conservé une culture de la purge idéologique, surtout envers les éléments du parti accusés de « dérive droitière », comme on l’a vu à quelques reprises dans l’histoire du Bloc sous la direction de Gilles Duceppe. Sur le Bloc, on lira Normand Lester, « Gilles Duceppe et le Bloc, 20 ans déjà. Jouent-ils trop bien le jeu du fédéralisme ? », 16 août 2010, texte disponible à l’adresse suivante » :
[5] Sur la question, je me permets de référer à mon article Mathieu Bock-Côté, « La mémoire du duplessisme et la question du conservatisme au Québec », dans Xavier Gélinas et Lucia Ferreti (dir.), Duplessis, son milieu, son époque, Sillery, Septentrion, 2010.
[6] Ainsi, dans un ouvrage récent, Manon Cornellier reconnaissait qu’« une grande contribution du Bloc : la définition civique de la nation. Le Bloc a beaucoup contribué à l’ouverture et à la diversité et ça, c’est un acquis pour tout le mouvement souverainiste… D’ailleurs, le BQ met en place un discours orienté sur la diversité, l’ouverture et l’inclusion et je sais pour avoir parlé à des gens issus des communautés culturelles qu’ils trouvent le Bloc moins nationaleux, cou bleu, qu’il y a au PQ une tranche forte de ça ». Cité dans Marie-France Charbonneau et Guy Lachapelle, Le Bloc québécois, 20 ans au nom du Québec, Les éditions Richard Vézina, 2010, p. 99.
[7] Sur la question, je réfère à mon article « La mémoire de la Révolution tranquille et la gauche multiculturelle », à paraître.
[8] Michel Venne, « Dumont dérape », Le Devoir, 20 novembre 2006, p. A7.
[9] Chantale Hébert, « Hébert : Harper’s agenda stokes Duceppe’s fire », The Toronto Star, 13 août 2010.
[10] Hélène Alarie, Ni mystère, ni énigme. Surtout pas « mou » ni « tranquille ». Ou comment le modèle montréalais ne passe pas à Québec, 30 mai 2006,
[11] Toutefois, une certaine frange de cet électorat en est même venue à confondre cette aversion pour le consensus progressiste de nos élites avec une aversion pour le Québec même, que l’on présente de plus en plus comme une enclave progressiste qui limiterait l’horizon de ceux qui y habitent. Cette critique du progressisme qui vire à l’antinationalisme primaire s’accompagne souvent d’une forme d’américanophilie vulgaire qui fait du bilinguisme sa principale revendication, comme si la critique de la gauche devait désormais s’accompagner d’une forme d’expatriation mentale, un travers idéologique que l’on pourrait associer à une partie de la « droite postmoderne » qui se déploie dans la région de Québec et qui flirte avec l’idéologie libertarienne, lorsqu’elle ne s’en réclame pas tout simplement.
[12] On pourrait dire autrement que la crise du modèle québécois ne porte à conséquence dans la définition de l’espace politique qu’au moment où elle quitte le registre exclusivement économique pour révéler une crise plus profonde de la société québécoise, qui révèle l’impasse dans laquelle elle se retrouve historiquement. La question identitaire vient en cela fournir la matière idéologique nécessaire pour ceux qui voudraient réaligner l’espace politique dans une perspective conservatrice. De ce point de vue, le « centre-droit » qui cherche à se constituer politiquement dévoile une sensibilité idéologique carencée, qui se situe exclusivement dans les paramètres de la Révolution tranquille, mais qui cherche à libéraliser la société québécoise sur le plan économique sans remettre en question aucunement le progressisme culturel et social associé au modèle québécois.