On a compris depuis longtemps que pour Philippe Couillard les vraies affaires concernent l’économie ou plutôt l’argent… La question nationale ne saurait être considérée que comme un divertissement, un détournement dangereux de l’attention. On mesure la distance énorme qui sépare le PLQ des années 1960 à 1990 de celui de Philippe Couillard : jamais ce parti n’a été aussi canadien et aussi peu québécois que maintenant. Le Parti libéral n’a jamais été souverainiste, mais entre l’élection de Jean Lesage et le départ de Robert Bourassa en 1993, il adopta certaines mesures nationalistes et autonomistes : mentionnons l’affirmation du Québec sur la scène internationale avec la doctrine Gérin-Lajoie, la loi 22 qui faisait du français la langue officielle du Québec et enfin la négociation de l’entente du lac Meech avec le gouvernement de Brian Mulroney qui reconnaissait le Québec comme une société distincte.
On sait que Philippe Couillard ne veut pas prendre d’initiatives concernant la constitution : le fait que le Québec ne l’a pas signée lui est tout à fait indifférent. Rappelons-nous que l’appui à la souveraineté avait bondi après l’échec du lac Meech; il ne faut surtout pas réveiller le chat qui dort ! Tout juste après son élection à la tête du Parti libéral, Philippe Couillard souhaitait initier des discussions constitutionnelles avec le gouvernement fédéral, il dit maintenant que rien ne presse et que l’initiative de discussions devra être prise par les politiciens fédéraux, ce qui revient à dire qu’il ne se passera absolument rien : le gouvernement Harper refuse de discuter de constitution, Trudeau s’il est élu, refusera lui aussi.
Les politiciens du camp fédéraliste se sont passé le mot : le dossier constitutionnel est réduit à de « vieilles chicanes ». Philippe Couillard démontre un vif intérêt pour Napoléon et, alors qu’il était en Arabie Saoudite, il participait à un club d’histoire – le journaliste Alec Castonguay nous révèle d’ailleurs que son exposé sur la guillotine avait été remarqué par ses collègues. Étrangement, cet esprit curieux n’éprouve pas de grands frissons face à la constitution canadienne. Aux yeux de Couillard, la constitution, cette dame aux charmes surannés, est « usagée », « fatiguée », « vétuste », « inutile », toutes des caractéristiques négatives qu’on associe au mot « vieux ». Mais force est de constater que le médecin Couillard a mal diagnostiqué la santé de la vieille dame; elle est plutôt dans une forme splendide et elle régit plus que jamais notre vie politique, particulièrement en matière de langue, un sujet dont les libéraux, qui se sont opposés jadis à la loi 101 et qui s’opposent maintenant avec véhémence à son renforcement, n’aiment guère parler et qu’ils aimeraient bien encore une fois réduire à de « vieilles chicanes ». En 1979, la Cour suprême invalidait sept articles de la loi 101 en les déclarant inconstitutionnels, en 1988, toujours en se basant sur la constitution, elle se prononçait contre l’interdiction de l’anglais dans l’affichage commercial et, enfin, en 2009, elle s’est appuyée sur l’article 23 de la Charte des droits et libertés pour invalider la loi 104 qui interdisait les écoles passerelles au Québec. On le constate, loin d’être un poids négligeable, la constitution canadienne contribue à fragiliser le français au Québec.
Une mémoire sélective
La mémoire est une faculté qui oublie… de façon sélective. Philippe Couillard, cet être épris de culture, peut citer de mémoire des vers de Racine qu’il a appris lorsqu’il étudiait au collège privé Stanislas, mais il souffre d’une étrange amnésie lorsqu’on évoque ses liens avec Arthur Porter, ce sulfureux personnage accusé d’avoir reçu des pots-de-vin de la part de SNC-Lavalin dans le cadre de la construction du CUSM. En 2011, il le décrivait comme un ami intime, un ami avec lequel il avait fondé Porter, Couillard et associés, une firme de consultants en santé. Cette entreprise était d’ailleurs illégale, car Arthur Porter était alors directeur du CUSM et ne pouvait pas occuper d’autres fonctions dans le domaine de la santé sous peine de conflits d’intérêts. Le chef du PLQ semble maintenant avoir tout oublié des beaux liens d’amitié qui l’unissaient à Arthur Porter et décrit maintenant l’embarrassant personnage comme une simple connaissance. Il est aussi fort peu bavard en ce qui a trait à son séjour de quatre ans, entre 1992 et 1996, en Arabie Saoudite alors qu’il était neurochirurgien dans un centre médical mis sur pied par la compagnie pétrolière Aramco. Sa passion pour l’Arabie ne s’est ensuite pas démentie et il a conseillé le gouvernement de ce pays en matière de santé. L’homme qui vilipende la charte du PQ parce qu’elle aurait comme conséquence de retirer des femmes portant des signes ostentatoires du marché du travail ne semble pas éprouver de scrupules à collaborer avec l’un des gouvernements les plus régressifs de la planète, un gouvernement qui interdit la pratique de religions autres que l’islam et qui relègue la femme à un rôle de second rang. Philippe Couillard aime se donner des allures de philosophe profond à la morale sans taches, mais en vérité il est un digne représentant de la pensée néo-libérale, pensée qui enseigne de se poser très peu de questions lorsque l’argent et le pouvoir sont en jeu.