Le Québec vient de prendre la voie de la prospérité. Il faut croire la troïka des docteurs, se fier à l’idéologue du Conseil du trésor et faire confiance au banquier qui nous annonce en bilingue qu’il faudra faire un effort de plus. Personne ne le savait, mais la voie de l’austérité n’est pas encore celle sur laquelle le gouvernement Couillard nous engage. Pour l’instant, la province ne prendra qu’un sentier de portage, le temps que les conditions soient réunies pour lancer l’an prochain le gouvernement sur le grand boulevard de l’austérité, baptisé «chemin de la liberté» dans la novlangue des vraies affaires.
Le spectacle était navrant et dérisoire. On aurait pu en rire si l’on avait eu encore quelques réserves de bonnes blagues. Mais les barons de la rigolade ont fait sauter la banque. Nous sommes en pénurie telle que l’ironie elle-même ne suffira plus. Le Québec serait condamné à la rédemption comptable. Et si nous savons ramper sous les pâquerettes, nous finirons par retrouver le sens de la joie authentique, celle que nous aurons méritée quand la province aura suffisamment expié ses ambitions nationales. Un jour, nous serons enfin une société normale, un gros Nouveau-Brunswick besogneux rêvant retombées économiques et participation au grand dessein canadian.
Le climat de morosité que cultivent les idéologues de la dette, les prophètes du déclin et les experts de la perte de productivité, ce climat de défaitisme morbide nous est proposé comme un projet de société. Et c’en est un. Il faut les prendre au sérieux, car les thématiques de la guerre psychologique et les manœuvres d’imposition d’un climat dépresseur font partie intégrante de l’arsenal idéologique néolibéral pour monter à l’assaut de l’État. Nous pouvons nous vanter d’apporter une couleur locale, puisque cet assaut, ici, porte également sur l’aspiration à l’État national. Le gouvernement Couillard et ceux qui le soutiennent veulent en finir avec l’État du Québec. Derrière le discours sur l’assainissement des finances publiques se profile l’ambition de réduire notre gouvernement au rôle que lui assigne l’ordre canadian.
Voilà déjà longtemps que la classe politique s’est résignée à gouverner le Québec avec les moyens que le Canada lui laisse et à en payer le prix, c’est-à-dire à accepter d’éroder insidieusement les fondations de toutes les institutions qui forment le socle de notre existence nationale. Cette résignation va connaître sous Couillard une mutation spectaculaire. Déjà inconditionnel du Canada, le PLQ va devenir plus ouvertement que jamais et plus volontairement que jamais une force de normalisation. La participation active au grand projet canadian ne signifiera rien de plus que le renoncement explicite à toute ambition nationale ou, pour être plus précis, le consentement à s’aligner, comme minorité, sur l’ambition nationale canadian. Car le discours d’austérité ne vise d’ores et déjà que ce qui est du ressort de la province.
Les finances publiques dans le jargon des courtiers en morosité n’embrassent jamais la totalité des taxes et impôts que versent les Québécois. Les finances publiques ce ne sont que les restes qui servent à payer les frais d’intendance de la province. Les dizaines de milliards que nous envoyons à Ottawa chaque année ne sont jamais de l’équation. Avons-nous besoin d’une flotte de guerre? Des avions de chasse? Du gouverneur général? Des subventions à l’industrie des sables bitumineux? Des indécents programmes de soutien à l’industrie automobile ontarienne? Avons-nous vraiment les moyens de ne plus poser ces questions et les centaines d’autres que soulèvent les coûts que nous inflige notre «appartenance» au Canada?
Continuer de faire censure sur ces questions c’est consentir à se laisser enfermer dans une vision tronquée de notre potentiel et de nos possibles. Il est évident que de poser la question des finances provinciales sous l’angle de la réduction des dépenses c’est souscrire à une démarche de restriction mentale qui tient de la pathologie. On peut bien se laisser emporter par de généreux raisonnements sur la révision des paliers d’imposition provinciale pour se donner un vernis de combattant pour la justice fiscale, mais cela ne sera jamais plus qu’une tentative de faire tenir les murs par la peinture. C’est la charpente qui est pourrie.
Le Québec, dans le cadre canadian, n’aura jamais les moyens de ses responsabilités, et encore moins ceux de ses ambitions. Pour la simple et bonne raison que le régime canadian subordonne les provinces. Et que cela fait l’affaire des Canadians qui reconnaissent Ottawa comme leur gouvernement national. Les provinces peuvent bien rechigner sur les modalités de la péréquation, sur les orientations budgétaires ou des politiques spécifiques, mais, globalement, elles ne remettent pas en cause le fait que le gouvernement sert l’intérêt national. C’est à cela que souscrit désormais le gouvernement Couillard sans plus s’embarrasser de concessions rhétoriques pseudo-nationalistes. Il y souscrit, mais cela ne lui réussira pas.
Le chemin de l’austérité sur lequel il engage le Québec ne conduira qu’à l’échec. Et pas seulement, pas d’abord sur le plan technique. Déjà que nombre d’analystes jugent ses cibles de réduction trop ambitieuses – un euphémisme dans le langage de la rectitude politique pour dire «irréalistes». On en discutera beaucoup au cours des prochaines années devant les échecs qui se répéteront de budget en budget. Et cela se produira en dépit de dévastatrices mesures de destruction des capacités de l’État québécois, de réduction des services publics et d’accroissement des inégalités par le recours de plus en plus étendu à la privatisation. On en discutera et on se lamentera. Et c’est cela qui importera, il est là le véritable objectif: enliser le Québec dans la logique de l’indigence, le forcer à régresser en dépouillant son gouvernement de tout ce qui peut, de près ou de loin, être associé à ce qui tient d’un gouvernement national.
Une semaine à peine après le dépôt du budget, on a commencé à entendre les premiers gémissements. Les bonimenteurs de Gesca ont commencé à faire la besogne, on a commencé à évoquer le déséquilibre fiscal pour justifier par avance l’échec programmé du gouvernement Couillard. Il échouera, mais cela fera néanmoins d’immenses dégâts. Pour les inconditionnels du lien canadian, ces dégâts fourniront matériaux et prétextes pour prétendre que le Québec ne peut se passer du Canada. Et ils se lamenteront. Et ces lamentations formeront l’essentiel de leur programme politique. Il y aura une nouvelle ronde de quémandage au nom du déséquilibre qui veut qu’Ottawa se donne une vertu en pelletant dans la cour des provinces. Et ils se réjouiront dès qu’Ottawa jettera quelques miettes. Et cela suffira pour les amener à espérer qu’un jour les miettes seront plus grosses si nous savons bien jouer le jeu canadian, si nous savons nous montrer dociles.
Il faut bien comprendre que la conjoncture qui s’annonce reposera essentiellement sur une instrumentalisation radicale de la morosité. Il s’agira de tout mettre en œuvre pour saboter tout ce qui pourrait servir à renforcer la confiance en soi et la fierté nationale. Car c’est cela qui est l’enjeu ultime: briser l’aspiration et casser la référence au gouvernement du Québec comme gouvernement national. Rien de mieux pour ce faire que de le réduire à la médiocrité par une politique délibérée de sous-oxygénation. La corruption que le Parti libéral a soutenue et installée en système dans toutes les sphères du domaine public n’a pas seulement coûté des centaines de millions de dollars et sapé les bases morales du contrat social. Elle a également servi à produire des conditions de discrédit systématique, à créer des situations qui donnent prise à l’autodénigrement maladif qui pousse au consentement à l’impuissance. Ils sont déjà trop nombreux les Québécois qui recommencent à penser que nous ne formons qu’un agrégat de perdants, une minorité honteuse.
La vallée de larmes que le gouvernement Couillard nous invite à traverser ne débouchera que sur un marécage politique. Il faudra lui faire la lutte en gardant les yeux sur l’essentiel et en évitant de se perdre dans les débats stériles des limitations provinciales. Le débat sur les finances publiques n’est pas d’abord une affaire d’amélioration de la gestion – il y a toujours de place à l’amélioration, il y a toujours moyen de mieux faire – c’est un débat de substitution. Une manière de ne pas poser la question nationale en tentant de se convaincre que la minorisation est une voie de développement pour notre peuple. Une autre occasion de nous représenter nos ambitions comme des chimères dont nous n’avons pas les moyens.
En cette période d’incertitude, le consentement à discuter dans les termes de la politique d’austérité laisse au moins poindre un horizon clairement perceptible: le meilleur du ratatinement provincial est à venir.