L’université franco-ontarienne : Des vœux pieux

Ancien journaliste et éditorialiste au journal Le Droit

La ville d’Ottawa avait connu un janvier chaud en 1916. Quatre ans plus tôt, le gouvernement conservateur provincial de Sir James Whitney avait adopté le « Règlement 17 », ayant pour effet d’interdire l’enseignement en français après la deuxième année du primaire dans les écoles franco-ontariennes, et la lutte entreprise par les collectivités canadiennes-françaises pour protéger leur langue et leur culture touchait à son paroxysme.

Dans la basse-ville largement francophone, un quartier ouvrier pris en étau entre la rivière Rideau et la colline parlementaire, l’école Guigues était devenue un foyer de résistance où les « demoiselles Desloges » (deux sœurs) persistaient à instruire leurs élèves en français. Menacées par les autorités scolaires, elles étaient protégées par des femmes qui tenaient la police à distance avec des épingles à chapeaux…

Le quotidien Le Droit, fondé entre autres pour combattre le Règlement 17, rapportait dans son édition d’après-midi du 7 janvier 1916 les manœuvres policières infructueuses pour tenter d’évincer les institutrices et leurs protectrices :

Il y eut bientôt plus que 25 policiers, mais tout fut inutile. […] Les demoiselles Desloges ont été placées dans leurs classes et toutes les violences des policiers ont été reçues par des violences. Un officier de police qui a tenté de saisir une femme a reçu quelques coups qui l’ont convaincu qu’il était mieux pour lui de s’en aller. C’est ce qu’il a fait et tous les autres aussi.

Le Droit annonce aussi que des commissaires scolaires francophones, dont Samuel Genest, président de la commission scolaire et grand leader franco-ontarien, se sont rendus à l’école Guigues pour « remercier les parents de leur fière attitude et les ont encouragés à continuer la lutte jusqu’au triomphe final ».

La lutte continue…

Cent ans plus tard, en février 2016, la lutte se poursuit, même si le « triomphe final » qu’espéraient les arrière-grand-mères de l’école Guigues a été atteint et dépassé depuis longtemps. Ce 18 février, en effet, quelque 200 étudiants et d’étudiantes francophones manifestaient devant la législature ontarienne à Toronto pour appuyer leur demande – demeurée sans réponse depuis trois ans – de créer enfin une université franco-ontarienne.

Quelques jours plus tard, le 22 février, dans un geste inédit en Ontario, la première ministre Kathleen Wynne se levait à l’Assemblée législative pour s’excuser officiellement des torts faits aux francophones de sa province par le Règlement 17, qui était resté en vigueur une quinzaine d’années (1912-1927) avant de « disparaître » mystérieusement en 1944. Cependant, les séquelles de cette tentative d’ethnocide ont marqué les milieux scolaires de l’Ontario français jusqu’à aujourd’hui.

La marmite a commencé à sauter dans les années 1960. Dans le bouillant chaudron des crises politiques émanant de la Révolution tranquille québécoise et des travaux de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme [ndlr: aussi appelée Commission BB], les pressions s’étaient fortement intensifiées pour qu’on accorde aux minorités francophones hors Québec des avantages similaires à ceux dont avaient toujours joui les Anglo-Québécois.

Ce n’est pas le fruit du hasard si le gouvernement de John Robarts, à l’époque d’Égalité ou indépendance de Daniel Johnson, a permis aux Franco-Ontariens de se donner, à compter de 1967-68, un réseau complet d’écoles primaires et secondaires de langue française (et non « bilingues » comme on les appelait jusque là). Le palier collégial suivrait à l’aube des années 1990 au moment où la Cour suprême du Canada, s’extirpant d’un bourbier de batailles juridiques autour de l’article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, accordait aux minorités francophones un droit de gouvernance sur leurs réseaux scolaires primaires et secondaires.

Mais il restait l’universitaire, dont on avait sans doute trop longtemps sous-estimé l’importance en Ontario français, principalement à cause de l’existence de programmes substantiels en français dans des institutions bilingues – l’Université d’Ottawa d’abord (la plus ancienne, remontant à 1847), puis l’Université Laurentienne à Sudbury et le Collège Glendon à Toronto, ainsi qu’à la petite –, mais très francophone – Université de Hearst.

Cette dernière, située dans le Nord ontarien au sommet de la route 11, au nord-ouest de l’Abitibi, constitue un acquis, mais ne règle pas le problème. Le recteur de l’institution, Pierre Ouellette, l’écrivait lui-même dans une lettre ouverte publiée par Le Droit en octobre 2014 : « Si elle [l’Université de Hearst] est la seule université de langue française en province, elle n’est pas pour autant “ l’Université de l’Ontario français ” que plusieurs clament haut et fort. Et elle ne souhaite pas nécessairement le devenir. »

La Commission BB

Un observateur de l’extérieur pourrait fort bien se demander pourquoi cette question d’une université de langue française n’est pas réglée depuis des décennies. La Commission BB soulignait déjà l’importance de l’enjeu dans son rapport de 1968. Ayant examiné les données disponibles pour une partie du Nord ontarien et les rives de l’Outaouais (Ontario et Québec), les commissaires concluaient :

La population étudiante de cette zone justifierait aisément, soit la création d’une université entièrement francophone, soit au moins un élargissement considérable de l’éventail des cours que l’Université d’Ottawa dispense aujourd’hui en français.

Entre-temps, les Acadiens avaient mis au monde leur Université de Moncton bien à eux. Fondée en 1963, elle s’était affirmée comme l’une des pièces maîtresses de l’édifice culturel acadien. Un quart de siècle plus tard, en 1989, Fernand Arseneault, doyen de la faculté des arts à Moncton, avait déclaré que cette université était :

[…] l’institution acadienne qui avait probablement le plus contribué au développement culturel, social, politique et économique des provinces maritimes et qui a donné aux Acadiens une fierté, un sens de l’identité et une confiance face à l’avenir.

À la fin des années 1960, les Franco-Ontariens n’avaient toujours pas d’institution universitaire à leur image au sommet de la pyramide éducative, et l’idée d’une université française à la fois ontarienne et québécoise n’avait guère suscité d’intérêt. Les étudiants francophones demeuraient majoritaires, faiblement, à l’Université d’Ottawa, mais la part francophone de l’effectif étudiant chuterait de 51 % en 1968 à 31 % à 2005 (c’est relativement stable depuis 10 ans). L’Université Laurentienne, à Sudbury, a connu une évolution similaire. L’offre de services en français s’est accrue, mais le milieu universitaire s’est fortement anglicisé dans les deux grandes institutions bilingues de l’Ontario.

En 1969-1970, l’Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l’Ontario français (APMJOF) et l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) ont profité des travaux du Groupe de travail sur le bilinguisme à l’Université d’Ottawa pour enfin réclamer une francisation totale de l’institution ottavienne, qui attire depuis toujours la majorité des étudiants franco-ontariens au palier universitaire. Il y avait eu une certaine agitation linguistique sur le campus depuis quelques années, notamment à la faculté des Sciences sociales, et l’impression, c’était qu’il fallait agir vite, avant qu’il ne soit trop tard.

Un dû, un droit…

Le mémoire de l’ACFO étalait clairement, le 3 avril 1970, un argumentaire qui reste au cœur du débat en 2016 :

Aujourd’hui, les francophones de l’Ontario veulent une université française bien à eux. Cela ne leur semble ni un caprice, ni une demande injustifiée, mais un dû, un droit. […] Pourquoi une minorité qui a besoin de toutes ses énergies pour survivre et vivre, devrait-elle se payer le luxe d’une université bilingue dont le coût serait peut-être une assimilation lente, mais certaine ? À moins de posséder intégralement son institution de haut savoir, le groupe francophone fortement minoritaire ne peut absolument pas se développer normalement dans un environnement anglophone.

Évidemment, faute de mobilisation suffisante et en l’absence totale d’une volonté de s’écarter de la mission bilingue au sein de l’administration universitaire, le projet des mouvements de jeunes franco-ontariens et de l’ACFO échoua. Ainsi, une quinzaine d’années plus tard, en mai 1985, quand fut convoqué un grand colloque pancanadien sur l’enseignement postsecondaire en langue française à l’extérieur du Québec, l’Ontario français se retrouvait encore devant un mur infranchissable.

La Fédération des étudiants de l’Université d’Ottawa et la Fédération des étudiants de l’Ontario avaient à l’époque le même président : Bernard Drainville (oui, le même !), aujourd’hui député du Parti québécois. Dans un document préparé pour le colloque, il faisait le point sur le sort des Franco-Ontariens :

Dans les universités, dans les collèges, et dans toutes les régions de la province, la disponibilité des programmes en langue française est inadéquate. Il est impardonnable de chercher à légitimer la situation actuelle en disant qu’elle représente un pas en avant par rapport à la situation d’il y a 15 ans. Nous avons toujours à réparer une injustice qui remonte aux époques révolues.

Avec l’amorce, dans les années 1980, des contestations judiciaires en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (conçue en partie pour protéger les Anglo-Québécois de la Loi 101, mais vite détournée par les francophones hors Québec à leur avantage), le concept de « gouvernance » était la saveur du jour – et le demeure 30 ans plus tard. On ne parlait pas d’université de langue française, mais de créer un « réseau postsecondaire francophone » regroupant les institutions bilingues et Hearst, dont le bureau des gouverneurs veillerait à l’implantation de nouveaux programmes universitaires en français. Nouvel échec.

Un espoir déçu

En 1990, dix anciens présidents de l’Association canadienne-française de l’Ontario ont adressé une lettre au premier ministre libéral David Peterson, « demandant une charte pour créer l’Université de l’Ontario, une université de langue française ». Le chef libéral est aussitôt défait aux élections, mais l’espoir reste, car le nouveau premier ministre, le néo-démocrate (à l’époque), Bob Rae, avait pris position en faveur de la mise sur pied d’une université franco-ontarienne. Il ne donnera pas suite à sa promesse, bien sûr…

Rollande Faucher, ancienne présidente du Conseil de l’éducation et de la formation franco-ontarienne et de l’ACFO, compte parmi les personnalités les plus respectées de l’Ontario français, honorée dans sa province comme au Québec (notamment par la Société Saint-Jean-Baptiste). En 1998, participant au colloque L’université et la francophonie organisé par le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l’Université d’Ottawa, elle propose une vibrante défense du projet d’université de langue française :

Je fais un plaidoyer pour une culture universitaire française pleine et entière en Ontario, affirmant par là son absence dans les universités bilingues de la province. J’affirme comme corolaire à ce plaidoyer qu’une société moderne ne peut se passer d’une telle culture qui lui soit entièrement dédiée, que son absence brime son développement ; comme conséquence, que l’absence d’une culture universitaire française pleine et entière en Ontario retarde le développement de la communauté franco-ontarienne.

Elle admet, bien sûr, l’existence de « lieux privilégiés dédiés à la francophonie » dans les universités bilingues (le CRCCF à Ottawa, l’Institut franco-ontarien à Sudbury), mais combien de projets francophones n’ont-ils pas vu le jour parce que ces institutions étaient trop occupées avec leurs structures de gestion du bilinguisme (conseils, comités, etc.) ? « Refuser de reconnaître cette lacune, c’est d’être aveugle face à un système déficitaire qui perpétue la discrimination systémique contre les francophones en Ontario », ajoute-t-elle.

En dépit de l’accumulation de colloques, de conférences et de texte savants démontrant noir sur blanc les défauts des universités bilingues et les bienfaits espérés d’un réseau universitaire de langue française, le débat reste confiné aux élites intellectuelles et aux militants d’organisations franco-ontariennes. Quand le gouvernement Harris a voulu transformer l’hôpital Montfort en institution bilingue en 1997, le public, les chefs politiques, le pays francophone tout entier est monté aux barricades. Mais descendre dans la rue pour une université franco-ontarienne ne suscite à peu près aucun remous politique ou public en ce début de 21e siècle…

Un virage historique ?

Il se produit cependant un événement majeur en 2005 – l’élection du gouvernement McGuinty – qui, en changeant le décor à Queen’s Park, a attisé quelques braises çà et là. Le discours du Trône n’était pas tombé dans l’oreille de sourds. J’avais eu à le commenter comme éditorialiste au Droit : « Plus de 90 ans après avoir adopté le Règlement 17, qui bannissait le français comme langue de communication dans les écoles, le gouvernement ontarien vient de s’engager à promouvoir la culture française [et] à freiner l’assimilation », écrivais-je. C’est ce même gouvernement, sous la direction de Mme Wynne cette fois, qui présenterait des excuses officielles pour le Règlement 17 onze années plus tard.

Il ne manquait que l’étincelle qui rallumerait les flammes militantes, et l’une de ces étincelles a jailli d’un endroit des plus improbables : le ministère fédéral du Patrimoine canadien, qui publia en août 2011 un excellent rapport, École et autonomie culturelle. Enquête pancanadienne en milieu scolaire minoritaire. C’était le document idéal pour relancer les échanges sur la création d’une structure universitaire de langue française en Ontario.

« L’école, pouvait-on y lire, est une institution essentielle, même si, à elle seule, elle ne peut garantir ni la vitalité ni la pérennité (d’un) groupe. Nous osons dire qu’elle est le pilier de l’autonomie culturelle. » Mais pas n’importe quelle école : il est « indispensable » que « l’éducation tout au long de la vie » soit assurée dans des institutions gérées par les francophones eux-mêmes. Or, cela incluait l’université. Et j’avais lancé au public franco-ontarien l’éternelle question, en page éditoriale du Droit : « Existe-t-il une volonté ? »

Il semble que la réponse ait été « oui », cette fois. En 2009, un nouvel organisme étudiant avait vu le jour : le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), se voulant porte-parole officiel des quelque 22 000 étudiantes et étudiants franco-ontariens au collégial et à l’universitaire. Environ 16 000 fréquentent les universités bilingues et l’Université de Hearst, dont autour de 13 000 à la seule Université d’Ottawa (sur un total de 43 000 étudiants à l’université bilingue de la capitale canadienne).

L’heure du RÉFO !

Dès septembre 2012, à sa troisième assemblée générale, tenue à l’Université d’Ottawa justement, le RÉFO a demandé à ses troupes de se pencher sur un modèle de « gouvernance francophone » à l’universitaire. La réponse vint très rapidement : ils voulaient devenir « maîtres chez eux ». « C’est le seul moyen, selon l’article du Droit, de stopper leur assimilation galopante à la majorité anglophone ». Le fruit était mûr, écrivait le journaliste Guillaume St-Pierre : « les francophones de l’Ontario méritent leur propre université ».

Confronté au fait que près de la moitié des étudiantes et étudiants franco-ontariens poursuivaient leurs études postsecondaires en langue anglaise, le RÉFO était conscient de l’urgence d’agir (c’était déjà urgent 40 ans auparavant…) et du besoin de présenter un projet sérieux pour avoir la moindre chance d’aboutir. Même avec le projet idéal et un plan d’action parfait, rien ne garantit le succès auprès de la classe politique ontarienne… surtout que les universités bilingues veillent au grain. Dans une guerre d’usure à long terme, les étudiants n’auraient aucune chance contre les vieux rusés d’Ottawa et de Sudbury et leurs alliances politiques.

Mais ils pouvaient invoquer cette promesse du gouvernement libéral de devenir – enfin – un allié des francophones et non un persécuteur. La première réaction, celle du ministre des Collèges et Universités, Glen Murray, est encourageante. Il trouve l’idée d’une université de langue française « logique » et « intéressante », note le journaliste du Droit, Philippe Orfali, dans l’édition du 3 novembre 2012. « Les autres communautés minoritaires du pays disposent de leurs universités, que ce soit Concordia (il aurait pu ajouter McGill et Bishop’s) au Québec, Saint-Boniface au Manitoba ou en Nouvelle-Écosse », poursuit le ministre.

L’année 2013 sera consacrée aux consultations et à consolider des alliances, notamment avec l’Assemblée de la Francophonie de l’Ontario (AFO) et avec la FESFO (les élèves du secondaire). De février à la fin de novembre, les dirigeants des trois organismes sillonneront tout l’Ontario – une province grande comme un pays – pour prendre le pouls de leurs membres avant d’organiser un grand sommet en 2014. Ils commenceront en même temps un dur apprentissage politique : d’abord, ne jamais se fier à la bonne volonté de Toronto. En mai 2013, quand ça compte (c.-à-d. au budget provincial) il n’y a pas d’argent pour le postsecondaire en français…

Toronto devient la cible…

Au beau milieu de leur tournée de consultations, fin octobre 2013, l’état-major du RÉFO apprend que le gouvernement provincial débloque à peine une quinzaine de millions de dollars pour bonifier l’offre de services en français… dans la région de Toronto ! Et une partie de l’enveloppe est destinée au collégial, ce qui laisse encore moins pour l’universitaire – principalement pour le Collège Glendon de l’Université York. Des fonds pour une institution bilingue sous la gouverne d’une écrasante majorité anglophone. Et surtout, pas question d’une université de langue française… Patience, ce n’est qu’un début…

Quand les consultations du RÉFO se terminent, l’unanimité s’est faite autour des graves lacunes de l’offre universitaire en français dans toutes les régions de l’Ontario, et sur le besoin d’assurer une « gouvernance francophone » des programmes universitaires de langue française. Le directeur général du RÉFO, Alain Dupuis, le confirme au journaliste Jean-François Dugas, du Droit, en septembre 2014 :

Les francophones n’ont pas le contrôle sur l’avenir de leur programmation universitaire et doivent se fier à la bonne volonté des institutions bilingues qu’ils ne gouvernent pas. C’est absolument essentiel d’avancer sur ce point-là.

Avec plus de 40 ans d’attente, un dossier solide et un riche bagage de rencontres après deux années sur la route, le RÉFO arrivait au point crucial de son aventure : le sommet provincial d’où émergeraient une stratégie envers le gouvernement et des demandes précises, préférablement avec un modèle d’université de langue française à privilégier. Peut-être à cause de l’inexpérience politique des étudiants ou parce qu’ils flairaient déjà les divisions dans leurs rangs, les membres du groupe dirigeant ont proposé quatre modèles d’université, sans exprimer de préférence toutefois, à l’occasion du Sommet d’octobre 2014.

L’université bilingue contre-attaque…

Alors qu’il aurait peut-être fallu se présenter en chefs de file et inviter les groupes étudiants à les suivre au combat, ils ont préféré « laisser la communauté identifier son option favorite ». On a senti, du moins dans les médias, une baisse de régime, un essoufflement, au moment même où la plus puissante des universités bilingues intensifiait, avec une rare arrogance, sa campagne contre le projet des étudiants. Dans une lettre ouverte aux médias, Allan Rock, le recteur de cette université qui n’avait même pas voulu hisser un drapeau franco-ontarien géant au cœur du campus pour ne pas offusquer les étudiants anglophones, écrit que les Franco-Ontariens ont droit à une université « qui sert leurs intérêts » et qu’ils l’ont déjà : « elle s’appelle l’Université d’Ottawa ! »

Et il a une puissante alliée, la ministre ontarienne des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, qui soutient que l’Université d’Ottawa dessert bien les francophones et qu’il faut concentrer les efforts dans la région torontoise, où l’offre est la plus déficiente, en faisant bien attention de ne pas nuire au monstre sacré bilingue d’Ottawa (et sans doute à celui de Sudbury). Quand le RÉFO et ses alliés, l’AFO et la FESFO, présentent finalement leur projet « officiel » en février 2015, ils n’ont qu’une demande « datée » – de créer un premier campus de l’université franco-ontarienne dans le centre-sud-ouest de la province (c.-à-d. Toronto) d’ici 2018… et Mme Meilleur trouve l’échéancier trop ambitieux. Ils apprendront par la suite que Queen’s Park ne bougera dans le dossier de l’université franco-ontarienne que s’il y a des sous dans les coffres provinciaux… « Une claque en pleine face ».

Les étudiants disent toujours tenir à se défaire des institutions bilingues, mais clairement ils n’attendent plus rien de ce gouvernement à cet égard. Pour le moment, les universités bilingues ont très nettement le dessus. Pire, budget après budget, les priorités vont ailleurs. Alors, en désespoir de cause, on en est rendu aux pancartes et aux manifestations, sans grand espoir immédiat. Avec le gouvernement Wynne, ça ressemble de plus en plus à un cul-de-sac pour l’essentiel du projet. S’excuser du Règlement 17 lui a valu des centaines (des milliers ?) d’injures haineuses à travers la province. Osera-t-on débloquer des centaines de millions (dus depuis longtemps) pour un vaste chantier universitaire franco-ontarien et faire savoir aux universités bilingues que la belle époque où les francophones s’y feront assimiler est presque révolue ? Poser la question c’est y répondre.

Des appuis extérieurs ?

Le RÉFO et alliés ont besoin d’appuyer sur l’accélérateur et rien n’indique, pour le moment, que les étudiants franco-ontariens soient disposés à se mobiliser. Des appuis extérieurs à la rescousse, peut-être ? Récemment, un professeur de l’Université Laurentienne, Joël Belliveau, a interpelé les recteurs des institutions bilingues et cassé le silence assourdissant qui émanait de la classe professorale franco-ontarienne (sauf rares exceptions). Y en aura-t-il d’autres comme lui sur la place publique ? Les profs ont suffisamment d’influence pour faire basculer une fraction appréciable de l’opinion.

Enfin, à un banquet de la francophonie dans l’Est ontarien, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s’est dite intéressée, en ce début d’avril 2016, à contribuer au financement du combat pour l’université franco-ontarienne. Une solidarité accrue, en provenance du Québec, mais aussi des autres environnements universitaires francophones de l’Acadie et de l’Ouest, pourrait contribuer à secouer la torpeur qui paralyse depuis des décennies ce dossier essentiel pour l’avenir de la collectivité franco-ontarienne.

Peut-être un jour, sait-on jamais, ne verra-t-on plus d’affiches bilingues du Mois de la francophonie sur le campus bilingue de l’Université d’Ottawa où l’anglais règne le plus souvent en maître incontesté… Une université « par » et « pour » l’Ontario français ? Le tunnel semble long, et la lumière au bout ?

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