Témoigner ici de l’imposante feuille de route d’Yves Michaud, c’est aussi reconnaître le privilège d’avoir croisé sa route en ses années de pleine maturité politique et de rayonnement public.
Yves Michaud nait à Saint-Hyacinthe le treize février 1930 dans une famille libérale. Ses parents, Roberta et Jean-Baptiste Michaud, ne roulent pas sur l’or en ces années 1930 marquées par la crise économique. Jean-Baptiste gagne courageusement leur vie en vendant des assurances. Mais l’éducation de leurs deux fils, Robert et Yves, va de soi. À la maison, faute de jouets coûteux, il y a des livres que, dès le début de sa scolarisation, Yves va dévorer. Cette soif de connaissances l’accompagnera toute sa vie.
De 1940 à 1947, il fréquente l’École supérieure Girouard de sa localité. Il y obtient un DES, équivalent des études secondaires d’aujourd’hui.
Il n’a que quinze ans lorsque son père meurt prématurément. L’adolescence insouciante n’aura duré qu’un temps. Ces tristes circonstances mettent brusquement fin pour lui à la perspective d’études prolongées au-delà du secondaire. Seul Robert, l’aîné, pourra poursuivre les siennes. Pour le cadet, c’est l’entrée précoce sur un marché du travail instable où prévalent souvent, pour les jeunes, de vagues emplois manuels. Face à la réalité, Yves doit faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il a des intérêts multiples, peut-être même des projets. En outre c’est un garçon actif et très sociable. Les mouvements de jeunesse ont alors le vent dans les voiles. Il s’implique dans la fondation d’une troupe scoute, regroupement laïque assez distinct des mouvements d’Action catholique tels que la JEC.
Promu chef de patrouille, il s’y révèle un leader naturel très apprécié de ses campeurs. Il gravira rapidement les échelons comme relationniste du Scoutisme provincial. Avec les années, il occupe divers emplois. À 21 ans, il épouse Monique Morissette, native comme lui de Saint-Hyacinthe. Elle lui sera d’un appui indispensable en cette période de précarité fréquente pour un jeune ménage.
Il aime bien coucher par écrit ses idées et ses opinions et songe ouvertement au journalisme. Une disposition qui ne passe pas inaperçue dans le milieu tricoté serré de Saint-Hyacinthe où il se retrouve propulsé à la direction d’un petit hebdomadaire local, Le Mascoutain.
C’est là qu’il fait la rencontre de Télesphore-Damien Bouchard, personnage coloré, anticlérical et célèbre pour ses déclarations à l’emporte-pièce. Ancien député libéral, sénateur, fondateur et propriétaire du quotidien Le Clairon, il entrevoit rapidement les talents polémiques du jeune Michaud. À la fusion du Mascoutain et du Clairon, son protégé se retrouve éditorialiste et directeur du nouveau journal. S’en suivront près d’une quinzaine d’années intenses de journalisme de terrain. Sa réputation se dessine, son CV s’étoffe.
En 1958, taraudé par le désir de se doter d’une bonne formation professionnelle, il s’inscrit à l’Université de Montréal en vue d’un stage en journalisme. Performant, ses états de service le servent. Il se mérite peu après une bourse du Conseil des arts du Canada qui lui vaudra un séjour de deux ans au réputé Centre international d’enseignement supérieur en journalisme de l’Université de Strasbourg. Et c’est le grand départ pour outre-mer.
Ces deux années intenses en milieu universitaire français laisseront leur marque. Persistera en lui ce petit côté français charmant qui le portait à émailler souvent ses propos de citations littéraires choisies et servies par une mémoire étonnante. La France à la longue était devenue pour lui une sorte de seconde patrie.
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À son retour d’Europe, Yves ne tarde pas à percevoir les premiers clignotants de la Révolution tranquille. L’Union nationale de Duplessis est morte. C’est désormais le Parti libéral de Jean Lesage qui est à la tête de la Province. La politique devient tout à coup très intéressante. Tous les espoirs semblent permis. Yves n’est pas long à s’impliquer. Comme bien d’autres autour de lui, il croit reconnaître dans les libéraux sa véritable famille d’esprit. Il s’engage sans hésiter dans les rangs du parti. C’est dans ce nouveau milieu qu’il côtoie René Lévesque, journaliste chevronné comme lui et rendu très populaire par son émission innovante de Point de mire à Radio-Canada. Entre eux, la connivence est immédiate, une grande amitié suivra.
Dans le cabinet Lesage, René Lévesque est promu ministre des Ressources naturelles. Il s’y fera le promoteur éclairé et visionnaire de la nationalisation des grandes compagnies d’électricité de la province. Son adoption suscitera l’adhésion populaire.
Hydro-Québec atteint d’un coup une toute nouvelle dimension. D’autres innovations viendront. Yves de son côté est devenu député du comté de Gouin.
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Mais les années passent. Une certaine usure finit par se faire sentir dans l’administration libérale. La ferveur réformatrice des débuts ne suscite pas toujours que des adhérents. À l’occasion d’un âpre débat sur la langue qui divise profondément la députation, René Lévesque entre en dissidence ouverte et quitte le gouvernement. Il est suivi d’une poignée des siens dont Yves Michaud fait partie. Le geste de René Lévesque lui vaut une certaine sympathie du public. Avec l’appui de plusieurs, il met bientôt sur pieds un nouveau mouvement, souverainiste celui-là, et appelé à devenir plus tard le Parti québécois. Après plusieurs années et les élections laborieuses de 1970 et de 1973, les premiers députés d’opposition, peu nombreux d’abord, finiront par gagner l’estime populaire.
Le temps passe. Contre toute attente, l’année 1976 marque l’accession tant attendue du Parti québécois au pouvoir. René Lévesque devient premier ministre. Chef d’un parti souverainiste qui entend voir le Québec prendre une place importante au milieu des nations, René Lévesque compte beaucoup sur le réseau des délégations du Québec à l’étranger. Celle de la France, bien sûr, figure en tête de liste. Le nom d’Yves Michaud, journaliste de carrière et diplômé d’une université française s’impose comme directeur de la délégation de Paris. Aussitôt nommé, il part rejoindre son nouveau poste rue Pergolèse. Représentante des Éditions Dargaud au Canada, Monique, de son côté, doit rester à Montréal. Pendant ses allées et venues régulières à Paris, elle s’occupe activement de l’intendance.
Avec le couple Michaud, la délégation du Québec, par delà ses fonctions diplomatiques, va devenir un lieu accueillant, nanti d’une riche bibliothèque d’auteurs québécois. Monique est une femme de carrière autonome et avenante pour laquelle les relations publiques n’ont plus de secrets. À la délégation, événements culturels et conférences publiques organisés par Yves ont lieu chaque semaine. Des écrivains français sont conviés à rencontrer leurs vis-à-vis québécois et à prendre la parole à tour de rôle. Les étudiants sont nombreux à assister à leurs performances.
À titre de délégué du Québec, Yves a tôt fait de développer des liens de sympathie avec le Président de la République d’alors, Jacques Chirac. Au cours de leurs entretiens, il l’avait aisément persuadé d’ajouter à la toponymie parisienne le nom du Québec. Selon la volonté du Président, une plaque pour l’attester devait figurer dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. Convié aux côtés du chef du gouvernement pour son inauguration, Yves, toujours féru de grammaire française, note que le libellé de la plaque ne comporte pas d’accent aigu sur le E du mot Québec ! Il en fait aussitôt part à Chirac et demande qu’une correction y soit apportée. Amusé, le Président en convient. Une nouvelle plaque avec accent est illico commandée et la fautive, retirée, offerte au délégué québécois. De retour à Montréal, Yves et Monique lui trouveront une place de choix dans leur beau jardin de la rue Meridian.
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Ce témoignage ne serait pas complet si je n’évoquais deux aspects de la personnalité d’Yves dont je garde particulièrement la mémoire. Yves possédait une culture personnelle qui tenait de l’érudition. Sa scolarité, écourtée à l’adolescence, avait tôt fait de lui un autodidacte. Son inaltérable soif de connaissances et son amour des livres l’avaient guidé. Ses choix débordaient largement les programmes de littérature, parfois expurgés, des collèges classiques de son temps. Une mémoire assez spectaculaire pour les grands textes l’avait indubitablement servi. Poèmes et chansons s’intercalaient souvent dans sa conversation.
À l’époque de l’omniprésence des écrans et des cellulaires, on ne sollicite plus guère la mémoire des écoliers. Ni pour les tables de multiplication, encore moins pour l’orthographe et les règles de grammaire. Une zone non négligeable de leur cerveau demeure ainsi inutilisée. En résultera-t-il une certaine atrophie comme il en est survenu parfois dans le règne animal dans le cas d’un membre ou d’un appendice peu sollicité ?
Outre son érudition et sa prodigieuse mémoire, Yves possédait une conscience sociale acquise très tôt à l’époque où l’argent était rare et les petits épargnants dépourvus face aux pouvoirs des conseils d’administration des banques. Le Mouvement de défense et d’éducation des actionnaires (MEDAC), né de sa ténacité combative et de ses dons de communicateur survit à son fondateur, déterminé alors à faire des petits actionnaires des banques des interlocuteurs actifs bien informés de leurs droits.
Mais au-delà de son entregent remarquable, Yves était très doué pour l’amitié. Nous gardons de lui le souvenir d’un ami chaleureux et attentif qui savait, à l’occasion, tout aussi bien écouter que parler, ce qui n’est pas peu dire dans son cas ! Il était, avec son Irremplaçable Monique, d’une hospitalité proverbiale. Parmi nos souvenirs, à Jacques et à moi, apparaissent, lumineux, ceux de ces inoubliables repas bien arrosés autour d’une table savoureuse entourée des rayonnages bien tassés de son impressionnante bibliothèque.
* Journaliste, essayiste et écrivaine, elle est notamment l’autrice des biographies majeures de Marie Gérin-Lajoie et d’Ollivar Asselin.