Printemps 2012 – L’art contre les lamentations

2012printemps250On avait déjà vu les artistes faire une balade en autobus à Ottawa pour tenter de faire comprendre aux élus tout ce qu’il y a de pervers dans le projet de loi C-11 qui vise à « moderniser » la Loi sur le droit d’auteur. Un clip au journal télévisé, quelques rapides extraits d’entrevues avec quelques-unes des « vedettes préférées » et puis… Et puis le carrousel médiatique a continué de tourner, et la Chambre des communes a continué de rester étrangère à ce que nous sommes comme à ce qui nous concerne. Et puis, sous la signature de Gaston Bellemare, président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), d’Aline Côté, présidente du comité du droit d’auteur et de Richard Prieur, directeur général, Le Devoir du samedi 10 mars publiait un texte d’une grande lassitude sur le droit d’auteur. « Il s’efface dans le confort et l’indifférence », déplorent-ils, ce droit d’auteur si crucial pour assurer l’intégrité des œuvres et la juste rémunération des créateurs.

C’est malheureux d’avoir à l’écrire, mais il se pourrait bien qu’ils aient raison. On en convient, le sujet est assez ardu, sa discussion terriblement technique et les pièges et périls que dresse le projet de loi ne sont pas toujours faciles à saisir pour les profanes. En gros, les enjeux tournent autour de l’impact des nouvelles technologies sur les conditions de diffusion des œuvres, sur la nécessité de produire de nouveaux outils réglementaires pour contrer le mésusage et s’assurer que les créateurs soient justement rémunérés. Sous prétexte de se soucier d’élargir l’accessibilité, le projet de loi procède en fait d’une philosophie de libéralisation qui ouvre toute grande la porte aux abus des marchands et diffuseurs qui pourront traiter les contenus comme une vulgaire matière première qui ne trouverait sa valeur que par les bons offices d’une intermédiation marchande sans entrave.

Le contenu important moins que le support et les canaux qui le diffusent, le droit d’auteur, dans ce projet de loi, non seulement se rétrécit, il est dénaturé par des artifices juridiques qui faciliteront les voies de contournement, en particulier pour les maisons d’enseignement. Il ne s’agit pas là d’avocasseries sans conséquence : des millions de dollars sont en jeu en ce qui concerne les revenus des créateurs. Pis encore, la nature même des œuvres est menacée, ne faisant d’elles qu’une vulgaire marchandise modelable et remodelable au gré des fantaisies marchandes susceptibles de rapporter.

On aurait pu s’attendre à ce que notre ministre de la culture monte au créneau pour mener la bataille. On aurait attendu d’elle qu’elle fasse le travail de sensibilisation et de pédagogie nécessaire pour que l’ensemble des citoyens saisisse bien ce que ce projet de loi aura de néfaste pour notre vie culturelle. Nous aurons eu droit à son habituelle molassonnerie et à une lettre que Le Devoir reproduit à la suite de celle des responsables de l’ANEL. Elle déplore, la dame. Elle plaide la reconnaissance de notre spécificité et se répand en lieux communs sur les bouts de précédents qui pourraient laisser attendre un peu de compréhension de la part d’Ottawa. Une misère. Une catastrophe que cette posture de quémandeuse.

Le projet de loi C-11 ne constitue qu’une pièce supplémentaire à la machinerie de broyage de notre identité et de réduction/normalisation de nos institutions. La voie canadian est mortifère pour notre dynamisme culturel. Ce projet de loi sera adopté, c’est certain. Nous sommes non seulement minorisés à jamais dans ce régime, nous y sommes quantité négligeable et les compromis qui pourraient éventuellement être arrachés, ne le seront jamais que parce qu’ils sont jugés acceptables et inoffensifs par une majorité que notre sort, au mieux, indiffère, au pire, agace et exaspère. Et ces compromis, si jamais ils sont faits, ne serviront qu’à brouiller encore davantage les perceptions de ce qui serait vraiment nécessaire pour qu’un arrangement institutionnel reflète adéquatement ce que nous sommes et voulons être.

Dans toute cette lamentable affaire, il y a aussi l’indolence de nos juristes à pointer du doigt. Le combat des créateurs aurait été mieux compris – et peut-être aurait-il mieux limité les dégâts – si le Barreau du Québec, les professeurs de droit et les avocats qui vivent dans l’orbite du monde de la culture et des communications avaient vraiment mené bataille. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils contribuent à mieux faire saisir la portée de ce projet de loi et les préjudices qu’il portera non seulement aux créateurs, mais aussi aux institutions et conceptions juridiques qui devraient normalement servir notre intérêt national. La bataille du droit d’auteur aura donc souffert du même esprit velléitaire que celui qui prévaut dans le reste de notre vie collective. Ce n’est plus, trop souvent, que sur le mode de la lamentation lasse que s’exprime notre point de vue sur la politique de ce Canada à laquelle trop de Québécois portent une attention distraite et sur laquelle ils jettent un regard d’étrangers mal informés.

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Il faudra bien un jour en revenir de tous ces consentements au rapetissement. Il faudra bien un jour s’arracher à ce statut de minoritaire à perpétuité. Et cela se fera parce que le travail de création l’exige. Rien d’authentique ne peut naître du reniement de soi. La mémoire, en art comme dans toutes les autres dimensions de la vie culturelle, remplit un rôle essentiel : c’est parce qu’elle peut être mise en procès – au double sens de l’expression – que peut s’inventer l’avenir qui n’est, somme toute, que la mise en œuvre du sens de ce qui nous a portés pour donner de la signification aux trajets que nous voulons inventer.

À la veille d’un printemps incertain, il n’y avait pas meilleur moyen de sortir de l’hiver morveux qui est encore le nôtre que de relire certains parcours de l’art et des artistes qui ont contribué à nous faire tels que nous pourrions encore nous dépasser. On trouvera donc dans ce numéro de quoi se nourrir de la vie et des œuvres de créateurs qui continuent d’élargir nos horizons. Et nous ne bouderons pas notre plaisir en vous offrant aussi quelques extraits du scénario inédit à paraître d’un grand cinéaste : Pierre Falardeau.