La nation à l’épreuve de l’immigration

Guillaume Rousseau
La nation à l’épreuve de l’immigration: le cas du Canada, du Québec et de la France, Éditions du Québécois, Québec, 2006.

Habité, à l’instar de nombreux Québécois, par des appréhensions liées à l’immigration, Guillaume Rousseau cherche dans son essai à comprendre la façon multiculturaliste canadian et la façon républicaine française de répondre à ce défi nouveau et, dans un deuxième temps, à proposer une « troisième voie » pour que le Québec puisse se comporter comme une véritable société d’accueil francophone.

Guillaume Rousseau
La nation à l’épreuve de l’immigration: le cas du Canada, du Québec et de la France, Éditions du Québécois, Québec, 2006.

Habité, à l’instar de nombreux Québécois, par des appréhensions liées à l’immigration, Guillaume Rousseau cherche dans son essai à comprendre la façon multiculturaliste canadian et la façon républicaine française de répondre à ce défi nouveau et, dans un deuxième temps, à proposer une « troisième voie » pour que le Québec puisse se comporter comme une véritable société d’accueil francophone.

L’auteur est un collaborateur de L’Action nationale, avocat, doctorant en droit de l’Université de Sherbrooke, et militant du Parti québécois. Ses réflexions s’inscrivent en grande partie dans les débats qui reviennent, comme des lames de fond, agiter périodiquement les congrès du PQ. Il était donc logique que cet essai paraisse dans la collection « Essais pour un Québec libre » des éditions du Québécois. Polémique, engagé, militant, pourrait-t-on dire de l’essai de Guillaume Rousseau ; cela ne saurait cependant circonscrire tout à fait son entreprise intellectuelle. À travers les quelques 120 pages du livre (tout juste le format d’un mémoire de maîtrise, en l’occurrence, le sien), l’auteur déploie une grande érudition à exposer les tribulations juridiques liées aux dossiers linguistique, identitaires et religieux. S’il est un défaut courant dans la littérature nationaliste, évité dans La Nation à l’épreuve de l’immigration, c’est celui de passer outre à la réalité constitutionnelle et légale qui détermine l’espace dans lequel les acteurs souverainistes, ou plus largement, québécois, se meuvent, souvent bien malgré eux. L’auteur tend constamment à rendre compte du passé et du présent juridiques qui façonnent l’évolution du comportement des allophones, et par conséquent, l’évolution du Québec tout entier, dans un contexte de faible natalité et de recours aux populations désireuses de s’établir dans notre pays riche et démocratique.

Se ralliant à la conclusion de politologues tels que Samuel Huntington, le livre part de la constatation que la lutte des classes d’autrefois s’est transformée, depuis 1989, en lutte des identités. On cherchera par conséquent à retourner aux origines de la gestion du pluralisme identitaire par un État moderne, l’État français post-révolutionnaire. Dans la première partie de l’essai, le lecteur assiste à l’évolution du droit français relatif aux minorités à partir de 1789. En suivant l’ordre chronologique, on explique par quels détours juridiques la langue française est devenu le ciment national et comment la laïcité, autre ciment, est redevenu un facteur premier d’unité nationale.

On étudie ensuite la construction du Canada depuis 1867, de façon à finir par développer le point de vue selon lequel le Québec possède une approche originale en matière d’intégration des immigrants, à mi-parcours entre la république française unilingue et « laïque », et le Canada multiculturaliste bilingue. Rousseau détaille les moments de minorisation légale des francophones, aborde la proposition du pays bilingue et biculturel de Laurendeau-Dunton, et finalement, élabore sur la politique de multiculturalisme bilingue de Trudeau. L’exposé est précis, minutieux, détaillé et patient. Le lecteur qui attend la peinture de moments de conflits précis par-delà les arguties avocassières aimera la manière qu’a l’auteur de bien situer le règlement constitutionnel de thèmes cruciaux et symboliques tels que l’arrêt Big M Drug Mart portant sur la contestation de la Loi sur le dimanche (au nom de la liberté de religion), le règlement par la cour suprême de l’affaire du kirpan, ou encore, celui portant sur les tribunaux islamiques.

Ayant retracé l’évolution historique d’une politique d’intégration culturelle québécoise (Office de la langue française fondé en 1961, ministère de l’Immigration, 1968, loi 101, etc.), Rousseau envisage l’avenir de notre société d’accueil et conclut que si aucune mesure spéciale n’est mise en place pour contrecarrer la tendance lourde, les francophones seront minorisés auprès des nouvelles populations gagnées par la langue anglaise et ses promesses de carrières. Mentionnons ici les quelques chiffres qui reviennent le plus dramatiquement dans son étude du recul démolinguistique québécois : en 1971, 61,2% des citoyens montréalais utilisaient le français à la maison, en 1996, c’est 55,6 % des citoyens (p.77). Depuis 1995, les transferts linguistiques vers l’anglais s’accentuent. À ce compte, calcule l’auteur, les francophones seront minoritaires sur l’île de Montréal entre 2011 et 2016. Pour prévenir ce péril, l’auteur propose de rendre obligatoire la fréquentation du cégep francophone pendant la première année du cursus collégial. L’idée de base est de « substituer la contrainte démocratique de l’État à la contrainte arbitraire du marché ». En d’autres mots, dans son analyse économique du droit (et à l’aide de la théorie des jeux !), Rousseau essaie de démontrer que les immigrants allophones et les Québécois gagnent à être également forcés d’étudier en français dans un contexte où les employeurs exagèrent l’importance de la maîtrise de la langue de Shakespeare. L’application de cette mesure correspond dans l’esprit de l’auteur à un juste milieu entre l’unilinguisme de la République française et l’habitude de compromis de notre propre tradition politique. En ce qui a trait au problème du pluralisme religieux, on propose un autre « juste milieu » : des cours obligatoires d’éthique et de culture religieuse. Mentionnons que dans cette dernière partie plus créative, l’auteur quitte la pure description pour s’engager dans la proposition de réformes. Ici, le mélange du langage de la gestion technocratique se mêle au droit pour composer les grands plans de la République unilingue et laïque. Par exemple, M. Rousseau s’inquiète de la liberté d’enseignement particulière aux écoles privées et propose de diminuer leur financement public dans le but délibéré de décourager leur fréquentation.

Faut-il que notre nation soit gênée dans son élan naturel pour que nous en soyions là à chercher à tout hasard des outils étatiques insolites pour, simplement, nous imaginer survivre aux prochaines décennies ! « Toujours plus de lois, toujours plus d’outils pour les technocrates, ça n’aura donc jamais de fin ? », serions-nous tenter de soupirer en enterrant le livre de Guillaume Rousseau et tous les débats péquistes qui l’ont préparé.

Ce serait-là chose facile, et confortable, pour notre santé mentale. Mais ce serait jouer à l’autruche. La qualité principale de l’ouvrage, après sa grande érudition, est qu’il met en lumière la réalité déplaisante du « recul démolinguistique » qu’une lâcheté naturelle nous propose d’occulter pour nous donner des airs de gentils amis de la pluralité démocratique, comme si la question en cause était l’ouverture de la société d’accueil québécoise à l’immigration. Espérons que le livre écartera certains tabous entourant les réflexions québécoises sur le défi de l’immigration.

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