L’audace des commencements

gabouryriel250Discours prononcé à l’occasion de l’inauguration à Maskinongé du mémorial dédié à Marie-Anne Gaboury et Louis Riel le 14 novembre 2015.

Nous sommes ici dans un lieu d’exception. Un lieu de commencement. C’est un privilège qui n’est pas donné à tous les peuples que de pouvoir fouler le sol où la mémoire peut rejoindre les origines.

gabouryriel250Discours prononcé à l’occasion de l’inauguration à Maskinongé du mémorial dédié à Marie-Anne Gaboury et Louis Riel le 14 novembre 2015.

Nous sommes ici dans un lieu d’exception. Un lieu de commencement. C’est un privilège qui n’est pas donné à tous les peuples que de pouvoir fouler le sol où la mémoire peut rejoindre les origines.

Ici à Maskinongé, dans le jeune pays de la Neuve France, une femme s’est lancée dans son destin, portée par une indicible soif de liberté et d’aventure. Celui qu’elle avait choisi pour compagnon de vie, Jean-Baptiste Lagimodière, ne pouvait avoir de prénom plus symbolique : Jean-Baptiste, la figure biblique du précurseur, celui qui vient avant.

Ce coureur des bois, l’homme des Pays-d’en-Haut, n’incarnait-il pas la figure même de ces découvreurs, comme il y en a eu tant, à qui nous devons l’Amérique française et tout ce que le continent peut avoir donné de rêves fous et d’ambitions démesurées ? Il devait bien se douter un peu, le Jean-Baptiste, que sa Marie-Anne était tout aussi capable que lui d’ouvrir des voies, de dompter des rapides, de vaincre des portages et de défier l’horizon.

Elle aura été la première à partager l’aventure et les misères des voyageurs. La première de son peuple à fouler les Plaines, à trimer avec son homme, et bien souvent seule à entreprendre ce qu’il fallait pour faire pays. Marie-Anne Gaboury a donné dix enfants à l’Amérique française, contribué à faire naître des villages, à faire sonner dans l’immensité les accents de la langue de ses pères et mères.

Ce sont deux grandes figures que le mémorial célèbre. Celle d’une femme et de sa descendance, certes, mais aussi, et surtout, celle de la grande intention qui, de plus loin qu’elle, a porté son aventure. Son petit-fils Louis Riel, le grand héros métis, n’aura-t-il pas représenté ce qu’il y avait de plus généreux, de plus noble et de la plus haute ambition de civilisation dans le projet de Champlain ? Car c’est bien de lui qu’il est question dès lors qu’on cherche le sens profond de la quête de ces deux êtres exceptionnels.

« Nos fils épouseront vos filles. Nous formerons ensemble une seule et même nation » avait proposé Champlain aux Amérindiens en fondant Québec. Il faut le redire, les figures que nous célébrons aujourd’hui témoignent d’une originalité absolue : la rencontre des deux mondes, celui de l’Amérique indigène et de l’Europe en expansion a été placée sous le signe d’un humanisme qui n’avait d’équivalent nulle part dans les colonies du Nouveau Monde. C’est un héritage dont nous pouvons toujours tirer fierté.

L’esprit de Champlain a profondément marqué les attitudes et les valeurs du peuple du Saint-Laurent, des valeurs de respect et d’ouverture qui ont permis des rapprochements et des échanges qui témoignaient d’une convivialité unique dans l’Histoire du Nouveau Monde. L’aventure de Marie-Anne Gaboury qui s’est prolongée dans celle de Louis Riel, c’est celle d’une synthèse inédite qui a donné naissance à la nation métisse, au peuple Bois-Brûlé.

Retracer la vie de l’aventurière de Maskinongé, c’est refaire un des parcours qui ont non seulement relié des villages, mais encore et surtout permis de faire émerger une intention créatrice, un projet de civilisation. Le peuple du Saint-Laurent et les Indiens des Plaines non seulement se respectaient, ils avaient une attirance et des sympathies mutuelles qui avaient commencé à donner au Manitoba d’abord, aux restes des Plaines ensuite, un ferment de société qui aurait pu faire naître une civilisation nouvelle.

Louis Riel a consacré sa vie à tenter de réunir les conditions de succès de sa nation émergente. Les forces historiques et les intérêts mortifères qui ont fini par triompher l’auront conduit, lui, au gibet, et son peuple aux marges d’une société qui leur a refusé le droit de vivre dans leurs appartenances. Refoulé dans le non-dit dans le pays même que leur rêve le plus ambitieux avait fait entrevoir, le peuple métis n’aura trouvé que misère, injustice et persécution dans le destin que lui a façonné le Canada.

La nation des Bois-Brûlé aurait pu donner un tout autre visage à l’Amérique et au monde. Le Dominion naissant n’en a pas voulu. Et du coup, c’est la diversité humaine qui s’en est trouvée appauvrie. Pour ce peuple nié, la tragédie a heureusement cessé d’être silencieuse. Il faut se réjouir de voir les descendants de Marie-Anne Gaboury et de Louis Riel redresser l’échine et entreprendre d’imaginer un autre cours de l’histoire à faire. Là-bas, à la rivière Rouge comme ici à Maskinongé, résonnent encore les possibles de ce qui aurait pu advenir. Le mémorial en donne un écho qu’on doit espérer puissant et régénérateur.

Les deux figures que nous célébrons ne seront jamais mieux honorées que par le talent que nous mettrons à tirer les enseignements de ce que ces personnages plus grands que nature ont vécu. Des enseignements qui nous permettront d’inventer l’avenir.

À notre tour d’avoir l’audace des commencements.

 

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