Edmond Dziembowski. La Guerre de Sept Ans/Les Pitt

Edmond Dziembowski
La Guerre de Sept Ans, 1756-1763, Éditions du Septentrion, 2015, 680 pages

Edmond Dziembowski
Les Pitt. L’Angleterre face à la France, 1708-1806, Éditions du Septentrion, 2015, 600 pages

La guerre de Sept Ans, Frenchs and Indian Wars pour les Américains, Guerre de Conquête pour les Québécois, aura été qualifiée par Winston Churchill de première guerre mondiale de l’histoire. Amorcé par un incident de frontière aux confins de l’Ohio qui a vu la mort de l’officier Joseph Coulon de Villiers de Jumonville aux mains d’un détachement commandé par le Virginien Georges Washington, ce conflit purement colonial a fini par embraser l’Europe et s’est étendu sur quatre continents.

Cet ouvrage d’Edmond Dziembowski, professeur d’histoire à l’université de Franche-Comté qui a été couronné par un prix de l’Académie française, est paru après une étude sur les deux William Pitt, le père et le fils. (Ces deux ouvrages sont complémentaires pour qui s’intéresse à l’histoire des mutations politiques en France, en Angleterre et en Amérique suite à la guerre de Sept Ans.) L’historienne Sophie Imbeault, qui signe la présentation de La guerre de Sept Ans, énonce fort justement que le point de vue américanocentré des Québécois et la vision européenne des Français faisaient qu’il manquait une perspective globale de cette guerre. Le livre de M.Edmond Dziembowski est, selon l’éditeur, la première synthèse des multiples histoires européenne, américaine, québécoise et amérindienne. Il faut en effet inclure cette vision amérindienne dans cette œuvre synthèse, car l’auteur ne craint pas d’énoncer que le retrait des forces amérindiennes à la fin du conflit a pu faire basculer définitivement le rapport de force en faveur des Anglo-américains, l’autre facteur primordial étant l’importance secondaire que la France avait pu donner au conflit naval alors que l’Angleterre y avait mis des ressources démesurées. Outre les conséquences géopolitiques (la perte de l’empire colonial français et l’achèvement de la suprématie navale britannique), l’auteur aborde aussi le terrain des transformations des mentalités et des idéologies que cette guerre a pu provoquer. Connexion d’abord entre l’idéal démocratique des colons arrivés en Amérique avec les idées de la république de Cromwell et le renouveau du radicalisme patriote incarné par William Pitt. La chute de William Pitt ayant pu provoquer le ressac anti-britannique dans les treize colonies.

L’auteur s’attarde longuement sur ce processus particulier qui a permis à la Grande-Bretagne de mettre à genoux la France, la plus grande puissance militaire de son époque. En décembre 1756, porté par une vague populaire sans précédent, William Pitt, chef du parti whig entre au gouvernement avec le poste de secrétaire d’État du Département du Sud. Il ne faut pas s’arrêter au titre de secrétaire, car en fait William Pitt prenait en mains les affaires de la guerre. Le conflit en Amérique déshonorait alors les armes britanniques humiliées par la défaite de la Monongahéla. Les colonies américaines trainaient du pied et ne se mobilisaient que médiocrement, inquiètes de voir la Grande-Bretagne restreindre les pouvoirs de leurs assemblées coloniales en installant un commandement militaire qui les superposait. William Pitt renverse tout ça, redonne le pouvoir aux assemblées et remet les officiers coloniaux égaux en grade aux officiers de la métropole. Edmond Dziembowski explique que c’est une communauté de pensée issue des révolutions républicaines qui favorisait cette politique du leader patriote à l’endroit des colonies principalement peuplées d’immigrants républicains. À l’échelle stratégique, la méfiance de Pitt (par conséquent du peuple) à l’endroit des intérêts du roi Georges II dans le Hanovre, l’incite à refuser tout engagement en Europe autre que sous forme de subsides et de concentrer toutes les forces navales et militaires de la Grande-Bretagne dans les seules voies coloniale et maritime. Politiquement, William Pitt est porté par un immense mouvement patriotique qui arrivera à donner de puissants moyens à la Grande-Bretagne.

De l’autre côté de la Manche, la France suit un parcours radicalement différent. Les premières années de la guerre ont vu la France investir des forces à peu près égales, voire supérieures, dans le conflit colonial. Mais pour garantir sa sécurité en Europe, elle s’allie alors à l’Autriche croyant ainsi que les deux puissances continentales arriveront à imposer un équilibre européen. Se voyant menacé, Frédérick II de Prusse jette par-dessus bord son ancienne alliance avec la France et rejoint son ancien ennemi, la Grande-Bretagne. C’est le fameux renversement des Alliances qui, loin d’assurer la sécurité à la France, la plonge dans la guerre continentale qui est finalement déclenchée par Frédérick II de Prusse. Il décide d’envahir la Bohème par prévention, car il croit qu’il sera attaqué incessamment par la nouvelle alliance à laquelle se joint la Russie. Une série de défaites françaises oblige Louis XV et ses ministres à accorder de plus en plus de moyens à la guerre continentale ce qui fait que la Grande-Bretagne finit par avoir les coudées franches pour sa guerre coloniale.

En 1759, année de la prise de Québec, la France n’envoie presque plus de secours dans ses colonies, gardant ses ressources navales pour un projet d’invasion de l’Angleterre qui devrait d’un seul coup régler toutes les questions en litige avec la Grande-Bretagne. Malheureusement, c’est la Grande-Bretagne qui profitera de ce projet, la concentration des forces navales françaises nécessaires à cette invasion donnant l’occasion à la Royal Navy de détruire toute la flotte française d’un seul coup à la fameuse bataille de la Baie de Quiberon, aussi appelée bataille des Cardinaux. Presque toute la marine française est alors anéantie. Dès lors, on peut avancer que la France a définitivement perdu la guerre.

Mais alors commence une autre histoire, et c’est celle de la France patriote dont Edmond Dziembowski pourra attribuer l’impulsion à la bataille des Cardinaux. Il s’agit alors de reconstruire la flotte, mais la monarchie déconsidérée n’arrive plus à remplir les coffres par les voies régulières de financement. Aussi, encourageant les parlements et les villes à prendre le relais et, en cela, soutenant publicistes et propagandistes, le roi et son ministre Choiseul réussissent à faire construire la nouvelle flotte par ces mêmes parlements et villes contaminés par l’esprit patriotique qui semble avoir traversé la manche.

Il s’agit d’une considérable mutation politique où la monarchie française, pour relancer l’effort de guerre, n’avait plus d’autre choix que d’encourager un nouveau patriotisme basé non plus sur la fidélité au roi, mais sur l’avènement du citoyen responsable qui intervient désormais dans la sphère politique. À lire cet ouvrage, on serait tenté de renommer cette guerre, la guerre de toutes les révolutions. Le parcours du livre nous mène facilement à ce constat, les révolutions française et américaine sont filles de la guerre de Sept Ans. En développant sur la révolte de Pontiac qui a suivi la cession de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne, l’auteur introduit également dans les conséquences de la guerre de Sept Ans cet effacement commun de l’Amérique française et de l’Amérique autochtone qui désormais appartiennent au monde de la sujétion. Disons pour terminer que cette synthèse ouvre la porte à des champs de recherche pour le moins en jachère jusqu’ici. Elle risque d’être pour longtemps un ouvrage majeur de référence pour ce conflit qui a marqué notre destin national.

René Boulanger
Chroniqueur en histoire