Le fer de l’Anse

Titre complet: Plaidoyer pour un renouvellement des catégories d’analyse du secteur minier. Le fer de l’Anse

Au centre-ville de Sept-Îles, à deux pas d’un comptoir laissé vacant par les promoteurs de la Mine Arnaud, se trouve une succursale régionale de la Société du Plan Nord. Véritable enclave technocratique dans une mer de grands industriels privés, cette ramification du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles dispose à l’heure actuelle de moyens qui s’avèrent ostensiblement limités. De l’aveu même des Nord-Côtiers, cet austère bureau de projets constitue néanmoins l’un des rares vestiges encore perceptibles du controversé programme de développement nordique, dix ans après sa mise en œuvre.

Titre complet: Plaidoyer pour un renouvellement des catégories d’analyse du secteur minier. Le fer de l’Anse

Au centre-ville de Sept-Îles, à deux pas d’un comptoir laissé vacant par les promoteurs de la Mine Arnaud, se trouve une succursale régionale de la Société du Plan Nord. Véritable enclave technocratique dans une mer de grands industriels privés, cette ramification du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles dispose à l’heure actuelle de moyens qui s’avèrent ostensiblement limités. De l’aveu même des Nord-Côtiers, cet austère bureau de projets constitue néanmoins l’un des rares vestiges encore perceptibles du controversé programme de développement nordique, dix ans après sa mise en œuvre.

Au-delà des berges qui enserrent la baie de Sept-Îles, tout semble indiquer que le legs du Plan Nord n’est guère plus étincelant. Dans les trois autres secteurs initialement ciblés par le gouvernement libéral de l’époque (Nunavik, Eeyou Istchee Baie-James et Saguenay–Lac-Saint-Jean), force est de constater que l’État québécois s’est bien gardé d’intervenir en ce qui concerne la capture de la rente minière. Plutôt que d’encadrer formellement l’activité des grands conglomérats présents sur le territoire national, les administrations qui se sont succédé dans la dernière décennie ont reconduit une logique erratique de développement, centrée sur l’exportation massive de ressources non transformées.

S’il nous semble opportun d’entamer une réflexion sur cet enjeu pourtant entaché d’anachronisme, c’est que les événements des derniers mois ont eu pour effet de ranimer dans la mémoire collective certains pans de l’imaginaire du Plan Nord. Nous n’avons qu’à penser à la tentative, à peine voilée, de l’ex-premier ministre Jean Charest d’accéder à la tête du Parti conservateur, à la controverse suscitée par le projet Énergie Saguenay ou encore au succès cinématographique rencontré par le plus récent long métrage de la réalisatrice Sophie Dupuis, consacré à l’univers singulier des régions minières du Québec. L’objectif n’est pas, bien évidemment, de se livrer ici à une analyse coût-bénéfice exhaustive des retombées du Plan Nord, mais plutôt de réexaminer, de manière critique, les catégories d’analyse conventionnelles de l’activité minière à l’aune des changements survenus dans ce secteur au cours de la dernière décennie.

En matière de gestion des ressources naturelles, le préjugé favorable de la classe politique québécoise pour la doctrine économique du laissez-faire ne date assurément pas d’hier. Dans le cas d’une région industrialisée tardivement comme la Côte-Nord, la situation actuelle de dépendance aux marchés extérieurs de commodités perdure depuis plus d’un demi-siècle. Dès la fin des années 1950, on pouvait effectivement lire, dans les pages du Devoir, les critiques les plus acerbes d’André Laurendeau à l’endroit du premier ministre Duplessis, vilipendé pour avoir cédé au rabais les concessions minières de l’Ungava au grand capital américain. Or, en rétrospective, force est d’admettre que cette politique du « bar ouvert » pratiquée par l’Union nationale aura à tout le moins favorisé l’établissement de milieux de vie relativement prospères à la frontière du 50e parallèle — ce qui contraste avec les pratiques actuelles du secteur minier, notamment en matière de navettage aéroporté (fly-in/fly-out).

Suivant la découverte d’importants gisements de minerai de fer situés à la frontière du Québec et du Labrador, la région de la Côte-Nord a entamé, durant la deuxième moitié du XXe siècle, un cycle de croissance rapide se traduisant par des bouleversements économiques importants. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le village côtier de Sept-Îles est passé, en quelques années seulement, du statut de petit port de pêcheurs à celui de plaque tournante de l’approvisionnement pour les aciéries de la « Rust Belt » américaine et des Grands Lacs. La morphologie particulière du territoire ayant alors permis à l’Iron Ore Compagny ainsi qu’à la Quebec Cartier Mining d’établir des ports en eaux profondes et d’assembler des centaines de kilomètres de voies ferrées, en plus d’aménager une série de villes-champignons à la frontière de l’écoumène. Conçus à l’origine pour accueillir une portion significative du prolétariat québécois, ces lieux se sont en définitive révélés être des points de passage accéléré vers la classe moyenne.

Dans ces villes créées de toute pièce par l’industrie, l’ascendant des compagnies minières sur l’organisation des pratiques sociales était manifeste. Les politiques d’encadrement de la main-d’œuvre s’étendaient de la fixation des règles d’urbanisme à l’organisation des fêtes d’enfants. Cette forme renouvelée de paternalisme industriel se présentait, dès lors, comme la ramification locale d’une plus vaste stratégie militaro-industrielle d’approvisionnement, déployée à l’échelle continentale, et impliquant notamment un élargissement de la voie maritime du Saint-Laurent, à la demande du président Eisenhower. Cette phase historique de développement, perpétrée, faut-il le rappeler, dans le mépris le plus complet de la souveraineté territoriale des Premières Nations, a correspondu, du moins jusqu’au début des années 1980, à un relatif partage des gains de productivité. L’effondrement des prix du fer, dans les mois précédant le démantèlement partiel de Schefferville, en 1982, et la fermeture définitive de la ville de Gagnon, en 1984, a mis abruptement un terme à cette première vague d’industrialisation du Moyen-Nord québécois. Il s’en est suivi d’une violente récession marquée par le déclin démographique et le chômage structurel. La mondialisation de l’économie et l’entrée sur le marché de pays producteurs émergents auront finalement raison de ce modèle territorialisé de développement d’inspiration fordiste.

Il faudra ensuite attendre jusqu’au début des années 2000 avant que ne s’entame un nouveau cycle d’investissements miniers. Une hausse significative du prix des métaux, attribuable en partie à l’industrialisation rapide de la Chine, persuade alors les acteurs financiers de l’émergence d’une période de croissance prolongée du secteur primaire. C’est dans ce contexte que la Côte-Nord retrouve, au tournant des années 2010, son statut de « Klondike ». L’ouverture imminente de nouvelles mines attira plusieurs centaines de travailleurs dans la région. Des travaux d’envergures sont amorcés au même moment par le géant de la sidérurgie mondiale ArcelorMittal, afin d’augmenter significativement les capacités de production des infrastructures minières de Fermont. C’est également près de cette municipalité, située à plus de 500 km au nord de Sept-Îles, que se conclut, en 2011, l’une des plus importantes transactions financières dans l’histoire de l’industrie. Au terme d’une surenchère considérable, la mine du lac Bloom passa aux mains de la corporation américaine Cleveland-Cliffs pour une somme inédite de 4,9 milliards de dollars.

Déterminées à profiter de la manne, les grandes institutions québécoises d’investissement s’engagèrent par la suite à financer la construction d’infrastructures additionnelles de transport, d’énergie et de stockage. Sur le front des relations publiques, l’élite politique emboîta le pas aux milieux d’affaires en multipliant les représentations auprès l’« overclass » de la finance mondiale. À ce moment précis, le Plan Nord apparaissait comme un projet sans failles, si ce n’est du fait que, partout sur la planète, les ouvertures de nouvelles mines se multipliaient et que la saturation du marché était imminente. Sans grande surprise, l’offre globale de minerai s’est, par conséquent, mise à excéder rapidement la demande à partir de 2014, faisant ainsi chuter drastiquement le prix des minerais extraits à travers le monde. De ce fait, les complexes miniers affichant les coûts de production les plus élevés ont été soudainement contraints d’interrompre leurs activités, tandis que ceux ayant persisté ont dû réduire significativement la taille de leurs effectifs.

Dans les communautés ciblées par le Plan Nord, ce fut de nouveau l’hécatombe. Non seulement le plus récent cycle minier n’a pas su engendrer la croissance économique attendue, mais nombre de municipalités, conseils de bandes et sous-traitants locaux se sont retrouvés aux prises avec d’importantes dettes, contractées dans la foulée des développements anticipés. À l’échelle nationale, on pressera rapidement l’État d’intervenir, conformément au principe d’externalisation des coûts. Québec et Ottawa investirent alors à grands frais dans la réfection de sites laissés en plans par des compagnies en défaut de paiement, tandis qu’Hydro-Québec révisa à la baisse ses tarifs consentis aux minières. Les syndicats furent également mis à contribution avec la réouverture de conventions collectives dument négociées, tout comme le gouvernement nouvellement élu du Parti Québécois, qui renonça quant à lui à sa réforme attendue de la Loi sur les mines.

Or, en dépit de la profitabilité récente de certaines filières privilégiées d’investissement, le Plan Nord dans son ensemble fut un échec sur toute la ligne du point de vue du développement régional. Cette seconde phase d’industrialisation du Nord québécois n’aura, en rétrospective, été d’aucune commune mesure avec la première en ce qui concerne la territorialisation de la rente minière. Non seulement l’intensification de l’activité minière ne se traduit plus par l’aménagement de nouvelles municipalités, mais la nature spéculative de ce secteur d’activité tend à fragiliser plus que jamais le tissu économique des milieux de vie déjà existants.

Comment expliquer un tel revirement de situation ? Certes, les facteurs souvent pointés du doigt que sont la concurrence des pays producteurs émergents, l’automatisation de la production ou encore l’absence d’un système étoffé de redevances ont leur part de responsabilité. Or, il ne s’agit que d’explications partielles à la diminution progressive des retombées économiques locales du secteur minier québécois et à l’augmentation concomitante des coûts qui lui sont associés. Le principal problème de ces types d’analyses est qu’elles reposent en grande partie sur une compréhension strictement libérale des mécanismes de marchés, qui ne tient pas compte de certains faits économiques importants, sur lesquels nous reviendrons.

En règle générale, on tient effectivement pour acquis que la succession des phases répétées de croissances et de récessions qui caractérisent le secteur minier est le fait d’une coordination décentralisée des échanges. Ainsi, grâce à la médiation du marché, les flux de matière en provenance d’une multitude de producteurs concurrents parviendraient à satisfaire les besoins de consommateurs éparpillés, et ce, à un juste prix. De ce point de vue, il tombe donc parfaitement sous le sens que la rentabilité des producteurs miniers québécois – qui doivent composer avec l’éloignement ainsi qu’avec l’existence d’un cadre règlementaire rigide en matière d’environnement et droits du travail – soit périodiquement mise à mal par la concurrence étrangère.

La validité réputée d’une telle conception a pour assise une théorie sous-jacente des cycles industriels, dont le processus type est le suivant : des déséquilibres temporaires du marché créent momentanément un excédent de la demande sur l’offre. Une telle configuration exerce une pression à la hausse sur le prix des matières premières, ce qui motive la mise en valeur de sources additionnelles de minerais jugées auparavant non rentables. Au terme de quelques années, de nouvelles mines à haut risque financier entrent en production alors que les sites existants augmentent leur capacité, ce qui fait augmenter globalement l’offre de métaux disponibles. Une fois atteint un certain seuil de saturation de la demande, les prix élevés ont tendance à se maintenir artificiellement pendant quelques années – en raison des délais prolongés entre la découverte d’un gisement et l’entrée en production d’un site minier – avant de s’effondrer. La récession qui s’en suit permet un certain rééquilibrage des volumes et des prix, dans la mesure où les mines les moins performantes sur le plan financier sont contraintes d’interrompre leurs activités.

Aussi éclairante soit-elle, cette modélisation présente néanmoins certaines limites dans la mesure où elle ne dit rien des logiques d’investissement et de contrôle qui caractérisent le tournant financier du capitalisme. Un détour par l’économie politique permet, en revanche, de poser un regard critique sur les stratégies d’accumulation qui prévalent dans l’industrie minière et de fournir, par la même occasion, un apport complémentaire à la théorie des cycles énoncée précédemment.

Un croisement des données relatives aux volumes de ressources minières annuellement produites suffit, dans un premier temps, à faire émerger trois considérations fondamentales pour comprendre les fluctuations du secteur minier, ainsi que l’incidence de celui-ci sur les collectivités avoisinantes.

  1. Malgré le nombre important de pays exportateurs, l’essentiel du volume global de ressources extraites à travers le monde provient d’un cercle restreint de grands pays producteurs, duquel le Canada demeure exclu. C’est le cas notamment pour le fer, le cuivre, le nickel, l’uranium ainsi que les éléments de terre rares.
  2. De façon analogue, la capacité de production globale de minerais se concentre encore davantage du point de vue des entreprises. Plutôt que d’être régie par la libre concurrence, l’offre de ressources minières mises en circulation s’avère en réalité contrôlée par une poignée de grands conglomérats qui fixent les règles du marché, suivant une stratégie d’intégration de type monopolistique. À titre d’exemple, trois grandes entreprises assurent à elles seules plus de 40 % de la production mondiale de fer.
  3. La position marginale du Canada en termes de volumes de livraison, cumulée à l’absence de filières intégrées de production, maintient le pays dans une position de dépendance vis-à-vis des grands producteurs dont il assure l’approvisionnement. Cette configuration particulière prédétermine la forme d’organisation corporative appropriée pour ce type d’exploitation. Il s’agit de la firme multinationale, qui opère en vertu d’un rapport asymétrique entre les filiales qui procèdent à l’exploitation minière, et le siège social, auquel elles sont subordonnées. Seul ce dernier exerce en définitive un contrôle sur les stratégies financières de l’entreprise, et ce malgré la dispersion géographique des différents sites de production.

En conservant ces remarques à l’esprit, il devient possible d’analyser sous un autre angle la trajectoire du plus récent cycle minier. Il est notamment justifié de croire que, plutôt que de subir les fluctuations du cycle, comme elles le prétendent, les grandes multinationales du secteur minier profitent en réalité de la saturation des marchés. Le fait de surproduire délibérément sans égard aux pertes encourues permet effectivement aux producteurs en situation de monopole de consolider leur contrôle sur l’offre. Cette pratique, qui consiste à inonder le marché de façon à faire chuter les prix au-dessous du seuil de rentabilité des entreprises concurrentes permet non seulement d’acquérir des parts supplémentaires de marché, mais également de restructurer avantageusement les conditions générales d’exploitation du minerai. D’après David Harvey, la finalité de cette « contraction des profits » est de remédier à la stagnation en créant artificiellement « une sévère récession qui a pour effet de discipliner la force de travail, de réduire les salaires réels et de rétablir les conditions favorables aux profits1 ». Partant de ce principe, il devient possible d’écarter au bout du compte, la notion de « libre » marché ce qui concerne le secteur minier.

Pour appuyer davantage cette théorie, revenons au cas de la Côte-Nord et de sa principale ressource, le minerai de fer, dont la production compte pour plus de la moitié du total de la production canadienne. À l’échelle internationale, le Canada se hisse pour sa part au huitième rang des producteurs de fer, avec une capacité équivalente à 2,3% de la production globale2. C’est ce qui explique que la production nord-côtière soit opérée par des filiales de minières et d’aciéristes en position de monopole (Rio Tinto, ArcelorMittal) et qu’elle soit exportée intégralement vers l’Asie. En reprenant l’hypothèse de la contraction des profits, il devient dès lors possible de comprendre les raisons pour lesquelles les entreprises minières nord-côtières ont pu décrier la saturation des marchés tout en haussant simultanément leur production.

Bien que dotée d’une certaine autonomie comptable, la firme de type filiale, telle qu’on la rencontre sur la Côte-Nord, demeure subordonnée à un siège, dont les stratégies d’intégration financière priment sur la viabilité économique de ses ramifications régionales. Par conséquent, les pertes d’emplois et autres conséquences désastreuses des récessions observables à l’échelle locale n’apparaissent, en définitive, que comme un moindre mal pour les multinationales du secteur minier. Cela est d’autant plus vrai, compte tenu des extraordinaires leviers de négociation que procure une crise d’un point de vue organisationnel, et des bénéfices susceptibles d’être dégagés à plus long terme en matière d’efficience et de rendement.

Comme nous l’avons brièvement évoqué, l’effondrement, à l’échelle globale, du plus récent cycle d’investissement minier fut une occasion, pour les entreprises concernées, de réorganiser plus efficacement la production à l’échelle locale. Dans le cas particulier de la Côte-Nord, les minières affiliées à de grandes sociétés étrangères ont, immédiatement après la crise, procédé à de nombreuses restructurations internes se traduisant par des mesures de réduction des effectifs, de compression des dépenses et de transfert de coûts. Elles se sont également servies de la conjoncture particulière pour obtenir de l’État un ensemble de subventions et de décrets jugés déraisonnables en temps normal, ainsi que pour revoir à la baisse les charges fiscales imposées par les municipalités où se trouvent leurs installations.

Quelques années après ce desserrement du cadre minier, salué à l’époque par le Fraser Institue, plusieurs compagnies ont fait état dans leur rapport financier annuel, de niveaux de rentabilité supérieurs à ceux enregistrés avant la crise. Non seulement la récession a-t-elle engendré des retombées positives au point de vue comptable, mais elle a également permis de consolider des monopoles. Des concurrents comme Cleveland-Cliffs (et ses 400 employés) ont effectivement été rayés de la carte en 2014, quelques années seulement après avoir intégré le marché canadien, avant de voir leurs installations être rachetées au rabais par la minière Champion – aujourd’hui reconnue comme l’une des compagnies les plus florissantes de la province. À ces nombreux avantages stratégiques dont se saisissent les minières s’ajoute la concurrence inter-filiales, dans la mesure où une crise permet d’identifier puis de rationaliser plus facilement les maillons les plus faibles de la chaîne de production à l’intérieur d’une même firme multinationale. Voilà donc autant de facteurs encore insuffisamment documentés, mais qui permettent à tout le moins d’expliquer en partie le fait que la croissance rencontrée par l’industrie minière au cours de la dernière décennie ait généré pour les régions du Québec plus de nuisances que de bienfaits.

En guise de conclusion, nous souhaitons mettre en exergue le fait qu’il n’existe pas de marché des ressources minières à proprement parler, et que les entreprises multinationales qui produisent ces ressources profitent du caractère cyclique de l’industrie bien plus qu’elles ne le subissent. Les fluctuations importantes de prix et de volumes en circulation représentent, pour le siège social, autant d’opportunités de restructurer avantageusement l’environnement économique immédiat de ses multiples filiales de production. Ce constat nous invite à accueillir avec énormément de scepticisme les récriminations de compagnies telles que Champion, qui déclarait récemment, dans le cadre d’une audience du BAPE, être contrainte par la concurrence internationale de déverser ses résidus miniers directement dans les lacs avoisinants, plutôt que de les remblayer directement dans la fosse. Cet appel à la vigilance vaut également pour les organisations syndicales et conseils de bande qui pourraient être tentés, comme le suggérait explicitement le ministre Pierre Fitzgibbon lors d’un récent conflit de travail sur la Côte-Nord, « d’être créatifs et d’examiner la possibilité de fixer les salaires des travailleurs en fonction du prix du fer3 ».

Le contexte actuel nous semble de ce fait être particulièrement propice à une réévaluation critique des catégories conventionnelles d’analyse du secteur minier. Le cas de la Côte-Nord, exposé dans le cadre du présent article, sollicite une meilleure prise en compte des rapports de pouvoir et des logiques de contrôle qui configurent l’activité minière – une industrie que l’on considère à tort comme étant privée de toute agentivité. L’étude comparée des déterminants de la production de fer, à l’échelle locale, nationale et globale, a effectivement permis de mettre en relief l’incapacité du secteur minier québécois à soutenir le développement économique régional compte tenu de son modèle d’affaires particulier. Une décennie après l’annonce du Plan Nord, nous ne saurions trop insister sur ce principe, considérant le « boom » actuel entourant le lithium et la volonté ferme du gouvernement Legault de faire du développement de cette filière le moteur de la relance post-pandémique.

 


1 Harvey, David (2020). Les limites du capital. Les prairies ordinaires, Paris, [1981], p. 107.

2 Basé sur les plus récentes données de Ressources Naturelles Canada. https://www.rncan.gc.ca/nos-ressources-naturelles/mines-materiaux/faits-mineraux-metaux/faits-sur-le-minerai-de-fer/20594

3 Cantin, Alexandre (2021). Les employés d’ArcelorMittal ne veulent pas arrimer leur salaire au prix du fer. TVA Nouvelles, 12 mai 2021. https://www.tvanouvelles.ca/2021/05/12/les-employes-darcelormittal-ne-veulent-pas-arrimer-leur-salaire-au-prix-du-fer#cxrecs_s

 

 

* Doctorant en sociologie, UQAM.

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