Été 2007 – Et ses jolis yeux doux, doux, doux

2007CahiersJuin250La préparation, pour 2008, des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec est en train de tourner à la grimace. Ça n’a pas encore eu lieu que déjà ça empoisonne notre univers culturel. Ce cirque triste est tout le contraire de la célébration, sinon celle de la médiocrité. Ce qui se voit et s’annonce là vient redire la mesure de notre soumission et la puissance des forces d’occupation. Le Canada fait déjà sentir partout sa présence dans la vieille capitale, maintenant il confisque le sens de la commémoration du 400e, il en détourne les symboles, usurpe en somme l’événement pour mieux phagocyter notre identité et notre histoire. Le tout avec la complicité active d’une poignée de notables idéologiquement sûrs et prêts à tous les rapetissements provinciaux pourvu qu’on les déguise en singeries de la grandeur. Des fêtes bilingues, pavoisées aux couleurs de l’unifolié, sacrées par la Gouverneur général, au son des fanfares accueillant le gratin des provinciaux consentants au Club de la Garnison. Vive la Canadienne ! Et dire qu’il y a un an à peine, il s’en trouvait pour imaginer la proclamation d’indépendance sous les remparts de la vieille ville ! Pinçons-nous.

Le Canada squatte le Québec ; ses signaux brouillent nos ondes, parasitent nos voix, quand il ne les achètent pas. Les Fêtes de Québec sont d’avance dénaturées par son supposé « partenariat », privées de leur caractère nourricier, mobilisateur. Et il en est ainsi parce que la référence nationale, québécoise, y est oblitérée.

Au train où vont les choses, les activités du 400e auront lieu, mais pas la célébration. Car il en va de la commémoration comme du travail de la pensée dans la culture : sa fécondité tient à la libre disposition du sujet qui s’y donne, s’y réalise, s’y projette. Célébrer la mémoire nationale sous le contrôle consenti d’une nation autre est absurde, ubuesque. Le supposé « partenaire » outaouais usurpe la signification de l’événement et le repeint à ses couleurs. Il n’a précisément pas intérêt à ce que ça marche comme moment de conscience collective pour la nation québécoise. En cet anniversaire de ses propres origines, le Québec est désaimanté de lui-même, décentré, tiré hors de son assise. Aussi, dans la pièce burlesque en train de se jouer à Québec, on a l’air de vrais… ti-pitres. Comme quoi le projet de ces Cahiers de lecture qui est – nous le disions en éditorial du premier numéro –, de contribuer à « construire la référence québécoise » par la lecture commentée des essais, trouve un prolongement, et une confirmation, dans la lecture… des événements.

Nous ne sommes pas les seuls à le penser, si on en juge par le succès de cette nouvelle publication et l’accueil tonifiant réservé à son premier numéro. Véritable pied de nez aux diseurs de mauvaise aventure. Nombreux sont ceux qui sont venus en saluer le lancement. Par les abonnements, les ventes et le rapide élargissement du cercle de collaborateurs, les Cahiers ont d’ores et déjà franchi le seuil de la viabilité. Prouesse tout à l’honneur de son lectorat, de ses collaborateurs et de ses artisans. Et qui pose, en ce pays incertain, la dure exigence de durer. Le plus difficile n’est pas de faire un bon coup, nous disons-nous souvent à la blague, mais d’en faire plusieurs d’affilée. Nous croyons que ce numéro-ci est aussi un bon coup. Meilleur peut-être, plus affiné. Nous espérons qu’on en verra ici les signes. Notre vœu surtout est qu’on y perçoive la préoccupation constante d’interroger les œuvres avec l’esprit aussi affranchi que possible des sirènes de la désincarnation qui désamorcent la pensée nationale en bavardant sur les livres.

Certains intellectuels, qui font en fait de la projection, se plaignent de la soi-disant « crise de la culture québécoise ». Ils ne voient pas qu’elle est plutôt travaillée de l’extérieur, qu’elle vit dans des conditions d’adversité objectives qui la contestent dès qu’elle se nomme. La culture, au Québec, fait preuve d’une indéniable vitalité, dont témoignent sa créativité et son rayonnement, et notamment la richesse des essais qui s’y publient. Mais l’hégémonisme canadien lui dispute son essence et fait tout pour l’ajuster à la partition qu’il lui impose dans l’alléluia soi-disant multiculturel chanté sous sa direction. Le Canada confisque nos symboles, notre argent, nos institutions… Nos héros nationaux par exemple, tel le hockeyeur Maurice Richard, auquel il a récemment rendu hommage dans le seul but de le rebaptiser héros canado-canadien. Il tire de nos poches des impôts qu’il faut ensuite aller quêter dans sa main en jouant les déséquilibrés fiscaux. Les exemples ne manquent pas. Tout le système veut ça.

Notre culture, le Canada mène contre elle une guerre idéologique d’annexion. Il a réussi à instrumentaliser à cette fin les grands organes de presse. On sait que la concentration des médias pose aux démocraties modernes un problème grave, celui du contrôle de l’information par quelques magnats de l’économie. Au Québec, ce problème se double de l’exclusion du point de vue national dans les grands médias. Alors que la privatisation de la presse était historiquement synonyme de liberté d’information et de mise à distance de la censure d’État, elle se mue aujourd’hui en contrôle idéologique à la faveur de cette concentration. La mainmise de quelques grands propriétaires privés comme Gesca, Quebecor et CanWest sur nos médias de masse y signifie l’exclusive quasi totale du point de vue de l’État canadien, unitariste et hostile à l’autodétermination du Québec.

Il s’agit moins de censure ouverte que de l’efficace d’un système qui produit la déréalisation incessante de notre existence propre, une sorte de perpétuelle mise en porte-à-faux de nous-mêmes. Conditionnement de notre culture qui tend à la réduire à l’anecdotique ou, mieux, à la détourner en l’enfermant dans des catégories mentales qui façonnent insidieusement les perceptions et induisent le décentrement, déportent l’expérience nationale dans le flou minoritaire. En somme, une invisible régulation politique de notre espace culturel qui lui dénie toute dimension nationale fondatrice et intégratrice.

Nous faisons les Cahiers pour mieux lire les œuvres, pour mieux saisir le réel. Cela ne peut se faire sans saper les catégories du récit dans lesquelles la politique grand-canadienne et le cartel médiatique veulent nous enfermer. Nous lisons Québec là où la propagande fête la fondation du Canada.

Bonne Fête nationale !

Bon été !

Richard Gervais

Secrétaire de rédaction

Robert Laplante

Directeur