Éditorial – La spirale folklorisante

2022juin250

Il y en a encore pour s’étonner. La loi 96 a déclenché une autre tempête de fiel. Et ce n’est pas fini. Le racisme anti-Québec est non seulement autorisé au Canada, il fait bon chic bon genre, surtout parmi l’élite soi-disant éclairée, imbue de supériorité morale et de suprémacisme multiculturel.

Mais il s’en trouve encore plus pour faire le gros dos ou, carrément, ne pas même savoir ce que peut radoter le Canada. Le Québec a l’habitude du mépris. Nous avions presque fini par penser qu’il n’aura eu qu’un temps. Nous sommes si prompts à céder aux sirènes de la candeur.

François Legault s’est encore surpassé en matière de superlatifs compensatoires. Il fait des crisettes pour quémander du respect ! Faut-il être déconnecté de son propre honneur ! Le nationalisme de sa rhétorique l’éloigne des exigences de son propre poste. Et lui commande de se payer de mots au point d’en ignorer ce que c’est que l’orgueil. Comme aux beaux jours de la survivance résignée.

Il ne voit plus que la vie en bleu. Les maisons bleues, la fierté en bleu, les récits scolaires en bleu et la prospérité dans cette teinte si chère à son œil, le bleu ontarien… Le chef caquiste ne se rend pas compte de la posture qu’il tient. L’ancien séparatiste qui n’a rien compris de ce que cela aurait dû exiger de lui n’a pas seulement viré capot, il se fait le porte-étendard de la dépendance. C’est le rattrapage ontarien qui l’inspire, ce sont les statistiques ontariennes qui le font vibrer. Son projet de société : se voir dans le regard des autres en cultivant les fleurs de rhétorique. Il veut tellement être fier…

Les grosses jobs, comme à Toronto ! Tel devrait être son slogan. Ses communicateux lui éviteront un aveu aussi grossier. Il a déjà commencé à tester ce qui lui permettra de paraître jouer les redresseurs de torts. L’immigration ! Il veut le contrôle de l’immigration ! C’est d’une indigence politique incommensurable. C’est ne rien comprendre de ce que c’est un État. C’est ne rien comprendre de la place que la politique d’immigration tient dans la doctrine d’État canadian. Mais qu’à cela ne tienne ! Il réclamera, il fera même le mononc’ fâché. Pour la galerie. Pour solidifier le déni.

Le Canada, aussi bien les élites de sa société civile que la machine de l’État, ce Canada des Trudeau n’a d’horizon que d’en finir avec le Québec. Et ce n’est même plus poursuivi sournoisement. Le mépris est désormais la norme quand Ottawa s’avise d’envoyer paître le gouvernement du Québec. Plus aucune règle ne tient, à commencer par celle de la bienséance, dès lors qu’il s’agit de tout mettre en œuvre pour normaliser la province, c’est-à-dire la noyer sur le plan démographique, l’encarcaner dans les normes « nationales » et la saboter sur le plan culturel. Sous l’œil torve des « francophones » en limousine ou en arrière-ban.

Trop de Québécois l’ignorent, mais la folklorisation est une terrible mécanique. D’un côté, elle renforce les stéréotypes en évidant les symboles, en réifiant leur portée rassembleuse en les retirant de la vie pour en faire des artefacts inertes. C’est ce que feront les Maisons bleues, qui brandiront la fierté comme des vendeurs de voitures d’occasion vantent la bonne affaire. De l’autre, elle nourrit les attitudes qui renforcent les aptitudes à se mettre à distance de soi-même pour se penser dans l’histoire. C’est le volet politique de la chose. Peu importe la poutine, la ceinture fléchée et les sympathiques bourgades des régions tenues pour des refuges de mal dégrossis., la politique devient simagrées pour consommation locale. La gouverne de la CAQ est un efficace lubrifiant sur la spirale folklorisante.

Une politique déconnectée du contexte réel du rapport des forces et de la logique de la domination, une politique de la joue tendue et de l’éternelle minimisation des pertes, voilà ce qui attend le Québec à l’aube de la campagne électorale et d’un autre mandat pour consentir à se laisser dépouiller, à se laisser éjecter de sa trajectoire, à se laisser déposséder de près de cinq siècles d’institutionnalisation.

La loi 96 n’est qu’une demi-mesure et un prix de consolation pour tenter de se convaincre que le Québec n’a pas baissé les bras. La loi 21 ne sera qu’un matériau de plus pour laisser se déployer la vindicte multiculturaliste. Le Canada s’apprête à lancer d’autres opérations pour avancer encore plus rapidement sur la voie de la neutralisation de la province honteuse. Il le fera avec une grossièreté dont le Globe and Mail n’aura jusqu’ici donné qu’un avant-goût.

Mais il pourra compter sur une phalange de bonimenteurs qui lui serviront, à Radio-Canada et dans les médias, de porteurs de catafalques. Les vertueux « francophones » n’en finiront plus de banaliser les « anecdotes malheureuses », de minimiser l’anglicisation, de légitimer le dualisme d’apartheid dans les structures institutionnelles. De jouer les prêcheurs de tolérance et les désamorceurs de bombes alarmistes. Ils seront bien utiles au brouillage idéologique et au sabotage de l’ordre symbolique. Après tout, ils se feront un devoir de nous ouvrir au monde, de poser au réalisme vertueux et de faire comme si le Canada ne broyait pas ce qui reste de capacité de faire ici société à part. Les puissances déréalisantes que sont devenus les médias servent d’ores et déjà de relais pour une aliénation politique qui fait le lit de la CAQ. Que de frissons dans les salles de rédaction pour prendre la pose du contrepouvoir ! À faire migrer le quatrième pouvoir dans l’arsenal de la cinquième colonne. À faire des manchettes pour nous séparer de nous-mêmes.

Rien de tel qu’une bonne chimère pour se donner l’impression de s’élever au-dessus de l’ordinaire. L’ordinaire de la soumission, de la médiocrité bleue, de la résignation bien-pensante. La campagne électorale qui vient donnera lieu à des prouesses d’insignifiance, au déploiement de prodigieux stratagèmes de fuite du réel pour construire la politique du déni essentielle à la démission collective. Mais le simulacre va fonctionner. Non sans mal cependant, chez ceux et celles qui refusent de se laisser déporter dans un univers où le Québec devient chaque jour plus exotique pour lui-même.

Le consentement à la minorisation s’accompagne fatalement d’une douleur sourde, celle du sentiment de s’éprouver étranger à soi-même. D’abord les insultes et l’autodénigrement, ensuite l’humiliation et puis la honte jusqu’au reniement, comme l’avait si bien décrit l’annexe du rapport de la commission Laurendeau-Dunton. La logique régressive est inhérente à notre encastrement dans ce régime mortifère. Une question nationale se résout où elle pourrit tout, sans épargner aucun destin.

Il faudra de puissantes ressources intérieures pour résister à la distillation du mépris de soi. Et trouver la force de tenir, d’inventer les moyens de reprendre l’initiative. De sortir du labyrinthe.

Il faudra profiter de l’été pour faire le plein de beauté des paysages, de la puissance d’élévation des œuvres et du réconfort des amitiés. L’automne qui vient se dressera comme une dure épreuve pour la volonté de durer. Pour la volonté de faire lever l’horizon. Il faudra se rappeler et se dire en serrant les dents que « Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver » (Miron)

 

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2022juin250

Il y en a encore pour s’étonner. La loi 96 a déclenché une autre tempête de fiel. Et ce n’est pas fini. Le racisme anti-Québec est non seulement autorisé au Canada, il fait bon chic bon genre, surtout parmi l’élite soi-disant éclairée, imbue de supériorité morale et de suprémacisme multiculturel.

Mais il s’en trouve encore plus pour faire le gros dos ou, carrément, ne pas même savoir ce que peut radoter le Canada. Le Québec a l’habitude du mépris. Nous avions presque fini par penser qu’il n’aura eu qu’un temps. Nous sommes si prompts à céder aux sirènes de la candeur.

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