D. Peter Macleod.
Backs to the wall : the Battle of Sainte-Foy and the conquest of Canada, Madeira Park (Colombie-Britannique), Douglas & McIntyre, 2016, 253 pages
Les chapitres sont brefs, le rythme soutenu, la recherche documentaire méritoire. Ce récit de Peter MacLeod, historien rattaché au Musée canadien de la guerre, porte sur la bataille de Sainte-Foy du 28 avril 1760, de sa préparation à son dénouement et à ses conséquences immédiates. L’auteur tente de présenter l’événement selon les points de vue des acteurs de l’époque, ou du moins ce qu’il pourrait en rester à travers leurs journaux, correspondances et archives.
Le premier tiers du livre porte sur l’avant-bataille, ce qui nous permet de prendre la mesure de la qualité de la vision des intérêts de la Nouvelle-France portée par ses derniers dirigeants politiques et militaires, Vaudreuil et Lévis. Suit, pour un peu plus d’un autre tiers, la narration minutieuse de la bataille où se déploient les derniers grands efforts d’une société qui met tout en œuvre pour ne pas être conquise. La dernière partie du livre – un peu moins que le tiers en pagination – suit l’inexorable avancée des troupes britanniques vers Montréal et la désintégration de l’armée de Lévis, dans un climat de violence gommé des manuels d’histoire actuels.
Aux yeux des derniers dirigeants de la Nouvelle-France, la défaite des plaines d’Abraham ne scelle pas l’issue de la colonie. Dans un premier temps, le gouverneur Vaudreuil vise à reprendre la capitale en attendant l’arrivée des renforts français. Parallèlement, il envoie à Versailles le capitaine d’artillerie Le Mercier afin de demander du secours. Le Mercier avait confié à Bourlamaque – et on peut penser que son point de vue était partagé – que son défi était rude en raison d’une mission similaire effectuée une année plus tôt par Bougainville. Le futur explorateur de l’Océanie avait caractérisé la situation militaire de la Nouvelle-France comme étant désespérée ce qui, selon Le Mercier, l’avait fait revenir les mains vides.
La dernière tentative diplomatique de Vaudreuil en France ne sera évidemment pas couronnée de succès, Versailles choisissant de consacrer ses ressources à la défense des colonies sucrières antillaises génératrices de revenus. Selon MacLeod, au lieu de demander à Versailles ce qui était « désirable », les autorités de la Nouvelle-France auraient dû ne requérir que le « nécessaire », à savoir une douzaine de canons de gros calibre et des munitions en vue de reprendre la capitale. Car en 1760, Québec pouvait, en effet, être reprise avec relativement peu de moyens militaires.
Situées à l’intérieur des murs de Québec, les forces britanniques sont aux prises avec la maladie et le scorbut. D’octobre 1759 à avril 1760, quelque 667 soldats britanniques en meurent, près de dix fois moins les pertes (71) subies lors de la bataille des Plaines d’Abraham. En revanche, l’occupant dispose d’un grand pouvoir : la distribution de nourriture comme monnaie d’échange avec les habitants affamés de Québec et de sa région pour l’obtention d’informations sur les mouvements de troupes françaises. Ce qui a marché, constate l’auteur, ajoutant qu’il en a toujours été ainsi dans des situations similaires à travers les âges. Toutefois, Macleod aurait pu mieux décrire l’ambiance de l’époque. Dans un précédent livre portant sur la bataille des plaines d’Abraham, Macleod avait notamment signalé que des boulets aux dimensions de l’artillerie française – et uniquement ceux de dimensions de l’artillerie française – avaient été subtilisés à l’intérieur des remparts, au nez des troupes de James Murray, pour être utilisés lors de la bataille de Sainte-Foy. Dans ce livre-ci, MacLeod ne retient que les essais infructueux de Vaudreuil d’infiltrer Québec afin d’incendier les dépôts d’armes ennemis.
L’auteur souligne que Lévis a rapidement tiré les leçons de la défaite des plaines d’Abraham. Lors de cet événement, les miliciens canadiens s’étaient bien battus, obligeant le général Wolfe à leur opposer trois bataillons. Macleod rappelle les mots de l’officier français Malartic : les miliciens savaient tirer et avaient infligé de lourdes pertes à l’ennemi. Afin de maximiser leur impact, Lévis les rassemble à l’intérieur de compagnies rattachées à des bataillons de l’armée régulière. Rappelons que, mis à part la ville de Québec, les soldats de l’armée française n’avaient pas de casernes et devaient loger chez les habitants et les citadins. Lévis répartira les miliciens selon leurs lieux d’habitation, par paroisse, auprès des bataillons avec lesquels ils étaient devenus familiers pour avoir côtoyé leurs soldats dans la vie de tous les jours.
La bataille de Sainte-Foy mettra aux prises 4 400 soldats britanniques face à 2 750 miliciens canadiens, 3 950 soldats français et 270 guerriers autochtones. Le désavantage numérique britannique est compensé par son écrasante supériorité en artillerie et par le choix du terrain de bataille.
Selon MacLeod, les amateurs d’histoire militaire auraient intérêt à mieux connaître cet épisode en raison de son importance dans la tactique d’assaut. « Tombée dans l’oubli, la charge de Lévis devrait être aussi connue que celle de Montcalm sur les plaines d’Abraham ou celle de l’avancée canadienne lors de la bataille de la crête de Vimy en 1917 », soutient-il. Cette victoire serait même, d’après lui, la plus « remarquable » de toute la guerre de Conquête, car c’est la seule où le perdant ne se précipite pas de lui-même dans la défaite par une mauvaise décision comme le fit Montcalm en abandonnant une position défensive forte.
Au final, cette bataille entraînera la mort de 266 Français, Canadiens et Autochtones et fera 733 blessés. Les Britanniques encaissèrent la perte de 292 soldats et de 837 blessés.
Après la bataille et la victoire française, les troupes de Lévis affamées et épuisées s’arrêtent aux portes de Québec et se préparent à en faire le siège.
Les Britanniques avaient confisqué leurs fusils, mais plusieurs Canadiens des environs participeront aux travaux de terrassement. Des gens de Beauport, qui avaient caché des munitions de l’armée française, remettent aux troupes de Lévis près de 1 000 livres de poudre et 1 500 boulets de canon. Chaque nuit, environ 80 guerriers autochtones montent la garde. Toutefois, l’arrivée des premiers vaisseaux de guerre britannique le 9 mai met fin au rêve de reconquête armée. En l’espace de quelques jours, la milice commence à se défaire et les troupes entreprennent leur retraite vers Montréal.
En juin, la couronne française répudie sa dette de guerre. Lévis, Vaudreuil et Bigot en seront réduits à garantir, en leurs noms propres, les achats de nourriture pour l’armée et les miliciens.
Parallèlement, James Murray entreprend le « démantèlement de la Nouvelle-France paroisse par paroisse, en désarmant et en neutralisant la milice ». Ses troupes peuvent se heurter à de la résistance armée comme à Batiscan. Mais le plus souvent, les responsables de milices remettent les armes comme à Gentilly, Bécancour et Berthier. À Sorel, les troupes britanniques pillent tout ce qu’elles trouvent. Le mouvement de défection milicienne s’accélère rapidement. En août, les forces de Lévis ne comptent pas plus de 400 miliciens. Afin d’accélérer leur désintégration, des militaires britanniques recourent à la terreur. Des viols ont lieu à Varennes. Le lendemain, l’armée britannique libère une vingtaine de prisonniers canadiens en leur remettant un document qui spécifie que la résistance armée entraînera la déportation des Canadiens en Europe. Détail ultime qui nous éloigne de la fable persistante sur la « libération » de la Nouvelle-France : ces paroles de Murray selon lesquelles « il n’est pas nécessaire » d’aider les habitants dans leurs récoltes tant que les futurs traités de paix ne seront pas signés, quelque part en Europe. Comme l’écrivait François-Xavier Garneau, Voltaire célébra le triomphe des Anglais par un banquet, une pièce de théâtre et un feu d’artifice au son d’une musique guerrière. « Spectacle étrange et sinistre », disait Garneau, que le livre de MacLeod rend plus amer par l’évocation de la douleur partagée d’un peuple ayant tout donné.
Sans avoir la profondeur documentaire de ses précédents livres, dont l’impeccable La vérité sur la bataille des plaines d’Abraham, ce livre vaut son temps de lecture et attend son traducteur.